Jack Griffin a écrit:
Commencer le topic poésie par l'emploi du mot niaiserie dans le titre , ça fait un peu mal.
Ah bah oui, tu vois, encore de l'auto-protection !
Après il y a quand même un peu ce risque... Je trouve ça tendax la poésie, c'est une planche savonneuse. D'habitude, quelqu'un qui tu hurle à la gueule "JE SUIS POÉTIQUE, LÀ C'EST POÉTIQUE, REGARDE" (genre Cocteau au ciné) ça me coupe toute émotion, toute poésie justement. J'ai l'impression que la beauté ne pouvait être que la conséquence d'une expression vraie, ou honnête, et pas une fin en soi. En lisant de la poésie quelle qu'elle soit, j'ai du mal à ne pas me figurer un étudiant de Paris 3, mèche sur le côté et écharpe au vent, déclamer en gonflant la poitrine. Ou alors il faut une certaine forme de violence (comme les poèmes que Freak ou Papadoc ont mis), qui contourne le piège, mais c'est un peu dommage de n'avoir que cette esquive pour option...
Hugo, par exemple, j'y arrive pas (et pourtant, le romantisme dans tous les autres arts, j'adore). C'est trop, le côté ampoulé saccage le talent qui pourtant existe. Je me souviens que ma première rencontre avec Hugo poète, c'est un de ses textes les plus connus (il avait été ressorti partout lors des émeutes de 2005), sur le feu de bibliothèque (
À qui la faute) :
Citation:
Tu viens d'incendier la Bibliothèque ?
- Oui.
J'ai mis le feu là.
- Mais c'est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître
À mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
- Je ne sais pas lire.
Je me souviens que la prof nous l'avait enseigné en nous disant en gros : "Hugo fait un monologue volontairement ampoulé, un peu critique de son personnage instruit, pour que la réplique finale casse non seulement le discours, mais aussi la forme fière, par sa simplicité". J'aimais bien, parce que je le trouve à la fois énervant et beau ce discours, un peu comme ces parodies (les meilleures : le film
South Park, par exemple) qui arrivent à la fois à faire rire de leur modèle, et qui en même temps arrivent à t'entraîner mieux dans l'efficacité des codes parodiés (dans leur dimension grandiose, épique) que les originaux moqués.
J'ai été très surpris, ensuite, de voir que la poésie d'Hugo n'était en fait que ça. Bon, je ne suis pas aller découvrir plus en avant, et je vois bien toutes les beautés qu'il y a dedans. Mais comme toujours : j'ai comme un mur.
Du coup je crois que je commence à préférer la poésie en prose, ou du moins la versification très libre, qui se coupe immédiatement d'un certain risque d'emphase, et dont la dimension poétique ne vient plus que des associations étranges de termes, ou du ballet d'images convoquées. Un des rares que j'ai lus c'est Jaccottet, donc, j'avais déjà mis ce petit extrait dans le topic "vos dernières lectures" :
Jaccottet a écrit:
Un homme qui vieillit est un homme plein d'images
raides comme du fer en travers de sa vie,
n'attendez plus qu'il chante avec ces clous dans la gorge.
Ou alors il faut un détour. Par exemple que ça assume clairement sa volonté de virtuosité fière et chantante, comme chez les baroques :
de Viau a écrit:
En si haute entreprise où mon esprit s’engage,
Il faudrait inventer quelque nouveau langage,
Prendre un esprit nouveau, penser et dire mieux
Que n’ont jamais pensé les hommes et les Dieux.
Ou alors qu'il y ait quelque chose d'altéré dans la belle mécanique. Par exemple dans le poème ultra-connu de Verlaine (je connais rien d'autre de lui),
Mon rêve familier, où on sent un certain épuisement :
Verlaine a écrit:
je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Mais le sonnet simplement aligné, qui veut être "beau" alors qu'il n'a pour seule recherche de vérité que l'envie de tomber dans les bonnes cases de ses rimes, il y a comme une contradiction, ça a du mal à me toucher. Bon en gros c'est la poésie classique qui me gêne (je suppose que c'est l'affaire d'un apprentissage).