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MessagePosté: 25 Mar 2007, 13:36 
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The Elephant man en VO (avec John Hurt et Anthony Hopkins)

Londres, 1884. Le chirurgien Frederick Treves découvre un homme complètement défiguré et difforme, devenu une attraction de foire. John Merrick, " le monstre ", doit son nom de Elephant Man au terrible accident que subit sa mère. Alors enceinte de quelques mois, elle est renversée par un éléphant. Impressionné par de telles difformités, le Dr. Treves achète Merrick, l'arrachant ainsi à la violence de son propriétaire, et à l'humiliation quotidienne d'être mis en spectacle. Le chirurgien pense alors que " le monstre " est un idiot congénital. Il découvre rapidement en Merrick un homme meurtri, intelligent et doté d'une grande sensibilité.


« Bonjour, je m’appelle John Merrick, je suis très heureux de vous connaître. » Une phrase, répétée en boucle, comme pour se rassurer d’être quelqu’un. Cette phrase, c’est celle de John Merrick, usuellement appelé l’homme Elephant.
The Elephant man reste LE chef d’œuvre de Lynch. Une œuvre humainement juste qui provoque la prise de conscience quant à notre condition d’êtres humains, plein de vices et de cruauté pour certains, de bonté et d’amour au-delà de tout, pour d’autres. Et parfois même les deux en même temps, source de torture mentale sans précédent.
Notre vie entière peut défiler sous nos yeux, sans que nous ayons conscience de nous-mêmes, de notre place dans la société. Nous contemplons alors notre souffrance face à cette passivité comme nous contemplons un tableau, fascinés, non pas par ce qu’il dégage, mais plutôt par notre incompréhension face à celui-ci. Cette même incompréhension qui fait ce que nous sommes : des hommes, simples poussières dans l’univers et au-delà qui tentons de donner une raison à notre existence malgré tout.

John Merrick, n’est pas un éléphant ni un animal, c’est un être humain, un homme. Lui le sait, mais encore faut-il qu’il l’hurle pour que la horde de sauvages « civilisés » en prennent conscience. « La plupart des gens ont peur de ce qu’ils ne comprennent pas, c’est d’ailleurs aussi difficile à comprendre pour moi, parce que ma mère était si belle… » John Merrick / The Elephant man.
Visuellement, le film de Lynch est conduit comme un rêve, un rêve du début à la fin, un noir et blanc entouré d’un épais brouillard. Comme dans Un tramway nommé désir ( -1951-Elia Kazan avec Vivian Leigh et Marlon Brando), ce brouillard témoigne de la confusion des esprits, de l’errance, du doute, et peut-être même de l’hystérie sous toutes ses formes. Le plan final, celui d'un ciel étoilé à l'infini que l'on reconnait aisément dans Une Histoire vraie, nous réduits tous autant que nous sommes face à l'infini,tout en laissant cette note d'espoir qui nous oblige à continuer de vivre face à l'immoral : "Rien ne meurt jamais".

C’est sans compter sur le compositeur John Morris qui sait en quelques notes mettre en évidence le côté « décalé et troublant » d’une réalité qui met mal à l’aise, qui perturbe mais que nous acceptons, parce que face à que nous sommes, à ce que nous faisons et surtout victimes de notre ignorance, on ne peut rien faire.

Un bon film à revoir, pour un dimanche en rétrospection.

_________________
"Si tu vis dans l'ombre, tu n'approcheras jamais le soleil." Mesrine-L'instinct de mort.


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MessagePosté: 21 Juin 2024, 23:04 
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Partant du même N&B qu’Eraserhead et de son désert humain de cauchemar où une industrie fantôme finit d’envahir un quotidien étrange à l’extrême dépourvu de tout échappatoire, Lynch s’immisce dans l’Angleterre victorienne en adaptant les mémoires du Dr Treves, le personnage d’Anthony Hopkins, et une biographie plus tardive de Joseph Merrick intitulée The Elephant Man: A Study in Human Dignity. Je l’avais déjà noté dans le topic The Straight Story, mais la question de la dignité est souvent au cœur des préoccupations de Lynch. La recherche active de sa préservation et de son rétablissement quand elle n’a pu être défendue étant constitutive notamment des motivations de son héros pour les âges, Dale Cooper.

Dans ce Londres victorien, Lynch peut continuer à dépeindre cette industrie qui l’obsède. Démesurée, envahissante, fracassante, qui crache et qui mugit, elle n’alimente pas ici les atours surréalistes d’une aliénation fantastique, mais fait littéralement figure de bête : on la découvre par procuration, alors que le Treves opère un ouvrier mutilé et note, avec une question rhétorique au mine-de-rien typiquement britannique, que ces machines causent de plus en plus d’accidents de ce genre. De là, elles vont jalonner le périple de Treves en vue de la première rencontre avec Merrick, scènes de rues où les ouvriers travaillent non pas tant avec que pour cette machinerie, au prix de leur santé, de leur vie, même, et donc de leur dignité. Mais surtout, elle renverra sans ambiguïté aux éléphants impitoyables qui ouvrent le film en brutalisant la mère enceinte de Merrick, incident présenté comme la scène primale d’un mythe de création à l’origine de la condition du personnage, condition qui lui vaudra à son tour d’être aliéné, dominé, réduit à l’état de produit— parallèle qui se confirmera par la suite lors d’une séquence de cauchemar à la fois traumatique et prophétique, ou encore lors de la scène de son retour à Londres, où le bruit du train fait écho aux pachydermes.

Il existe un cynisme propre au progressisme concernant le passé, aussi excessif et aveugle que le « c’était mieux avant ». Ce rejet revanchard est nécessaire pour ce courant de pensée qui considère, posant une équivalence fallacieuse entre sociétés humaines et perfectionnement progressif de diverses techniques, que nous sommes supérieurs à nos ancêtres et leur manque d’humanité et de perspective dont nous sommes nous, en revanche, bien dotés. Le 19ème siècle n’y échappe pas, et en particulier sa médecine, malgré les condamnations nécessaires et valides de ses abus et errements qui lui ont permis de se perfectionner (sur le plan relationnel, c’est autre chose, on est d’accord).

The Elephant Man traite aussi de ça et n’en fait pas uniquement un cadre historique à l’histoire, et ce par l’usage du fil rouge de l’adéquation nécessaire entre la dignité de Merrick et celle de Treves. La scène de découverte est exemplaire de ce point de vue : strictement aucune recherche de schock value dans la mise en scène ou l’éclairage. Lynch ne cite pas les monuments de l’horreur classique d’Universal, ne fait pas du suspens un ressort voyeuriste. Au contraire, il se focalise comme à l’accoutumée, avec cette tendresse infinie, sur le visage d’un personnage saisi d’une émotion foudroyante : celui d’Hopkins, en l’occurrence, déjà bouleversé alors que le rideau n’a pas encore été tiré, et qui reste sidéré, bouche bée, incapable de parler, ému aux larmes non pas tant par l’aspect de Merrick mais par tout ce qu’on devine des considérations qui l’envahissent. Ca fait plusieurs années maintenant que je pense au moins une fois par jour à la manière dont la caméra s’approche de son visage. C’est l’image de cinéma la plus forte que je connaisse.

Lynch n’est pas un cock blocker pour autant. Il réserve son uppercut pour l’autre séquence d’exhibition, glaçante, celle devant le collège de médecins où l’on devine Merrick par son ombre en contrejour contre un drap tandis que Treves décrit ses malformations et son anatomie dans les moindres détails, le qualifie de « perverted and degraded version of a human being » avec toute la brutalité détachée du spécialiste devant les regards impitoyables de ses pairs. Séquence d’exhibition qui se clôture par la consécration de son surnom, qui acte sans ambages la cruauté du milieu médical. C’est ça qui doit, et qui va choquer le spectateur. Pas le personnage titre.

Le film est connu pour être largement d’aspect classique et coche en effet toutes les cases du drame « à leçon ». Mais le résumer à ça, ce qui est tentant en comparaison avec les films suivants de Lynch, ferait oublier l’immense finesse d’écriture et de caractérisation ; la précision dans l’exploitation de toutes les pistes dramatiques et de tous les questionnements éthiques et humains qu’impose un tel scénario ; la rigueur exemplaire avec laquelle ces questionnements sont tenus, sans céder à la facilité, laissant la part belle à toute l’ambivalence qu’ils exigent de toute leur force. Ainsi classes supérieures comme inférieures sont renvoyées dos à dos. D’abord par ce traitement si particulier qu’a développé Lynch de la figure du double, entre Treves et l’ignominieux Bytes d’abord, dont la confrontation ambiguë qui préfigure celle de Frank Booth et Jeffrey habite tout le film. Puis entre les membres de la bonne société qui succombent au mimétisme dans leur compassion affectée et les piliers de comptoir et les putes, dont la cruauté sans bornes va jusqu’à l’agression sexuelle (une qui est dégoutée et l’autre qui rigole). Tout ça sans compter une acuité historique impressionnante de la part d’un cinéaste dont ce n’est pourtant pas la marque de fabrique.

C’est en quelque sorte l’anti-Frankenstein. Le génie rongé par l’hubris qui crée un monstre en bafouant les lois de nature, remplacé par un spécialiste asséché par la rudesse nécessaire à l’exercice et l'ambition de sa profession. Le monstre remplacé par un homme aussi brisé intérieurement qu’extérieurement. Et tous les deux vont s’élever, par cette forme d’amour si particulière qu’est l’amitié, vers les cimes d’une humanité aussi simple que de vouloir enfin pouvoir s’allonger pour la première et dernière fois.

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