मधुमती en VO.
Par une nuit d'orage, Devendra trouve refuge dans un vieux manoir isolé. Alors que la tempête fait rage, il reconnaît inexplicablement chaque recoin du lieu, et soudain, les souvenirs lui reviennent : celle de sa vie antérieure, et de Madhumati, une jeune femme qu'il y aima à la folie. Je l'avais sur mon ordi depuis un moment, sans me résoudre à me lancer les 2h40 : à chaque fois que j'allais regarder un petit plan ou passage au hasard, je trouvais ça très peu séduisant, à l'unité. Au final, le film est plutôt magnifique, et ce malentendu est assez révélateur de ce qui fait la singularité de Bimal Roy (le dernier que je découvre des quatre grands cinéastes de l'âge d'or du cinéma hindi). Que ce soit via le lyrisme virtuose de Guru Dutt, la boursoufflure flamboyante de Mehboob Khan où l'élan narratif démesuré de Raj Kapoor, l'envie généreuse de démontrer l'étendue de ses capacités domine (pour le meilleur) le cinéma de ses trois collègues. Bimal Roy s'avère à côté de cela étonnamment sobre, ou peut-être en tout cas plus subtil. Tout va se passer dans l'imperceptible, dans le mouvement entre deux plans (c'est particulièrement visible dans les danses, mouvements harmonieux pourtant issus d'une série de cadre statiques), dans l'espoir ou la peur d'une situation à venir ou dans le regret d'une situation passée : rarement à l'instant T qui se donnerait en spectacle. Il n'y a pour ainsi dire par de "grande scène" dans le film, de passage qui aimerait se donner à voir comme un tour de force. Son mouvement général prévaut, et même les chansons (pas toutes réussies, par ailleurs) sont approchées sur un mode tranquille.
Madhumati est une romance teintée de fantastique mortifère, c'est sa première originalité (au-delà de sa genèse tordue : film fantastique d'un cinéaste hindi néoréaliste, scénarisé par un cinéaste bengali - et pas n'importe lequel : Ritwik Ghatak !). La fille aimée n'apparaît et ne disparaît pas du film d'un coup : avant que n'ait lieu le premier vrai échange avec son personnage principal, elle émerge progressivement d'apparitions plus ou moins fantomatiques, comme l'effet de l'imagination du héros. Elle repart tout aussi progressivement, fantasme ambulant et visage reconnu ailleurs : l'amour est, en quelques sortes, un "phénomène". La grande forêt aux hauts troncs, qui se remplit à l'occasion de brumes, joue le trait d'union entre la réalité de la dramaturgique (territoire à l'origine des conflits de frontières entre propriétaires qui mèneront au drame, raison de la venue et du travail du héros) et prétexte à verser dans le fantasme (lieu non topographié où les personnages et la mise en scène se perdent, où l'on vit terré dans sa cabane cachée, où l'on tue, où l'on a des hallucinations, et terre de rendez-vous secrets faisant de leur amour une histoire vécue un peu abstraitement, à l'écart du monde).
La délicatesse tendre avec laquelle est manié cet amour naissant fait de
Madhumati un film sublime dans ses deux premiers tiers. Je ne saurais pas trop expliquer pourquoi et comment, mais c'est un enchantement. La suite est plus problématique. D'un côté, j'aime beaucoup la façon dont Bimal Roy fait du fantastique une continuation logique de son histoire d'amour. De l'autre, le film souffre, je trouve, du fait que l'irréel ne constitue qu'une bordure, qu'un post-scriptum. En perdant sa romance, le film perd une certaine force qui le muait jusque là, et peine à retomber correctement sur ses pattes : l'omniprésence soudaine de Johnny Walker (pourtant à la lisière du supportable, ici), et la fin toute molle et toute éteinte, en témoignent. Même si on trouve dans ce derniers tiers parmi les plus beaux passages, le mouvement général est brisé : une découpe en deux moitiés et en face à face (amour / fantastique) aurait peut-être donné un poids et une existence propre au manque (et à ses fantômes).
Ça reste à voir absolument, un des plus beaux films découverts cette année pour moi. Et Dilip Kumar, à l'image du film (discrètement et posément, en sourdine et sans grand morceau de bravoure), s'impose direct comme le meilleur comédien de tous les films hindi de la période que j'ai pu voir.
Concernant la copie : la seule trouvable (et encore, difficilement, je ne sais pas s'il existe un DVD quelque part) est vraiment naze : floue, hypra-compressée... Attendez une diffusion en salle.