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MessagePosté: 08 Aoû 2023, 12:24 
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Synopsis : accusé d’avoir participé au braquage d’une usine en 1953, Paul Crump est condamné à la chaise électrique. En 1962, alors que son dernier appel est rejeté, un journaliste revient sur les circonstances douteuses ayant conduit à ses aveux.

Toute la filmographie de William Friedkin tourne autour de la fragilité de l’existence et du questionnement qui saisit la société sur les questions de vie et de mort. Il n’est pas étonnant que la majeure partie de ses films traite alors d’enquêtes, de procès et de limites des systèmes légaux. Même son film sur son sport favori -le basket - Blue Chips, tourne autour d’une tricherie quant au recrutement de joueurs pour une équipe universitaire.

Documentaire tourné alors qu’il était bosse à la télévision de sa ville natale, Chicago, The People Versus Paul Crump retrace les contours d’une affaire qui défraya la chronique dix ans plus tôt et devint un porte-étendard de la remise en cause de la peine de mort. Il a d’ailleurs été si efficace que le gouverneur de l’Illinois a commué la peine de Crump en emprisonnement à vie après visionnage du documentaire (qui était pourtant interdit de diffusion à la télévision car jugé trop « controversé »).

Le film alterne d’une part le récit de vive voix du condamné dans le contexte de la prison et les différents entretiens avec ses gardiens ou avocats, et d’autre part la reconstitution des faits qui ont conduit à son arrestation et son interrogatoire particulièrement musclés. On assiste ainsi à la naissance d’un cinéaste, qui avec l’aide de son cameraman, Bill Butler (dont la carrière compte autant Jaws et Vol au-dessus d’un nid de coucou, que Rocky III et IV, Hot Shots! ou Anaconda), va élaborer son style à partir du terreau fertile qu’est cette histoire édifiante.

On trouve notamment ce mélange d’effets de réel qu’on a souvent taxés de « documentaire », comme cette arrestation avec une caméra portée, ou bien encore la saisie de d’un microcosme social dans des moments pris sur le vif. Le déroulé du casse enchaîne avec une partie où Friedkin retrace la journée précédant l’arrestation de Crump dans le quartier noir de Chicago, où on le voit danser dans un café ou bien faire ses courses avec son épouse. Des scènes qui retrouveront un écho autant dans French Connection que Cruising.

Mais il contrebalance cet aspect réaliste avec un autre plus stylisé comme la mise en scène du braquage qui ouvre le film. L’utilisation du clair-obscur et des ombres animées, le décor qui devient une sorte de piège macabre se refermant sur ses protagonistes (une cage d’ascenseur, un grillage comme autant de lieux clos préfigurant la prison), des personnages réduits à l’état de silhouettes ou à des éléments fétichisés (les pardessus et le chapeaux mous des braqueurs, mais aussi des flics qui l’arrêtent). Tout rappelle à la fois les influences revendiquées : le Raoul Walsh de L’Enfer est à lui ou de La Femme à abattre ; Orson Welles forcément ; mais aussi de la BD comme le Spirit de Will Eisner qu’il a songé à adapter dans les 70s. On y fait preuve également d’une violence sèche qui sera sa marque de fabrique : avec les plans sur le gardien abattu au visage ensanglanté préfigurant celui de Richard Chance dans To Live and Die In L.A..

Le paradoxe de ce premier film est de manipuler l’image (le fameux « PoUVOIr du CINémA ») pour en faire ressortir une vérité, là où le reste des films du réalisateur vont s'affairer à creuser les zones d'ombre et d'ambiguïté. Mais le contexte de ce début des années soixante, est bien entendu à distinguer de la période d’essor des années 70, ne serait-ce que sur la question raciale en plein essor, et le chemin de croix de Paul Crump, quasi-crucifié lors de son interrogatoire, est à associer avec les détenus du Shock Corridor de Sam Fuller, contemporain de ce film. Friedkin cherche avant tout à révéler un système défaillant sur lequel est basée toute une conception de la justice et de la morale. Les nombreux plans en vision subjective forcent le regard du spectateur et le positionnent à la place du condamné dans la cellule. Des entretiens qui parsèment le film, on peut noter ceux qui ouvrent et ferment le film. D’un côté, le bourreau qui va devoir exécuter Crump et qui affirme que cela ne servira à rien, que Crump s’est racheté une conduite et est devenu un autre homme au contact de détenus infirmes dont il s’occupe. Et, en conclusion, un long monologue face caméra de Crump qui relate sa propre détérioration mentale, confronté jour après jour à l’isolement et au supplice de l’attente qui remet en cause toute sa perspective même de la réalité. Un monologue appuyé par le motif de la goutte d’eau qui revient en leitmotiv tout au long du film, puis par un aperçu de la chaise électrique qui se met à s’animer comme si elle allait exécuter un détenu invisible : le passage du banal au fantastique qui sera la marque de fabrique de son phénoménal L’Exorciste*.

(*On peut également noter l’un des plans finaux sur des enfants noirs qui jouent dans un quartiers ravagés qui anticipe le début de L’Exorciste en Irak : la désolation, ici et ailleurs, précède la naissance du mal.)

L’empathie par la remise en cause du point de vue. L’empathie comme moteur d’une filmographie où on va tour demander au spectateur de se mettre à la place d’autres condamnés (Sorcerer), de flics infiltrés (Cruising, To Live and Die in L.A.), de soldats transformés en machines de guerre (Rules of Engagement, l’extraordinaire The Hunted, mais aussi Bug et l’épisode de la deuxième série Twilight Zone, « Nightcrawlers »).

Une question aussi de la validité de la peine de mort qu’il retournera dans tous les sens avec le méconnu Rampage sur un procureur chargé du cas d’un tueur en série. La question ne réside ici non pas dans sa culpabilité mais dans sa santé mentale et sur la légitimité de l’exécuter. Rampage connaîtra deux montages successifs, l’un invalidant la théorie de l’autre, témoignage de la volte-face de Friedkin sur le sujet, passant d’anti à pro-peine de mort.

Ces deux montages précèdent de plus son remake l’autre grand film sur le sujet : Douze Hommes en colère, où il s’attarde sur la montée de la tension au sein du jury. À la même époque, il admet même en interview ne plus croire en l’innocence de Paul Crump.

Une tempête sous un crâne permanente dont l’un des effets récurrents - l’insert furtif ou violent d’images disruptives dans la narration (le visage de Pazuzu, le saut à l’élastique de Chance…) – découlent tout net de cette première incursion qui l’a vu tenir la vie d’un homme non pas entre ses mains mais entre les plans de son film. Un constat que le « doute raisonnable » ne se trouve jamais loin de la plongée dans la folie.

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