Je n'avais pas encore posté dans ce topic parce que je ne savais sincèrement pas quoi poster.
Son apparition même m'a surpris, non pas que je ne fusse pas au courant, loin de là, mais j'en suis venu à me poser plein de questions. Est-ce qu'on devrait ouvrir ce topic? Benjamin avait annoncé sa maladie sur Facebook, où la liste "d'amis" est bien plus large que ce terme ne l'entend, et postait régulièrement à ce sujet. Je me disais alors que les personnes qu'il voulait informer de sa condition étaient tenues au courant par lui-même, mais il est indéniable qu'il a été un membre important de ce forum et qu'il n'y passait plus. Or, si l'on s'interroge, pour ne pas dire s'inquiète, du sort de Karlito, qui avait évoqué lui aussi être concerné par la question du cancer, et si l'on s'émeut du décès d'Alabama, emportée elle aussi par le cancer, il est naturel que l'on soit intéressé par ce qui arrivait à un autre pilier de ces murs.
Par conséquent, je me suis demandé pourquoi je ne l'ai pas fait moi-même, ce topic? Est-ce que ce n'était pas à moi de le faire? D'assurer cette tâche en son absence? Était-ce ma place? Qu'aurait-il voulu? Qu'attendait-il? Cette culpabilité m'a renvoyé à celle ressentie les premiers jours après l'annonce, lorsque j'appris que Benjamin m'en voulait vis-à-vis de ma façon de traiter cette nouvelle situation : j'avais fait comme si rien n'avait changé. Ce n'était pas parce que j'étais dans le déni ou mal à l'aise, du moins pas consciemment, mais parce que, de mon point de vue, la seule chose que je voulais changer, c'était ses idées. Je ne voulais pas le traiter comme un malade mais visiblement c'est quelque chose qui lui a manqué lors de cette première phase. Il faut dire que les réseaux sociaux rendent les choses particulièrement "bizarres". La vie adulte, le travail, les enfants, la distance (encore que, nous étions tous deux parisiens) avaient fait en sorte que nous nous voyions forcément moins fréquemment qu'à une époque mais on se parlait presque quotidiennement en ligne mais jamais en se disant même le plus automatique des "ça va?" et je ne me voyais pas soudainement switcher là-dessus avec une question aussi stupide au vu de sa situation. Je lui disais que je n'avais pas envie de m'enquérir de son état, que j'avais envie de le voir, de le prendre dans mes bras, de mater un film avec lui, de discuter, etc.
Parce que justement, pour moi, Benjamin n'était pas Ozymandias. Ce n'était pas qu'un pseudo, un simple pilier du forum. La troisième question qui me freinait à écrire quoi que ce soit ici est d'un égocentrisme fini et ridicule : qu'est-ce que j'aurais bien pu écrire ici pour signifier que ma peine est plus grande que la votre? Et au fond, quel intérêt? Et maintenant que j'écris ces lignes, je tiens à m'excuser pour ces propos auto-centrés nourris par la douleur et la colère mais je ne sais pas comment exprimer mon ressenti vis-à-vis de cette expérience bouleversante autrement que par un prisme des plus subjectifs et injustes.
Avant ce forum FDC (et son ancêtre né à l'été 2002 et remplacé à l'été 2005), il y avait le forum Première. Je m'y suis inscrit en juin 1999. Je ne me souviens pas quand Benjamin s'est inscrit. À vrai dire, je ne me souviens pas particulièrement de nos échanges avant le mois d'avril 2002. Ce dont je me souviens, c'est qu'il y a eu un GRF, quelques jours avant la projection de presse de Blade II, que c'était la première fois que nous rencontrions Benjamin. Je ne sais pas pourquoi ce n'est pas moi qui ai été à l'initiative de la proposition et je m'en suis toujours voulu par la suite, comme s'il s'agissait d'un péché originel de notre relation, mais Billy Hayes l'a invité à s'incruster à la projection avec nous. Sortant extatiques du film, on a dû débriefer, je me rappelle pas exactement. Ce dont je me rappelle et que je n'oublierai jamais, c'est qu'un soir dans les jours qui suivirent, au détour d'un message random, Benjamin a évoqué qu'il habitait pas loin de chez moi. Il habitait au 97 avenue Philippe Auguste. J'habitais au 129 boulevard Voltaire. 11 minutes à pied. Et sur un coup de tête, alors qu'il est 22h, je lui propose de passer chez lui.
Il y a un épisode de la 3e saison de Friends dans lequel Joey, queutard invétéré, raconte aux filles qu'il a passé la soirée avec une jeune femme et, qu'à l'étonnement de tout le monde, il n'a pas couché avec elle. Ils n'ont fait que parler. Et les filles lui répondent qu'il a eu "The Night", ce moment où deux personnes s'enivrent de leur rencontre, se découvrent en tchatchant pendant des heures. Lorsque j'ai découvert le forum Première, même si cela faisait déjà quelques mois que j'étais en 1ère Option Cinéma, c'est la première fois que je trouvais des gens "comme moi". Enfin je pouvais converser avec des malades mentaux de mon espèce. Des cinéphiles obsessionnels qui attendent la sortie d'un film comme les quidams attendent les jours fériés. Cette nuit avec Benjamin, c'était la même chose en plus niche encore. Nous nous sommes découverts, comme deux fétichistes osant s'avouer que (pour caricaturer) "les classiques c'est bien mais putain on vit pour des films comme Blade II".
Je me souviens avoir dit une fois à iamtheprincessofcanada, une amie dijonnaise de Benjamin à qui il avait parlé du forum et qui s'était inscrite ici et de qui j'étais devenu assez proche à une époque, "c'est tellement dommage que ce soit pas une meuf" et elle m'avait répondu "mais tu sais qu'il dit la même chose de toi?". Aurions-nous été plus sexuellement fluides, peut-être notre vie aurait-elle été complètement différente mais en l'état, la vérité demeure que c'était plus qu'un ami, plus qu'un de ces meilleurs amis avec lesquels on partage des références récurrentes communes et des expressions cultes et tout un langage où un simple mot suffit parfois comme raccourci à évoquer quelque chose et déclencher un fou rire ; Benjamin était mon âme sœur.
Fast-forwardons 20 ans d'amitié et de bonheur (un nombre incalculable de films, dans ma chambre chez mes parents ou dans son studio, un festival de Deauville aux blagues légendaires, les vendanges dans les vignes de son oncle...je me souviens exactement où j'étais et où il était dans ma chambre quand il m'a annoncé qu'il allait être papa, c'était le premier de mes amis à avoir un enfant et je me rappellerai toujours la première rencontre avec son premier né, et les jeux que je faisais avec ce dernier puis avec son deuxième fils et combien de fois ai-je ressorti ce projet de BD que nous avions développé ensemble?) pour arriver à cette dernière année et demie où je ne peux compter que sur les doigts d'une seule main le nombre de fois où j'ai vu Benjamin. Longtemps, c'est la colère qui m'a habité, mes demandes de le voir se soldant au mieux par un "peut-être" suivi de rien et au pire par un silence. Une colère coupable car bien évidemment libre à chacun de vivre sa maladie comme il le souhaite. Et ce n'est que récemment que j'ai appris qu'il s'était délibérément coupé de ses proches, se renfermant sur lui. Et j'ai eu honte.
Ce n'est qu'à l'hôpital que j'ai pu le voir, une première fois au début du mois, passant plus d'une heure plus étrange que triste à discuter avec une personne qui était en apparence tout à fait normale et bien portante, en jean et pull Die Hard, mais qui n'était cohérente que 20% du temps, me parlant de sujets difficiles à raccrocher à une réalité présente, parlant de moi à la troisième personne comme s'il parlait à quelqu'un d'autre, parlant de mes "filles" (j'ai un garçon et une fille), me vouvoyant à un moment... De mon côté, j'essayais de le ramener sur un terrain de discussion maîtrisable en évoquant des gens, des souvenirs, et lorsque je lui remémorai une anecdote vécue avec lui et son fils, il rit, et une blague déclencha même un fou rire. L'espace de quelques secondes, c'était à nouveau Benjamin, mon Benjamin, et c'est là que l'émotion m'a submergé, parce que je réalisais ce dont j'étais dérobé.
Son état s'est détérioré à une vitesse exponentielle et quand je l'ai revu ce jeudi, il n'était plus du tout le même. Je me réjouis d'avoir pu le voir une fois avant ça. Je me déteste de ne pas l'avoir vu davantage avant. Quelle injustice. 44 ans. Une vie saine. Un vrai gentil. Un cerveau brillant. En le voyant comme ça, je lui ai souhaité, à lui et à ses proches, le plus rapide soulagement. Et ce soulagement est arrivé aujourd'hui.
Mes pensées vont à sa merveilleuse compagne et à ses trois fabuleux garçons.
Et contrairement aux bêtises que je disais plus haut, je suis content qu'il ait pu toucher, même à un niveau infinitésimal, des gens derrière leurs écrans. Après tout, c'est comme ça que je l'ai connu. Et qu'il est devenu une des personnes les plus importantes de ma vie.
Je t'aime, Benjamin.
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