Au moment du Printemps de Prague, dans une petite ville de province, un scientifique dans la quarantaine, Ludvik Jahn, cynique et désabusé, est interviewé par une journaliste, Helena, avec l'idée que son métier l'amènera mécaniquement à proférer de prudentes généralités sur les évènements en cours. Helena, travaillant pour la radio officielle, a des allures de moine-soldat, plein de zèle, à la fois ambitieux et naïf, qui éveillent chez Ludvik des sentiments ambivalents. Elle lui rappelle surtout une aventure amoureuse avec une femme assez similaire, qu'il a connue 20 ans plus tôt : Markéta. Aussi bien-pensante que jolie, Markéta appartenait à un groupe de danse folklorique bien en cours avec le régime. Pour la narguer, et sans doute, de manière plus indirecte, pour la défier sexuellement, alors qu'elle participait à une sorte de stage d'endoctrinement ou d'université d'été, il lui avait envoyé une carte où il disait à peu près que la bonne humeur obligatoire du régime "puait la connerie" et qu'il préférait Trotski à Staline. Marketa n'avait rien trouvé de mieux à faire que de transmettre cette carte à la cellule officielle des étudiants communistes de leur université... Adapté de la nouvelle qui a fait connaître Milan Kundera,
Zert est un des derniers films de la Nouvelle Vague tchèque avant la "normalisation". Contrairement a beaucoup de films de lutte et de critique tournés dans le régimes communistes d'Europe à la même époque, il ne recourt aucunement à la symbolisation des enjeux politiques et moraux. Il est au contraire étonnamment frontal et didactique : les personnages savent ce qu'ils pensent et le disent, s'expliquent, et cette rationnalisation produit quelque-chose de plus en plus monstrueux et cynique. Il y a l'idée, propre à Kundera, que le stalinisme étant déjà une narration et une forme de métarécit collectif, la poésie ou l'allégorie tendent alors à fonctionner plutôt comme une reproduction du fonctionnement du régime que comme un contre-discours : il faut y renoncer (ou alors en faire des secrets), viser le littéral et l'individu, avec l'idée qu'une vérité morale et politique existe malgré tout, mais qu'elle est intégralement épuisable (c'est le "bon cynisme", conscient, opposé à celui inconscient du stalinisme).
Le film est déstabilisant : on passe sans transition d'une situation de comédie sexuelle à un film de camps et de prison, qui évoque
The Hill de Lumet voire aussi, même si le film ne l'appuie pas, les camps nazis, dépassant l'anecdote ironique du début pour atteindre une violence extrêmement âpre. La terreur contient et développe la comédie, mais le fait d'en être conscient vous rend suspect. C'est la singularité du film : ll montre le fonctionnement d'un procès politique dans une université puis les camps, de manière forte et marquante. On n'est pas du tout dans la notion de Rivette où la mise en scène serait un forçage racoleur, qu'il y a de l'irreprésentable. Cela fonctionne car les acteurs, le cadrage et le montage (entre passé et présent) excellent. Les scènes consacrées au camps disciplinaire dans lequel le personnage passe 5 ans sont alors extrêmement intéressantes sur le plan esthétique qu'historique. Elles parviennent à témoigner à la fois de leur sujet, de la situation historique, et de la conscience qu'on en a après coup, elles sont à la fois le document et le regard, déjà critiqué car enclin à reconstruire le passé. La fin du film est marquante : le personnage principal n'est même pas plus propriétaire de son regard sur l'enfermement et la relégation dans un camps de réeducation qu'il a subi : tout le monde comprend et admet l'injustice et la logique politique qui a mené à cela, même son bourreau - la réparation dans le film est l'illusion de la victime, et ne révèle que sa personnaltié morale plutôt qu'une sorte d'essence du régime. Le contenu politique du film est extrêment dense et articulé.
Mais ce n'est pas non plus complètement convaincant, le film part dans plusieurs directions : comédie, film politique, chronique villageoise, et même thriller sexuel à psychopathe, étonnamment proche du cinéma de genre (Jana Dítětová, l'actrice qui joue Héléna, est excellente, et amène une fêlure poignante dans un rôle ingrat et lisse : trop fade et naïvement conforme à son apparence, son humiliation n'aurait pas de valeur. Il y a dans ce personnage de femme quelque-chose qui fait beaucoup penser à Verhoeven et à De Palma), mais pré-mache ainsi un travail qui aurait pu être fait par le spectateur. L'hésitation entre plusieurs genres rend peut-être la morale du film trop explicite - les personnages énoncent l'ambiguïté à la fois du stalininisme et de des prolongements, et même de la génération du printemps de Prague (dans laquelle Pavel se reconnaît encore moins que son bourreau, suffisamment opportuniste pour defendre le changement), puis se livrent ensuite à un chantage érotique à trois, morbide, veule mais caustique, qui fonctionne comme un refuge. Et cela-même est dénoncé de l'intérieur du film par un personnage qui assume d'être religieux, protestant, et qui énonce la nécessité pour la victime de pardonner au boureau, mais aussi que le pardon implique une forme de nivellement du sens (on l'accepte comme on accepte la mort). C'est assez juste, mais peut-être trop explicite. Il y a un curieux rapport de compensation où ce qui est gagné du point de vue de l'acuïté du jugement politique implique en retour une plus grande schématisation des sentiments et rapport individuels, mouvement que le film relie à une forme de morale, qui serait à la fois d'origine transcendante et cyniquement explicite. .