Kwaïdan :
4 Histoires : Un samuraï quitte sa femme dans l’ambition de gravir la hiérarchie de son ordre. En échange de sa grâce, un homme promet à une femme démon, apparue lors d’une tempête de neige, de ne jamais révéler son existence. Un moine joueur de luth quitte son temple secrètement tous les soirs sur l’invitation d’un étrange samuraï. Un écrivain raconte l’histoire inachevée d’un homme ayant bu une tasse de thé dans laquelle lui était apparu le visage d’un autre homme.
Après s’être essayé à la chronique et au Jida-Geki (film historique), Masaki Kobayashi, réalisateur touche-à-tout s’essaye avec succès au drame fantastique. Adaptant 4 des histoires fantastiques de Lafcaido Hearn, elles-mêmes tirées de récits populaires japonais, il se montre très à l’aise dans cet exercice où s’exercent son talent esthétique, son inventivité, et ses capacités de narration cinématographique. Celles-ci font en effet ici de lui un artiste complet, arrivant à faire sentir l’ambiance des plus beaux recueils de nouvelles fantastiques du XIXème (on se sent successivement proche de Mérimée ou Maupassant, de la tragédie, bref des plus belles narrations littéraires)
Sinon, dans le détail, histoire par histoire, ça donne à peu près ça :
1ère histoire : Les cheveux noirs.
Une longue fable sur l’ambition d’un samurai très bien menée. Le Montage et la mise en scène sont exceptionnels. Pendant toute la première partie Kobayashi nous perd dans les doutes de son personnage, et installe la tension qui sera à l’origine du drame.
Si la mise en scène est brillante (la scène qui relate le second mariage est exceptionnelle), arrivant en quelques minutes à nous perdre, nous désemparer, et rendre les souvenirs pesants. Cependant, on passe beaucoup trop vite (d’un seul coup, en fait, ça tombe comme ça, posé par le narrateur) des registres du souvenir et du sentiment, à ceux de la valeur. Ici, on a l’impression que Kobayashi pose un peu gratuitement sa critique des valeurs du samurai. Etait-ce forcément utile ici, surtout après Hara-Kiri, et avant de récidiver avec Rebellion ? Surtout que l’aspect sentimental de la chose paraît en lui-même beaucoup plus fort, au point d’englober et de rendre inutile l’aspect moral.
Pour en revenir aux sentiments du personnage principal, lorsque revient le samurai, on assiste à des retrouvailles magnifiques où l’homme devient fidèle à ses sentiments et la femme accepte et comprend à la fois par amour et poids de la tradition l’ambition du samurai jusqu’à la soumission. C'est troublant de sincérité, de lucidité du regard sur les mécanismes de soumission dans le couple, et dans sa représentation des sentiments. Ainsi, c’est dans un deuxième temps que l’épouse finit par s’ouvrir sur ses propres sentiments, après avoir justifié les actes de son mari.
On voit dans cette histoire, s’épanouir ce talent du cinéaste à rendre à une situation ordinaire sa portée tragique.
Au final, un superbe drame sentimentalo-fantastique portant un regard lucide sur le couple, et les sentiments, et parfois juste sur l’ambition, parfois gratuit sur les valeurs du samurai.
5/6 pour cette histoire
2ème histoire : La femme des neiges : Ici, la beauté du cadre enneigé croise et s’accorde d’emblée l’ambiance intrigante de ces yeux géants qui scrutent la forêt. On entre vite dans le vif du sujet avec cette rencontre rapide avec la terrifiante femme des neiges superbement interprétée par la charismatique Keiko Kishi (celle du Yakuza de Pollack, qui a joué dans de nombreux grands films japonais de Ozu et Gosha notamment et surtout de nombreux films d’Ichikawa). Toute de suite, on sait par la promesse qui doit être tenue que le drame ne peut qu’arriver, et que cet homme rencontrera son destin tragique. Destin tragique dont on comprend l’ampleur lorsque par la suite l’homme rencontre celle qui va devenir son épouse
Le tout est donc très bien mené jusqu’à l’aveu final qui tombe un peu facilement et n’est excusé que par un facile "je pensais que c’était un rêve". C’est dommage car l’histoire d’amour (quelque peu escamotée) et la décision finale de la femme des neiges pouvaient être intéressant sur le plan de l’humanisation.
Le drame se produira finalement mais d’une manière inattendue.
D’une manière générale, cette histoire est un peu faiblarde. Une fois passée la scène avec la femme des neiges, l’épouse est inquiétante deux minutes, et encore simplement par commérages, l’aveu est facile (même innocent, il aurait ou être amené), et, même touchante, la solution est un peu décevante. La femme des neiges a pu s’attendrir en tombant amoureuse, mais du coup, les enfants, c’est assez dévié… d’autant que la maternité était très peu traitée. D’accord, c’est une partie de 40 minutes, difficile d’insister sur tout ça, mais tout reste trop linéaire.
Dommage, car cette l’histoire si elle est la plus pauvre des quatre, est sans doute la plus belle plastiquement (quoique celle qui suit lui fait une forte concurrence).
4/6 Mais je crois avoir lu que c'était celle que Bliss avait préférée, je serais curieux d'en savoir plus...
Troisième histoire, L’histoire d’Hoichi sans oreilles. Là, c’est grand ! La plus longue de cette histoire, qui aurait pu constituer un long à elle seule, est sublime. D’emblée, le chant accompagné au biwa, chanté par celui qui s’avèrera par la suite être le personnage principal, se mêle à la peinture et nous installe dans l’histoire à la manière d’un chœur tragique qui illustre raconte la situation. Et ici, la bataille est illustré à merveille par une véritable estampe filmée et racontée, et dont les plans se succèdent entre peinture, mise en scène, et plans sur le personnage, dont il sera question. Alternance entre le chœur musico-pictural et la scène dans laquelle va se dérouler le drame, cette scène d’ouverture est une des plus belles que j’aie jamais vues.
Par la suite, une fois la situation installée, on ne quitte pas la scène tragique en suivant un personnage hanté se détruire, le tout par un superbe jeu de rythme. L’évolution du personnage d’Hoichi, son décalage rythmique avec les autres personnages sont présentés avec une extrême justesse et parviennent à rendre compte du poids de ce drame fantastique.
Par la suite, toutes les scènes sont filmées avec toujours autant de justesse. On aura notamment droit à un rappel du chant initial illustré d’une autre manière, montrant finalement autre chose, ainsi qu’une scène de rituel zen impressionnante.
Au final, c’est encore une thème classique de la tragédie qui s’illustre, puis amène un épilogue très intéressant. Une tragédie fantastique impressionnante.
6+/6.
Quatrième et dernière histoire, Dans une tasse de thé.
La plus courte histoire de ce film pourrait courir le risque de survoler son sujet, mais installe vite et bien son sujet. Ainsi on est tout de suite fasciné par ce reflet du fantôme dans le thé, par ce comique sous-jacent des situations, qui contraste en un laps de temps très court avec la tension et la folie finale. C’est dans cette fin qui tout ce qui était présent auparavant prend sa dimension inquiétante, et le film, au final vaut surtout pour cette double fin et par les chocs qu’elle comporte. 5,5,/6
Sur le global, on pourrait dire tout d’abord très simplement qu’à part une histoire un peu légère, le tout est d’une qualité exceptionnelle. Mais la complémentarité des quatre histoires, la progression dramatique due à leur succession, et l’intelligence de cet assemblage, ajoutent aussi à la qualité de cet ensemble.
Au final, 5,5/6 pour un film dans lequel Kobayashi montre son grand talent d’artiste et arrive à exercer son style avec des histoires intelligentes, profondes, superbement racontées, et doucement inquiétantes.