Dans Seven, il y a cette très brève scène en guise de transition ou d'introduction vers la suivante dans laquelle le tueur en série appelle le standard de la police et on l'entend dire "I've gone...and done it again". Et je m'imagine Pete Docter m'appeler et me dire la même chose, m'annonçant que j'allais une nouvelle fois chialer ma race devant un de ses films.
Dès sa première séquence, Soul s'avère un tant soit peu atypique pour un Pixar, ou même pour un film d'animation. Une relativement longue introduction nous présente le quotidien blasant du protagoniste mais également d'emblée l'étincelle, illustrée par le biais de la musique diégétique, qui s'avère la clé du film. Et de l'existence?
Oui, c'est ce genre de film.
C'est le genre de film dont le sujet, les thèmes et le propos se prêtent aisément, mais surtout logiquement, à de grandes phrases un peu niaises ou connes sur la vie. Parce que c'est le genre de film qui parvient à traiter de ces questions avec simplicité et brio par le biais d'un langage universel qui supplante toute tentative de prose. A l'écran, une graine de sycamore tournoie dans les airs et tout est dit.
En suivant un personnage craignant être passé à côté de sa vie et qui cherche désespérément à lui donner un sens, Pete Docter offre une nouvelle fois à Pixar un de ses films les plus matures mais aussi, simultanément, l'un des plus étranges et des plus simples, armé d'un propos d'une évidence et pourtant d'une beauté indéniable.
L'âge du personnage principal n'est jamais donné mais ses cheveux grisonnants ne trompent pas. Et si ce n'est pas le premier Pixar à prendre comme un héros quelqu'un qui a entamé la deuxième moitié de sa vie (Docter lui-même avait un membre du troisième âge comme protagoniste de Là-haut), ou à parler de crise de la quarantaine (Bob Parr dans Les Indestructibles), cette fois, il n'est pas associé à un enfant. Le film conserve la formule de 14 des 23 films de la firme en optant pour la dynamique du buddy movie mais ne vise pas nécessairement les (beaucoup) plus jeunes. Coco s'attaquait déjà à des choses difficiles mais le faisait tout de même au travers des yeux d'un enfant et d'un voyage dans un monde fantastique à plus d'un titre. Or, le monde caché qu'il nous est donné de découvrir dans Soul revêt un aspect résolument différent.
Dès ses premières scènes, le film impressionne par le soin apporté à la photographie, à la lumière. Aujourd'hui, un tel degré de photoréalisme n'est presque plus une prouesse, c'est même attendu, mais ici la technique sert le propos. Dans les scènes situées dans le monde réel, tout est conforme à la réalité, dans le design et les textures, à l'exception des êtres vivants. En un sens, on est plus proche du parti-pris d'un Tintin de Spielberg que de tout autre film d'animation en images de synthèse qui se déroule dans le monde réel, tel que Les Indestructibles ou même les scènes du monde réel de Vice versa de Docter lui-même. Cette minutie réaliste s'oppose à l'épure des passages dans le monde des âmes où Docter pousse encore plus loin l'abstraction abordée dans son précédent film.
Non seulement les âmes apparaissent comme des versions simplifiées des personnes qu'elles incarnent, quand elles ne sont pas de simples boules sur pattes, mais le tracé des "employés" de ce que le film appelle The Great Before rappellent le personnage de La Linea, une silhouette tracée d'un seul trait. Ce minimalisme protéiforme propre aux dessins-animés que l'on regarde enfant rime avec un retour aux origines (quand l'âme de Joe tombe, elle se voit passer par une illustration en dessin 2D). Il n'est pas question ici de la vie après la mort, Pixar ayant déjà traité cela avec Coco, mais de la pré-existence. Ainsi il n'est pas tant question d'accepter sa mort mais de comprendre pourquoi l'on vit.
A l'instar de son approche visuelle, les choix musicaux témoignent de cette même dichotomie. La bande-originale du monde réel est signée par Jon Batiste, musicien de jazz, tandis que le Great Before est accompagné d'une partition composée par Trent Reznor et Atticus Ross (!). Une nappe éthérée qui peut paraître planante mais qui possède aussi ce ton un peu new age corporate comme une pub Grammarly, doucereux mais factice. Ce n'est pas un hasard, les employés disent que le Great Before a été rebaptisé le You Seminar comme une opération marketing. Et quand ils ne font pas dans la musique d'écran d'accueil de PS4, Reznor et Ross osent des morceaux qui mettent encore plus la pression que ceux de The Social Network.
En un sens, le film n'hésite pas à montrer ce que cet endroit peut avoir d'étrange mais également d'effrayant et fait d'ailleurs de l'au-delà un inconnu insondable et menaçant. Un tapis roulant vers une grande lumière blanche où les âmes disparaissent dans un "bzzt" comme des insectes grillés par une lampe tue-mouches. Une illustration étonnante venant de Docter qui est un chrétien dévoué. Par conséquent, avant même d'en faire son propos dans le texte, Soul exprime déjà formellement que la vie vaut davantage la peine que tout autre plan de l'existence.
Narrativement, cela se manifeste d'abord de façon déroutante. Passé le premier acte, le film semble effectuer le même genre de virage que Là-haut dont l'incursion de chiens qui parlent via un dispositif sorti de la science-fiction pouvait jurer avec l'épure narrative et l'ancrage émotionnel du premier tiers. Un rebondissement ramène le récit dans une intrigue de film d'animation plus attendue (et un genre de comédie un peu éculée que nous ne spoilerons pas) mais il s'avère en réalité que le changement de décor était nécessaire. On pense vouloir passer la majorité du film dans le monde des âmes tout comme on passait presque l'intégralité de Vice versa dans le monde de l'esprit mais le propos de Soul est justement que la vie vaut la peine d'être vécue, que la vie prévaut sur le reste, d'où la nécessité de passer une grosse partie du récit dans le monde réel et d'avoir recours à un dispositif favorisant l'évolution des personnages dans ce sens.
Une des forces de Pixar a toujours été de puiser dans l'imaginaire collectif (les jouets qui vivent une fois qu'on a le dos tourné, les monstres dans le placard, etc.) et c'est une nouvelle fois le cas ici pour certains gags mais aussi pour certaines idées qui participent à la création d'un univers avec ses règles propres. Toutefois, à l'inverse de Vice versa, dont le concept offrait un double niveau de lecture (pour citer le plus déchirant : à l'écran, Bing Bong se sacrifie pour que Joie puisse s'échapper, en réalité, Riley grandit et oublie son ami imaginaire), Soul se fait moins complexe et opte pour un dépouillage narratif et une succession d'événements frugaux qui tendent à l'universalité mais surtout qui ont pour objectif de composer une ode à la vie, dans ce qu'elle peut avoir de plus simple, de plus élémentaire. Ces choses que l'on prend pour acquis sont de petites merveilles du quotidien. Et le sens de la vie est dans la vie elle-même.
Oui. Je vous avais prévenu.
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