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MessagePosté: 09 Sep 2018, 23:15 
Hiver 1973. Dans une base militaire de Virginie, deux marines attendent leur affectation au Viet-Nam en tuant l'ennui. Un matin, ils sont chargés d'escorter une jeune recrue, Larry Meadows (Randy Quaid), qui doit purger une peine de 8 ans dans une prison militaire de Portsmouth, dans le Maine. C'est leur "corvée".
Ils devront ainsi remonter quasiment toute la côte Atlantique de l'Amérique vers le nord , en prenant l'autocar ou le train. L'un des deux soldats (Jack Nicholson), Buddusky (surnommé "Bad ass") est blanc, bagarreur, hâbleur voire cynique. L'autre, Mulhall (Otis Young), est noir, discipliné, posé, secret et introverti. Mais tous deux sont francs et capables d'élans de générosité. Il apparaît vite que Meadows a été condamné de manière démesurée pour un larcin mineur, mais qui impliquait par malheur la femme d'un amiral, et est une personne très naïve, immature si pas enfantine et psychologiquement fragile, souffrant de kleptomanie compulsive.Il est sans doute issu d'un environnement familial rigide et puritain, mais complètement destructuré. Malgré le fait qu'ils sont beaucoup plus aguerris et avertis sur les réalités de l'existence, Buddusky et Mulhall se prennent de compassion pour lui. Au départ, Badussky et Mulhall sont plutôt heureux à l'idée de quitter la routine de la base, et de partir en goguette à Washington ou New York avec un bon per-diem, mais le décalage entre leur rôle de parents (ou de grand frère) de substitution, leur nature profondément individualiste, ainsi que la réalité de leur mission de garde-chiourme, finit par leur peser de plus en plus...


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Il s'agît du premier film d'Hal Ashby que je vois, et il n'a pas usurpé sa réputation. C'est un film extrêmement rigoureux, mais libre : tout à la fois sobre et sensible, ancré dans l'imaginaire américain (Steinbeck, Kesey, mais c'est également le même trajet que Route One, USA de Robert Kramer, mais en sens inverse, tant géograĥiquement que politiquement) et formellement novateur .

Le film est très écrit, mais sa forme, le cadre et le montage, donnent cette impression d'epiphanie en temps réel, et font penser au cinéma vérité de Wiseman et des frères Maysles plutôt qu'au Nouvel Hollywoord proprement dit. Il s'agît du premier film de Michael Chapman, futur chef-op de Spielberg - dans Jaws, des grands Scorsese de la fin des années 70, et dans les années 80 d'Ivan Reitman ; qui venait du reportage. C'est à la fois complètement beatnick (mais sur le versant des annes 70, mélancolique, désabusé et introspectif) et hyper-classique et fordien. On peut penser à l'Homme Tranquille. Nicholson joue finalement, sans en avoir l'air, à contre-emploi, un personnage à la fois "cadrant" pour la communauté mais absent à lui-même.


Ce qui est formamidable, c'est que le film "tient" aussi bien si l'on le comprend comme une allégorie (donc un genre volontairement transparent et a-symbolique) sociale et politique de l'époque (la guerre du Viet-Nam et le racisme anti-noir dans la période paradoxale de Nixon, idéologiquement conservatrice , mais aussi celle où les luttes des sixties se convertissent lentement et partiellement en avancées sociales tangibles), un tranfert crypté de sa propre réalisation (l'armée bornée = les studios de l'ancien Hollywoord face au Nouvel Hollywood), ou bien comme une chronique réaliste : les personnages existent vraiment et ont une "vraie" histoire. Elle n'est pas racontée, mais devinée, transparaissant dans les regards, les sommeils et les ombres. Les trois acteurs sont excellents. Jack Nicholson, seul acteur connu, a eu l'intelligence de ne pas dominer le cast, et de laisser de l'espace aux deux autres. Cette cohérence trouve sans doute en grande partie son origine dans le ton juste avec lequel le film raconte une Amérique des classes populaires, ton cru, mais respectueux (aucun des trois homems n'est parfait, mais aucun n'est méprisable, veule ou idiot), assumant un rapport de séduction pour ce prolériat, qui est, dans le film, à la fois le désir de fiction des personnages eux-mêmes et leur intériorité silencieuse (ce n'est dès lors plus au récit de l'assumer, elle est un situation et un hors-champ).

Je ne sais pas si c'est lié au fait qu'Hal Ashby venait d'une famille de mormon (et comme le personnage de Meadows, a peu connu son père, il s'est sans doute beaucoup projeté en lui) mais d'un point de vue philosophique, le film déploie une étrange équivalence et une tension "dialectique" entre ce qui relive d'une critique sociologique "matérialiste" de la société américaine d'une part, et une vision quasi-biblique et tragique de l'existence d'autre part. L'écart et la concurrences entre ces deux visions du monde est constant, et irréductible. Le film met ainsi en scène dans le passage new-yorkais une secte bouddhiste New Age, pas antipathique au deumeurant, qui échoue à le réduire et disparaît dès lors du plan.
La peine de prison qui affecte le personnage de Meadows est à la fois parfaitement vraisemblable au sein du système-armée, et digne d'une malédiction biblique à Job. Et, paradxalement, c'est la vraisemblance et l'institution armée "réelle" qui sont d'ordre symboliques, tandis que scandale métaphysique et l'idée de destin font appel à un discours directement et brutalement psychologique et factuel.
Les personnages s'arrêtent dans 4 villes (Washington, la banlieue de Philadelphie, New York , Boston), chacune associée à une expérience-clé, qui les fera progresser dans la compréhension de leur propre histoire, affinera leur conscience politique, mais qui peuvent également être vues comme le franchissement d'un des cercle d'un Enfer à la Dante.
La fin du film est connue dès le début, mais en même temps déroutante dans sa simplicité - magnifique-, différente de celle de la nouvelle de départ (elle est beaucoup beaucoup plus forte dans le film).
Mais cette inéluctabilité est le contraire d'une initiation : la tragédie et le drame sont au contraire la part conservée du point de départ du film, ce que l'expérience ne change pas, ce qui s'oppose au secret. A New-York une des hippie de la secte demande sans cesse à Mulhall ce qu'il pense de Nixon, du Viet-Nam, du fait qu'il n'y ai pas de Noirs officiers, mais ses réponses (sauf à la dernière question) sont comiquements coupées au montage. Les hippies (bourgeois, mais pas chargés non plus, ce sont les représentant du réalisateur et de l'équipe du film dans l'histoire) voudraient changer les soldats, leur faire dire que leur frustration et leur aliénation résultent de la structure sociale (l'armée) à laquelle ils appartiennent (et cette frustration est la part inconsciente de cette structure), mais aux, assez finement, disent l'inverse : cette frustration est au contraire à la fois consciente et indicible, et l'armée en est plutôt le résultat que la cause (pour les soldats c'est au contraire l'institution qui est l'inconscient de la faute, et ils le savent, magnifiquement : lorsqu'il parle du catholicisme, le personnage de Meadows se trompe, s'isole, mais sort de l'idiotie). Le discours de la critique et de la contestation chez les bourgeois occupe la même place, qui chez les soldats, relève d'un sentiment de finitude et d'une culpabilité morale diffuse.

Dans le même ordre d'idée, le film oppose fraternité et compassion. Dans le film tout est en place pour la fraternité (qui serait une rupture et une prise de tangente) mais elle n'arrive pas, à la fin le personnage de Nicholson doit tragiquement choisir entre ces deux vertus, et trahir uns pqrt de lui et des autres. La relation d'amitié entre Badhass et Muhall est magnifique, mais est le contraire d'un buddy movie justement parce que le film a l'intelligence de ne jamais faire du personnage de Nicholson un connard raciste. Centrer le film sur cela reviendrait à détromper de ce qui chez lui est déjà moral et intègre, ce refus donne aussi beaucoup plus de place au personnage d'Otis Young pour se raconter. Par compassion on peut entendre une attention pour l'autre, une compréhension (qui se sait un savoir plutôt qu'une passion), qui n'est pas une conversion ou une révélation , mais qui console aussi de la fraternité qu'elle empêche (et transforme par ailleurs en image et en symbole, en contrechamp), de la même manière que la neige fine du film console les soldats d'une enfance ratée, non vécue, mais qu'il serait inutile de simuler sur la tard : la signification en est comprise , aurait-elle été comblée que la part la plus ne releverait pas d'un destin, mais d'un symbole et d'un savoir.


Sinon, le montage et le découpage, jouant de manière très singulière sur les fondus enchaînés (comme Mickey One d'Arthur Penn d'ailleurs, aussi édité en DVD chez les Introuvables) sont magnifiques.
Le film, peu vu, a vraiment infusé dans le cinéma américain des décennies suivantes, que ce soit dans Route One USA de Kramer,Taxi Driver; mais aussi Fargo des Coen, voire Lynch (la partie "Dougie Jones" du dernier Twin Peaks doit beaucoup à la composition de Randy Quaid), Linklater (dont le dernier film est un sequel) , un Houston comme le Malin, voire sur un plan plus commercial Rain Man, mais a, de part sa modestie, sa franchise et son aprêté, ainsi que la beauté du grain vériste et quasi-documentaire de sa photographie, mieux vieilli que beaucoup ses épigones.


Grandes scènes de train (où on a l'impression d'être dans le wagon - d'ailleurs Eastwood a quelque peu pompé le film dans le 15h17 pour Paris), et meilleure scène de barbecue de l'histoire du cinéma.
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Et, pour l'anecdote le film a sans doute inventé le slogan publicitaire de la Heineken (récupération...).

Et l'affiche du film qui laisse croire à un film comme Platoon ou Full Metal Jacket est mensongère.


Dernière édition par Gontrand le 10 Sep 2018, 11:02, édité 8 fois.

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MessagePosté: 10 Sep 2018, 08:06 
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Gontrand a écrit:
Il s'agît du premier film de Michael Chapman, futur chef-op de Spielberg - dans Jaws, des grands Scorsese de la fin des années 70 dans les années 80 d'Ivan Reitman ; qui venait du reportage

C’est Bill Butler le chef op de Jaws.


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MessagePosté: 10 Sep 2018, 08:16 
Oui, sur Wikipédia il est simplement "camera operator". Il l'a été aussi auparavant sur Husbands de Cassavetes, et un film de Frank Perry de 1968 (mais pas The Swimmer), d'autres films proches de l'esprit de la Dernière Corvée (ainsi que sur le premier Parrain).


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MessagePosté: 10 Sep 2018, 16:52 
Il est aussi intéressant de rapporter le film -et en particulier la partie à Philadelphie ainsi que la fin- à la vie de Jack Nicholson, qui fût soldat dans l'armée de l'air en Allemagne, et élevé par ses grand-parents, qui lui ont présenté sa mère comme sa soeur. Lui non plus n'a jamais connu son père (ni même son identité).

Dans le même ordre d'idée, Otis Young était comme son personnage un ancien Marine (il s'est enrôlé à 17 ans), et a servi pendant la guerre de Corée, avant de connaître une formation off-Broadway qui n'est pas sans rappeler celle du héros d'"un Homme qui Meurt" de James Baldwin .

C'était leur film
ça explique la vérité de leur jeu dans la scène où ils s'aperçoivent que leur ordre de mission n'a jamais été signé (ce qui n'est pas dans la nouvelle de départ), ce qui peut être utilisé pour leur sucrer leur per diem, mais aussi fonctionner dans l'autre sens pour présenter tout le voyage comme une poursuite de Randy Quaid évadé et couvrir par avance Badussky si d'aventure il avait appuyé sur la gachette
.


Dernière édition par Gontrand le 10 Sep 2018, 18:33, édité 6 fois.

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MessagePosté: 10 Sep 2018, 17:20 
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Film scandaleux, Ryan Johnsona tué la franchise.


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MessagePosté: 13 Sep 2018, 12:28 
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@ Gontrande : Regarde The Landlord, excellente comédie écrite par Bill Gunn. Souvenir trop lointain pour en dire quelque chose mais le film a sans doute le mérite d'aborder les relations raciales sans mauvaise conscience ni artifice.


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MessagePosté: 13 Sep 2018, 12:47 
Merci, je vois que c'est de Hal Ashby aussi. L'historie fait penser à Leo the Last de Boorman

Comme je l'ai dit ailleurs, j'ai mal parlé du film, en y recherchant une ontologie cachée de la classe ouvrière, ou du soldat noir, ou de la psychiatrie américaine. Cette dimension est présente dans le film (tout comme l'homosexualité de chacun, néanmoins toujours séparé de l'autre), mais n'en est pas l'intérêt, car le film montre/incarne/crée (dans sa part la plus intéressante) la dynamique qui l'influence, mais ne la considère ni comme un thème central ni un refoulé.

Le passage le plus bouleversant (et le plus téléphoné) du film, c'est quand Nicholson dit pour lui-même dans le train un truc comme "Boy, ce gars a définitivement besoin d'un psychiatre plutôt que d'une prison".
Au début de cette réplique, il est dans une logique de moquerie et d'humiliation, à la fin du plan, on comprend qu'il se dit "on va voir ce que peux faire pour jouer quand-même le rôle de psychiatre, peut-être que cela prouvera que je ne suis pas le salaud que l'on croit".

Et il y parvient partiellement, avant qu'à la fin, bien sûr, le personnage de Randy Quaid (plus vicieux et moins con qu'il n'en a l'air) ne force Nicholson à revenir au rôle de soldat humiliant et de "fils de pute" (tel que son chef le présentait, en mentant) et cela détruit Nicholson. Pour l'institution (l'armée comme l'Eglise hippie du film) tous les affects sont compensés et finalement neutralisés (par l'idée que ce que l'on ne voit pas est toléré), mais pas pour le sujet (surtout s'il s'improvise psychiatre en ayant lui-même des problèmes).

C'est l'histoire -au fond très simple- d'un type qui veut s'obliger à en respecter un autre qui au contraire l'utilise pour s'humilier (et reste donc du côté de l'institution).
Et le personnage d'Otis Young est toujours extérieur à cela (ni dans le rapport amoureux, ni dans l'institution, mais entre les eux), et, en fait refusera toujours d'aider, Nicholson qui l'appele à l'aide.

Il semble toujours dire dire "cette dialectique érotique hystérique n'a rien à avoir avec la dialectique de la lutte des classes, ou celle de la cause noire, qui sont elles difficiles, et dont l'existence doit encore être prouvée. Elle ne m'intéresse pas, ce n'est pas mon problème, ces deux gars pourraient être des alliés mais vont finir épuisés pour rien, ce n'est même pas tout à fait mon film, je n'en ai rien à foutre, vivement le Viet-Nam ou je sers au moins et où j'apprends quelque-chose".


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