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MessagePosté: 14 Mar 2021, 01:37 
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Au moment du Printemps de Prague, dans une petite ville de province, un scientifique dans la quarantaine, Ludvik Jahn, cynique et désabusé, est interviewé par une journaliste, Helena, avec l'idée que son métier l'amènera mécaniquement à proférer de prudentes généralités sur les évènements en cours. Helena, travaillant pour la radio officielle, a des allures de moine-soldat, plein de zèle, à la fois ambitieux et naïf, qui éveillent chez Ludvik des sentiments ambivalents. Elle lui rappelle surtout une aventure amoureuse avec une femme assez similaire, qu'il a connue 20 ans plus tôt : Markéta. Aussi bien-pensante que jolie, Markéta appartenait à un groupe de danse folklorique bien en cours avec le régime. Pour la narguer, et sans doute, de manière plus indirecte, pour la défier sexuellement, alors qu'elle participait à une sorte de stage d'endoctrinement ou d'université d'été, il lui avait envoyé une carte où il disait à peu près que la bonne humeur obligatoire du régime "puait la connerie" et qu'il préférait Trotski à Staline. Marketa n'avait rien trouvé de mieux à faire que de transmettre cette carte à la cellule officielle des étudiants communistes de leur université...

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Adapté de la nouvelle qui a fait connaître Milan Kundera, Zert est un des derniers films de la Nouvelle Vague tchèque avant la "normalisation". Contrairement a beaucoup de films de lutte et de critique tournés dans le régimes communistes d'Europe à la même époque, il ne recourt aucunement à la symbolisation des enjeux politiques et moraux. Il est au contraire étonnamment frontal et didactique : les personnages savent ce qu'ils pensent et le disent, s'expliquent, et cette rationnalisation produit quelque-chose de plus en plus monstrueux et cynique. Il y a l'idée, propre à Kundera, que le stalinisme étant déjà une narration et une forme de métarécit collectif, la poésie ou l'allégorie tendent alors à fonctionner plutôt comme une reproduction du fonctionnement du régime que comme un contre-discours : il faut y renoncer (ou alors en faire des secrets), viser le littéral et l'individu, avec l'idée qu'une vérité morale et politique existe malgré tout, mais qu'elle est intégralement épuisable (c'est le "bon cynisme", conscient, opposé à celui inconscient du stalinisme).
Le film est déstabilisant : on passe sans transition d'une situation de comédie sexuelle à un film de camps et de prison, qui évoque The Hill de Lumet voire aussi, même si le film ne l'appuie pas, les camps nazis, dépassant l'anecdote ironique du début pour atteindre une violence extrêmement âpre. La terreur contient et développe la comédie, mais le fait d'en être conscient vous rend suspect. C'est la singularité du film : ll montre le fonctionnement d'un procès politique dans une université puis les camps, de manière forte et marquante. On n'est pas du tout dans la notion de Rivette où la mise en scène serait un forçage racoleur, qu'il y a de l'irreprésentable. Cela fonctionne car les acteurs, le cadrage et le montage (entre passé et présent) excellent. Les scènes consacrées au camps disciplinaire dans lequel le personnage passe 5 ans sont alors extrêmement intéressantes sur le plan esthétique qu'historique. Elles parviennent à témoigner à la fois de leur sujet, de la situation historique, et de la conscience qu'on en a après coup, elles sont à la fois le document et le regard, déjà critiqué car enclin à reconstruire le passé. La fin du film est marquante : le personnage principal n'est même pas plus propriétaire de son regard sur l'enfermement et la relégation dans un camps de réeducation qu'il a subi : tout le monde comprend et admet l'injustice et la logique politique qui a mené à cela, même son bourreau - la réparation dans le film est l'illusion de la victime, et ne révèle que sa personnaltié morale plutôt qu'une sorte d'essence du régime. Le contenu politique du film est extrêment dense et articulé.
Mais ce n'est pas non plus complètement convaincant, le film part dans plusieurs directions : comédie, film politique, chronique villageoise, et même thriller sexuel à psychopathe, étonnamment proche du cinéma de genre (Jana Dítětová, l'actrice qui joue Héléna, est excellente, et amène une fêlure poignante dans un rôle ingrat et lisse : trop fade et naïvement conforme à son apparence, son humiliation n'aurait pas de valeur. Il y a dans ce personnage de femme quelque-chose qui fait beaucoup penser à Verhoeven et à De Palma), mais pré-mache ainsi un travail qui aurait pu être fait par le spectateur. L'hésitation entre plusieurs genres rend peut-être la morale du film trop explicite - les personnages énoncent l'ambiguïté à la fois du stalininisme et de des prolongements, et même de la génération du printemps de Prague (dans laquelle Pavel se reconnaît encore moins que son bourreau, suffisamment opportuniste pour defendre le changement), puis se livrent ensuite à un chantage érotique à trois, morbide, veule mais caustique, qui fonctionne comme un refuge. Et cela-même est dénoncé de l'intérieur du film par un personnage qui assume d'être religieux, protestant, et qui énonce la nécessité pour la victime de pardonner au boureau, mais aussi que le pardon implique une forme de nivellement du sens (on l'accepte comme on accepte la mort). C'est assez juste, mais peut-être trop explicite. Il y a un curieux rapport de compensation où ce qui est gagné du point de vue de l'acuïté du jugement politique implique en retour une plus grande schématisation des sentiments et rapport individuels, mouvement que le film relie à une forme de morale, qui serait à la fois d'origine transcendante et cyniquement explicite. .

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MessagePosté: 14 Mar 2021, 15:17 
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Pour nuancer quand-même la sévérité de ma conclusion et rendre justice au film : cette indécision et le fait d'être à la fois dans le film à thèse et la farce existentielle noire répondent sans doute à l'urgence de l'époque. Remarquablement concis et ramassé, il parvient à témoigner à la fois de son sujet lié à l'histoire récente et du moment politique dramatique son tournage. L'aspect film à thèse est inévitable quand on lutte contre un adversaire qui maîtrise à la fois le fusil et le calendrier.

C'est aussi typiquement le film critique du communisme qui prend pour personnage central un intellectuel, qui projetter directement le regard du réalisateur dans le film, au détriment d'une mise en scène directe de la question sociale. Celle-ci est constituée avant le film. Il s'agit moins de l'expliquer ou de le justifier que d'en montrer l'echec et la répression en train d'avoir lieu. Quand le film figure la société et les classes sociales il y a d'ailleurs le retour d'une discrète symbolisation, avec la crise cardiaque du personnage du juste protestant. Ironiquement il a une vision de l'histoire et des classes sociales, avec l'idée qu'elles peuvent devenir en bloc inactuelles, partiellement commune avec le régime qu'il critique (la force du film est qu'il le sait : c'est d'ailleurs entièrement la mauvaise conscience du personnages principal : il ne croit pas au salut collectif mais il croit malgré tout au sens et à ube orientation de la vie sociale, d'où son cynisme).

Il m'a semblé que Cold War de Pawel Pawlikowski reprenait beaucoup d'éléments de l'intrigue du film (et de sa forme) mais sous une forme rétro : nostalgique, fade et schématique

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MessagePosté: 14 Mar 2021, 16:56 
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Ça reprend le truc des shorts de sport utilisés comme caleçon? Un des souvenirs laissés par le livre lu à l'époque du collège.


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MessagePosté: 14 Mar 2021, 17:07 
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Heu non, il n'essaie pas de coller complètement à la vision du monde et au ton de Kundera, et c'est sa force. Il traite de manière assez poignante la mort d'un personnage (le fils de l'apparatchik purgé, qui ne peut pas lutter à l'injustice qu'il qubit car sa revolte prend forcément la forme d'une délation ou suppliques adressée à ceux qui l'ont déjà enfermé) qui est probablement décrite de manière plus sarcastique par Kundera (je n'ai pas lu la nouvelle, mais c'est la même situation que la mort du fils de Staline dans l'Insoutenable Légèreté de l'être). Ce n'est pas une facilité
car cela accentue finalement la rupture de ton amenée par le camp disciplinaire et permet de le décrire. On repère cependant dans le film l'obsession scatologique de Kundera, la merde étant liée à l'idée qu'il n'y a pas d'objets communs entre politique et existence (les deux ont leur propre notion de liquidation, et la liquidation du tragique existentiel devance toujours ne discours politique, c'est comme cela qu'il comprend le kitsch), même si un texte autobiographique récent livre une autre clé (il parle d'une amie qui voulait l'avertir qu'ils étaient surveillés par la police dans les années 50, la peur de na situation suscitant une diarrhée qui a cruellement abîmé le désir qu'il avait pour elle, le texte est relié je crois aux tableaux de Bacon).

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MessagePosté: 14 Mar 2021, 18:37 
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L'épisode dans le roman (pas une nouvelle mais peu importe) a trait au dépucelage raté du héros dans la partie la plus légère du roman, il manque l'occasion en n'osant pas se dénuder je crois car il porte un caleçon à l'ancienne qui couvre intégralement son corps et non un short de sport tel que la mode venait tout juste de le recommander.


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MessagePosté: 14 Mar 2021, 18:46 
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J’hésitais à le télécharger... et finalement la durée d’1h17 m’a convaincu (au contraire du texte de Gontrand :D )

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Je sais gré à Gontrand pour avoir rendu ce film intrigant à mes yeux. Il y a un souffle indéniable dans cette façon de montrer une jeunesse alors pleine d'espoir (celle de 49 aux refrains de Vive Gottwald, celle des années 60, dont les revendications allaient participer à l'avènement de ce fameux Printemps). A ce demander si, à l'exception Ikarie XB-1, les films tchèques des 60's ne parlent d'autre chose que de la jeunesse. Bref, si le film n'est cependant pas toujours intéressant dans le fond, et j'avoue ne plus avoir le moindre souvenir du livre (que le cinéaste élague pas mal quand même il me semble), c'est surtout cette gestion des flashbacks que j'adore, et aussi la vision très frontale, Gontrand l'a dit, des premières années du communisme, notamment à travers les scènes du camp de travail (même si au final, en 68, il y a longtemps que cette période de l'immédiat après-49 n'est plus idéalisée et qu'il fallait déboulonner Staline, ce que les praguois ont fait, littéralement, avec le fameux Monument à Staline - tout ça me replonge dans quelques souvenirs bien brumeux).
Je peux maintenant aller lire plus en détails les pavés de Gontrand :)
4/6

EDIT : Après vérification, le film est produit pendant la libéralisation du Printemps, sort après l'invasion du mois d'août, bénéficiant sans doute d'un vide dû à l'effervescence dans laquelle le pays est plongé, puis est interdit pendant vingt ans. Je lis sur Wikipedia que "suite à la prise de la Tchécoslovaquie par les soviétiques, Jireš continue à travailler dans le pays, réalisant des œuvres moins controversées". Tout rentre bien dans l'ordre.

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C'est vrai qu'il y a une forme de limite et de manque de fond dans le film. On sent que le réalisateur tourne à un moment où la répression est inéluctable, tellement sûr qu'ils seront inévitablement censurés que c'en devient un geste moral qui ne cherche pas vraiment le public, même s'il capte paradoxalement bien et de façon directe le climat de l'époque et possède forme de comédie noire potentiellement populaire.
Tu dis bien que les films tchèques sont souvent sur la jeunesse, c'est le seul point commun entre Chytilova et ce film, mais là il y a un peu autre chose : le personnage de la journaliste a quand-même la quarantaine bien tapée et surtout l'acteur principal joue l'etudiant dans le flashback sans se rajeunir (ce qui colle à la situation, renforce le scandale de l'accusation et de la délation et permet le jeu de champs/contrechamp entre les époques). Cela parle de la jeunesse, mais celle du personnage a été volée, par ses pairs, d'autres étudiants ,qui sont mis en accusation finalement. Elle est plutôt montrée comme une classe d'âge inconsistante, encline à être dupe du discours officiel et à le nourrir, en fournissant la bonne foi qui lui manque, plutôt que comme un ferment de contestation ou une cause collective à défendre.

Finalement, et c'est assez étonnant, le film peut apparaitre narquois plutôt qu'enthousiaste envers le Printemps de Prague (l'interview du début où le personnage ne termine pas ses phrases, le ridicule des deux minets avec lesquels sortent le couple infernal, et l'expression "je ne veux rien faire pour un tel public", même si le personnage prend trop tard conscience qu'il se trompe et est complètement seul, que sa misanthropie, ses blessures et sa rancœur lui ont fait perdre toute valeur politique). Le réalisateur a pu très
bien dire qu'il critiquait le stalinisme sans soutenir les reformes de Dubček (même le personnage de l'apparatchick peut être compris dans ce sens).

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