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MessagePosté: 21 Fév 2016, 16:40 
Trois épisodes de la bataille de Teruel, pendant la Guerre d'Espagne:
-dans une petite ville tenue par les Républicains et assiégée, un pont est le dernier point de passage qui leur permet de contrôler la route de Saragosse. La ville est bien organisée politiquement par un conseil qui regroupe paysans, bourgeois et ouvriers vétérans des Asturies. Une pharmacie est reconvertie en armurerie. Les rapports sont rugueux mais respectueux. Cependant militairement tous sont démunis et rien ne suit: ils ne disposent que de quelques fusils et revolvers, d'un peu de dynamite et des récipients en métal et barriques cédés par les habitant. Il leur faut à la fois tenir le pont, et réunir des volontaires pour traverser les lignes franquistes et transmettre à l'arrière une information sur une base aérienne franquiste camouflée dans une forêt et repérée par un paysan.

-dans une base aérienne républicaine, une escadrille de bombardiers des brigades internationales dirigée un vieux commandant espagnol doit improviser un raid matinal pour bombarder la base franquiste en question.
Plusieurs problèmes se posent: le sous-équipement qui fait qu'ils ne disposent que de deux avions (des Potez 542, plus proche des avions de la première guerre mondiale que de la deuxième, complètement démodés), le profil hétérogène des pilotes (notamment un vieil as allemand de la première guerre mondiale, chevaleresque mais suicidaire et myope). Ils doivent demander rapidement l'appui des paysans de la région pour réunir des camionettes qui éclaireront la piste au décollage. Mais surtout ils ne connaissent pas l'emplacement à bombarder et doivent se reposer sur le paysan qui s'est porté volontaire pour participer au raid et servir d'observateur, alors qu'il n'a jamais volé.

-le raid est un demi-succès. Il a permis la destruction de la piste et celle du pont que les Franquistes avaient finalement pris. Cependant un des deux avions s'est écrasé dans la montagne. Le commandant se rend sur place pour rencontrer les villageois et coordonner l'évacuation des mourants et blessés. Les habitants des village de montagne forment un cortège qui tient à la fois de l'ambulance et du cortège funèbre pour descendre les brancards et cercueils et franchir un canyon.


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Ayant lu le roman il y a longtemps et me souvenant surtout des monologues sur le thème "l'art, la mort et l'humanité", je m'attendais à un film daté, très littéraire et mettant en avant Malraux lui-même (l'ancètre des films des BHL tels que je les imagine), et j'ai été étonné.
Le film "Espoir" (sans article contrairement au roman: entre 1936 et 1937 une définition s'est convertie en appel) a un montage extrêmement brillant, vif (usage impressionnant, opportuniste mais "fluide" de rush d'actualité pour les combats aériens), entièrement en décors réel et est très "efficace", tout en parvenant à rendre l'enjeu politique, les acteurs espagnols (José Sempere, Mejuto, José Lado, ainsi que des figurants amateurs qui viennent souvent au premier plan) sont excellents. Il anticipe des films comme "Paisa" de Rosselini voire de manière étonnante "the Big Red One" de Fuller, qu'il rappelle souvent : même manière de présenter une idée cosmopolite de l'amour entre humains comme la seule chose qui dépasse la guerre, qui n'est pas vraiment la paix non-plus, d'où l'ambiguïté de Malraux, qui relie la défaite de son camps à une nécessité ou une raison: ce sont les victimes de la guerre qui la pensent moralement et la civilisation est là pour les racheter: le fascisme apparaît comme au contraire un phénomène où l'homme essaye de quitter l'histoire. Fuller après tout est assez proche de Malraux, c'est aussi un écrivain dans la guerre, qui la pense à la fois comme une tragédie morale et un fait culturel, qui pense de manière ambigüe qu'une civilisation s'exprime et s'écrit au même titre qu'un artiste individuel, et prémédite et affronte en même temps le sens de sa mort.
Le film est en fait assez désespéré, paradoxalement plus que la fin de "Paisa" ou "l'Armée des Ombres" qui montrent l'écrasement. Même s'il montre une victoire à la Pyrrhus, on sent qu'il a été commencé à une période où les Républicains gardaient l'espoir de l'emporter, et terminé à une époque où ils étaient condamnés ( le film a été terminé en Catalogne, après la chute de Teruel, alors qu'il est censé se passer plus au Sud). D'autre part il ne dissimule pas les difficultés matérielles des Républicains (bizarrement il n'y a pas de mise en avant de l'aide russe, même s'il y a une dérision des anarchistes qui sont montré comme des alliés mais aussi des dandys autoritaires, un peu en dehors de la guerre). L'élan populaire qui semble sincère qu'il montre énonce dans un même moment le deuil et la compréhension de l'espoir politique qui était en jeu. Surtout dans les très belles scènes de la dernière partie, qui citent et inversent "Terre Sans Pain" de Bunuel: les paysans ne sont pas montrés à l'Europe pour leur pauvreté scandaleuse , mais ils sont ceux qui énoncent "spirituellement" le sens de la lutte et effectuent de l'extérieur la réconnaissance d'une idée européenne: "tout le monde peut être utile, que peux-tu faire pour un mort?" "lui être reconnaissant". Ou le dernier mot du film sur un femme qui mime les blessures au visage des aviateurs pour demander au commandant d'où ils viennent et qu'il lui répond à chaque geste : "Espagnol, Français, Allemand, Arabe" - le film est d'ailleurs sensible à la présence arabe dans les Brigades Internationales et désamorce le fait que les soldats de Franco étaient appelés "los Moros", que le sous-titre français ne rend pas.

Malraux est un très bon cinéaste. Son sens du cadre est excellent, il y a des plans assez étonnants sur des insectes et des fleurs (les bombardements qui font tomber par a-coup une vitrine de papillons désséchés) qui fonctionnent comme des sortes de sketch ontologiques au milieu de la défaite.
Ce qui est surtout unique dans ce film, c'est qu'une logistique militaire et une idéologie battues ont été transférées directement du fait militaire vers le cinéma (le film est extrêmement bien produit, ce qui est surprenant vu la précarité politique des Républicains en 1937). Le cinéma avait alors le pouvoir d'être l'équivalent d'une bataille militaire, rachetant par la mise en scène de la littéralité d'une intention et l'image l'échec du réel.

(très bonne musique de Darius Milhaud, plus proche de l'expresionnisme de Schoenberg que de la musique française de l'époque)
(dans les bonus du DVD interview de Paul Nothomb et de sa femme faite à l'époque où Malraux été transférés au Panthéon, intéressants mais assez antipathiques, ils ne doivent pas avoir beaucoup de regrets pour l'écrasement des trotskystes et anarchistes à Barcelone).

A noter que le film est co-réalisé par Boris Peskine mais qu'on trouve peu de textes sur Internet sur son apport.


Dernière édition par Gontrand le 21 Fév 2016, 21:52, édité 7 fois.

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MessagePosté: 21 Fév 2016, 20:17 
Etrangement, à partir d'une position historique et d'une intention en apparence complètement opposées à celles de Malraux, Stan Douglas, dans "Interregnum" (qui part de Joseph Conrad pour représenter la Révolution des Oeillets et la guerre d'Angola), retombe sur une esthétique trrès proche de celle d'"Espoir".

Stan Douglas a probablement vu le film de Malraux:
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Même importance des champ/contrechamps. Même manière de caractériser les personnages, de détour par une sorte de froideur que les personnages revendiquent eux-même pour sauver paradoxalement une idée de l"humanisme" (je mets des quillements car il est difficile à caractériser).
Il est vrai que les deux cinéastes fusionnent la logoque du témoignage et celle de la mémoire, et pensent un déclage entre la scène du conflit et le public de sa représentation. Malraux filme l'Espagne pour le public européen et pas espagnol, pour consolider un front anti-fasciste en Europe, au moment où il tourne le film pour la célébrer, la guerre d'Espagne est déjà jouée, il ne filme pas un témoignage mais une justification. Douglais filme un décalage temporel et mémoriel mais je crois en essayant de le faire ressembler à un décalage géographique, en introduisante une situation fictive de contemporain pour montrer la distance qui survit malgré tout, que la reconnaissance est une autre chose que la réduction de cette distance, implique peut-être plutôt son maintien.

Je crois aussi que les deux cinéastes partagent un désarroi commun face à la langue et à la littérature. Stan Douglas filme des livres de Blanchot, Breton. Son personnage comme celui de Conrad est libraire "culturel", pornographe et militant retourné. Ces livres sont à la fois des "causes" dans tous els sens du mot, des paroles politiquement efficaces, et des alibis, des couvertures mensongères. Malraux et Douglas filment tous les deux la ressemblance tragique et paradoxale entre la parole qui décrit une aliénation et celle qui la justifie et le revendique, mais uniquement les effets de cette ressemblance, et non le glissement et le passage de l'une à l'autre, comme si c'était là que prenaient place à la fois la force et les limites de la politique. L'Espoir pour Malraux c'est de croire que le passage du témoignage à la justification était neuf, était une conquête qui n'avait pas été formulée avant le XXème siècle, qu'une forme inédite d'écriture de l'histoire pouvaient servir à distinguer les camp progressiste du fascisme. Pour Douglais l'espoir c'est feindre que cette ressemblance soit neuve, n'a pas déjà eu lieu , soit uniquement issue de la conscience d'une lutte, et pas déjà présente dans le conformisme social et l'acceptation de l'aliénation (la lutte et l'oppression délimitent souvent une seule et même culture) , pouvoir la simuler pour maintenir à la fois les conditions du témoignage et de sa réception ainsi que celles de la représentation du peuple.


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