Oui ses films les plus intéressants n'ont pas une forme et un rythme homogènes, il y a des scories et des faux raccords qui à première vue paraissent accidentels, mais sont conscients (le jeu avec le décors de désastre nucléaire peints et les maquillages expressionistes lors de la mort de l'enfant). C'est accentué ici où chaque casemate et chaque famille sont filmées dans un style différent, Il y a un côté exercice de style bancal mais aussi intéressant et ludique (à la Ozu pour le père cocu qui fabrique les brosses devant ses enfants, à la Oshima pour le viol de la nièce, à la Mizoguichi pour la mendicité du gamin dans les bordels). Le passage le plus personnel formellement est celui du conducteur de tram (qui m'a à son tour penser à Stalker de Tarkovski).
Quant à savoir qui est le plus japonais de tous (et hiérarchiser les films selon ce critère) cela me semble risqué. Paradoxalement Oshima et Wakamatsu, malgré leur gauchisme et leur critique du racisme, articulent finalement de manière plus directe et centrale la question de la spécificité nippone que les cinéastes de la génération précédente.
Dodeska'den aborde d'ailleurs ce point : ce que le dit le père de l'enfant sur la comparaison entre habitat européen et habitat japonais est bien structuré, il énonce bien ce qui relie l'architecture et le paysage à une idéologie nationale implicite, mais le film transforme cela en délire mortifère. C'est assez ambigu, on peut faire une lecture nationaliste de la scène où le père serait puni de la mort de son fils de désirer l'architecture européenne (de plus en plus matériaiste, il passe d'une dissetation sur les conséquences sur l'urbanisme de 1923 à "tu veux une piscine, tu l'auras") plutôt que la japonaise (bien que la maison moderne fasse penser à Tange) ou y voir l'inverse (c'est son ouverture à l'ailleurs fantasmé qui maintenait un minimum de rationnalité et il tombe dans le solipsisme à mesure que le contenu de ce fantasme devient de plus en plus pauvre).
Ce qui est intéressant dans le film c'est aussi une manière pour Kurosawa de lier vision et imaginaire à une forme de culpabilité biblique voire de malédiction religieuse (la mère au début expie le délire de son fils avec lui, les inserts de la maison sur la col'ine qui testent chaque hypothèse architecturale en voilant la mort du fils bien sûr, mais aussi le piège du suicide simulé qui répète finalement la situation du tramway sur un thème existentiel en apparence plus moral et sérieux, pour cela irreprésentable quand le mur de la maison de la mère est tapissée de dessins de trams qui filtrent et modifient la lumière du dehors). Cela se retrouve aussi dans Je ne regrette rien de ma Jeunesse (les inserts sur les mains de la fille qui jouaient dans sa première vie Moussorgski au piano alos qu'elle est au plus bas, à travers la question sociale il s'agit pour elle d'expier cette sensibilité esthétique qui devient un motif secret de honte *) voir l'Idiot où le passage clé est la scène où Michkine perçoit à tort le vrai Rogojine comme une hallucination (ce qui lui sauve la vie, mais indique aussi que sa faiblesse morale est insurmontable).
*Il y a , un peu dans la même idée, une brêve scène comiquement masochiste dans Dodeskaden dans laquelle un peintre, avec des allures à la Jacques Tati, figurant sans doute Kurosawa lui-même, est chassé sans ménagement du plan par le "tram". Mais jugé comme inutile voire intrusif par son personnage et exclu du film dans sa fuite les pieds de chevalet, par la manière dont il l'emporte, prennent alors un court moment la forme d'une étoile...