J’ai reçu cette œuvre comme une illustration par l’image du Mythe de Sisyphe de Camus, essai dans lequel ce dernier illustre sa philosophie de l’absurde : notre recherche de sens dans ce monde étant vouée à l’échec, quelle est l’attitude à adopter ? : «
Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. » Plus que la citation de Camus dans le film, l’omniprésence d’un mouvement morbide, et d’une atmosphère étouffante, apathique, me semble justifier ce rapprochement.
Le film s’incarne en effet dans un mouvement circulaire : Il s’ouvre par une mort dans les airs aux mains du professeur, du père, et s’achèvera de la même façon. Ce qui « justifie » ce mouvement, cette « répétition » est, à mon sens, une recherche bien plus stimulante que le background SF et le mystère qui entoure les Kildren.
Ces personnages qui se ressemblent tous, aux traits androgynes et fins, et pourtant presque grossiers. Kaanami, un des principaux protagonistes ne possède pas une silhouette élancée, musculeuse, il est avachi, rond, comme le film. Il est flagrant de constater à quel point l’animation est dépouillée, résiduelle : chaque plan est un tableau au sein duquel on isole soigneusement une partie, signifiante, en laquelle est insufflée un mouvement (une vie ?). Cela contraste violemment avec les scènes d’action (quelles merveilles par ailleurs, c’est à montrer partout tellement c’est à tomber de justesse) où tout est mouvement, où tout est danse, mortelle, mais ballet aérien.
Cette signifiance, ce sur-symbolisme de tous les instants résonne avec l’obscurité volontaire de l’intrigue, ce jeu de piste abscons, n’étant qu’un jeu de dupe, une illustration « littérale » de l’absurdité de notre situation. Je ne sais pas si je réinterprète le film ici mais j’ai le sentiment que la lourdeur métaphysique, le silence quasi-grotesque des personnages face à des questions volontairement est voulu, et contribue à créer des images, en les dépouillant justement du symbole, par un espèce de glissement qui s’articule autour de la mise en scène. Je rejoindrais à ce moment Tom, qui illustre pertinemment cela dans sa critique :
tom a écrit:
Il reste une image poétique du symbolisme, de ce qu’est le symbolisme : la tête qui se centre soudain dans le plan fait exploser la symétrie et l’aspect conceptuel de l’image, les yeux grands ouverts en transe évoquent la pythie... Or, dans ce long monologue, le personnage livre, texto, toute une partie des réponses aux raisons cachées des péripéties. Mais le plan transpire tellement la symbolique, la signifiance, qu’on prend en fait d’abord son discours pour une simple parabole, pour une fable ! C’est un retournement magnifique opéré par la mise en scène, car c’est justement le but : ce qui intéresse Oshii dans cette explication que le personnage nous donne, ce n’est pas le contenu de la révélation, mais bien la poétique de ce qu’elle installe. Ce glissement est juste incroyable.
Surtout que ce symbolisme sacralisé par les mots s’incarne dans un « quotidien », dans l’image, dans le pouvoir d’évocation qui transpire de scènes quasi-anodines : . L’ensemble est profondément casse gueule, puisqu’on se situe toujours sur une ligne de faille, en se questionnant sur l’effet de citation, le propos métaphysique, ou le glissement vers quelque chose de bien plus, grand, de bien plus dépouillé.
Le teacher, l’adulte avec lequel on ne se confronte qu’au-dessus des nuages ne vaut pas par exemple pour le mystère (qui est il ?) mais pour le Mystère qu’il incarne. La confrontation à l’inconnu, la puissance de la révolte, du mouvement. C’est d’aillleurs ici que se situe la chose, le mouvement, qui fait que l’on n’interroge pas le symbole trivialement, directement (le père, le combat, l’élévation, l’aspect phallique de ‘avion etc etc etc) mais plutôt le mouvement qui va vers cela. C’est là que se situe, à mon sens, toute la richesse du film, et la valeur de son propos.
Cette guerre que l’on regarde à la télé, où tout est joué, par l’intermédiaires d’avions jouets que remplissent des adolescents qui s’imaginent immortels, et qui ne font que répéter les gestes d’autres afin de trouver le sens dans ce monde sans repères. Elle n’aura pas d’issue, elle rugira toujours paisiblement en arrière-plan, comme ce petit vieux assis sur les marches, ou cette mère qui attends au sol. Reste la révolte, reste l’Autre. Ce n’est pas pour rien qu’à la fin, Kusanagi refuse une cigarette
« La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux. » Gros morceau, qui, bien qu'un peu austère et dansant sur quelque chose de fragile, arrive à toucher quelque chose de précieux.