Très bon film, le meilleur de l'année pour moi. Film politique dense, dialectique, et en même temps hyper-nerveux.
Il y a un aspect assez foucaldien. On sent que les deux enquêteurs principaux nourrissent une certaine sympathie politique pour le personnage de Reality (en tout cas ils d'adressent en permanence à elle comme on le ferait à une jeune collègue prometteuse mais paumée, peut-être par ruse, mais on sent l'habitus derrière), mais renforcent ainsi la logique punitive qui pèse sur elle. Soit par calcul, soit par naïeveté, ils l'amènent ainsi à exposer sa conscience politique qui devient alors le mobile d'un crime, ce qu'il leur fallait établir. Leur écoute devient la ruse par lequel l'empathie met en scène, de façon sadique, sa propre impuissance à sauver l'autre, le réduisant à être un enjeu de connaissance, épuisé par celle-ci. Le "what" et le "how" sont criminels - le "why pourrait par contre vous sauver disent-ils d'ailleurs. Mais ne la sauver qu'à leur yeux seuls d'individus agacés par le populisme montant, en marge de la loi qu'ils représentent eux-même. Seul ce regret constitue les flics en personne privée, c'est un sentiment, qui laisse une trace sur les enregistrements sonores, mais se résorbe aussi dans leur seule écoute, il ne peut être considéré par la justice comme une circonstance atténuante, le pardon au nom des valeurs politique possible deviendait la preuve d'une préméditation. Le pardon est bien le contraire de la loi, la limite de celle-ci, alors qu'il émane pourtant de ses représentants.
Il y a une similitude assez frappante entre ce film et Oppenheimer. Les deux personnages sont intellectuellement jaloués et admirés par ceux qui les surveillent. Et leurs hésitations, voire les limites de leur compétence professionnelle, sont retournés comme le signe d'une possible compromission idéologique, d'une concession à l'ennemi. Elles se prêtent toujours au sous-entendu. Rendue visible la fagilité et le doute deviennent aussitôt une intention et une dissimulations toujouts possibles - ainsi qu'une séparation individuelle de l'expert sur la société qu'il ert. . Oppenheimer refuse de développer la bombe H et se concentre sur la A, est-ce vraiment par manque de moyen et de temps ? De même, ici, le flic apparemment le plus sympa est aussi le plus cruel, quand il sous-entend que Reality a peut-être choisi un chien capable de détruire des papiers par calcul, par préméditation. Même ambiguïté quand l'autre flic relève que le téléphone est sans mot de passe - sa notion abstraite de la donnée (qui se confond peut-être avec une paresse) explique alors implicitement son choix politique anti-trumpien, elle devient un motif - d'ailleurs le flic raisonne finalement plutôt correctement.
Dans les deux cas, ce reproche adressé à la subjectivité du pouvoir, qui ne se manifeste que par une faiblesse, ou une incapacité, prend une couleur singulière à l'heure de l'intelligence artificielle. Car l'idéologie est finalement une objectivité, désirée à la place du sujet qui est éliminé - elle ne demande pas à être pardonnée, mais juste établie. Les enquêteurs reprochent à Reality et Oppenheimer leur caractère inconnaissable et impulsif, leur ressemblance au communs. Is sont au-dessus d'eux, mais eux même des sujets, selon un double sens qui peut être psychologiquement perçu avec compassion, mais est aussi politiquement suspect - la finitude ou la prudence deviennent des signes possibles d'ine allégeance envers l'autre. Le flic le plus "gentil" est aussi celui qui utilise le terme "ennemi" pour qualifier cet autre qui nous surplombe mais pour cela ne doit rien savoir de nous. C'est que l'institution qu'il sert est aussi fragile et démunie face à la technologie que la vie privée des sujets individuels.
Il faudrait qu'il existe une parole technique, experte, pour cerner à la fois la conscience politique et les valeurs morales d'un homme ou d'une femme pour que celles-ci soient pardonnées par le pouvoir lorsqu'elles errent. Et c'est peut-être ce pardon que l'on fixe comme horizon omolicte à l'intelligence artificielle. Les policiers poursuivent bien une formule orale, essayent naivement de la trouver, pour innocenter Reality avant son procès, mais bien-sûr en vain. ils se rabattent sur le small talk sur les chiens et les chats pour compenser, s'excuser dès le début.
Reality est bien coincée entre son chien d'un côté (son passé, sa famille), son ordinateur (son métier) et la loi qui la juge (son avenir, hors-champ) - c'est comme sujet irrédictibles à ces trois pôles qu'elle est punie. Et les flics, en lui faisant comprendre qu'ils sont aussi contre Trump, en voulant être reconnus par elle, l'enfoncent encore plus, car cette reconnaissance est suspecte, elle est un pouvoir qu'elle usurpe sur eux, dont ils forcent la manifestation - ils constituent par leur demande d'écoute la voie de fait.
Par ailleurs Reality fait un métier où elle pourrait à présent être remplacée par une machine et un logiciel (on peut penser que son métier est aussi de l'entraînement de logiciels de traduction vu qu'elle travaille sur des données déjà classées)- sa vulnérabilité politique individuelle est annonciatrice d'une vulnérabilité technologique plus collective. Et, lorsqu'on lit les documents papier sur l'écran, la faille qu'elle a fait fuiter est d'ordre avant tout logiciel : un trojan diffusé par une macro Visual Basic dans des documents Word, qui utilise PowerShell pour envoyer des infos par Internet. Soient des logiciels extrêmement courants, très répandus à l'heure actuelle dans les administrations publiques européennes, par Sharepoint notamment, qui se révèlent aussi invasifs que vulnérables. On peut se demander si elle n'a pas payé aussi et surtout le fait d'avoir affaibli l'industrie logicielle américaine, exposé le fait que la NSA s'appuie sur des logiciels Microsoft des plus banals, assez mal sécurisés. Une base de données à l'ergonomie visiblement douteuse qui empêche un filtrage adéquzt des droits d'accès aux document, des commissions électorale espionnée par du VBA. On ne lui reproche pas, comme le dit Lohmann d'avoir surestimé ou sous-estimé l'ingérence Russe, là n'est pas la question, mais d'avoir indirectement révélé que les logiciels ciblés sont des passoires.
A rebours, elle gêne les flics au moment où elle leur mentionne son usage de Tor . C'est la seule fois où ce sont eux et par elle qui se tranforment en glitch s'évanouissant à l'image. Elle dit cela avec un demi-sourire, sachant sans doute que Tor est plutôt lié au porno masculin (entre parenthèse c'est une connerie ou une provocation de sa part de l'utiliser car le protocole de ce VPN a été configuré par la NSA, et le traffic passe vraisemblement par celle-ci d'une manière ou d'une autre). C'est aussi le seul moment du film où l'humiliation, qui circule comme un flux et qui lui est infligée comme femme par ces mecs correspond à celle qui est infligé aux flics masculins comme représentant d'une institution, elle-même décapitée par Trump, qu'elle venge à leur place d'une certaine manière. La conscience de la fragilité démocratique fonctionne comme une contamination, et l'attachement aux institutions qui garantissent le droit et la liberté nait en fait d'elle. Ces institutions sont, face à l'arbitraire, sans autre fondement que la valeur qu'on leur prête - une valeur ne signifie qu'elle-même, son origine se confond avec son sens (ce que les flics veulent séparer - l'autonomie du "pourquoi" serait l'inaccessible innocence, fonctionnant comme une mat!ère, un introuvable filon d'or).
Après je crois que le pari de partir des dialogues réels n'est pas si central ni original. Il y a un travail d'écriture classique finalement (les bips qui font que les mots Trump et Russie ne sont jamais prononcés, l'ellipse du deuxième jour) et la musique est tfop dirigiste
_________________ Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ? - Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.
Jean-Paul Sartre
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