flatclem a écrit:
J'ai un peu de mal a les départager. Tous les deux longs et fascinants.
Les 7 samouraïs dure 3h27 mais
Rashomon c'est 88 minutes.
Et c'est fou tout ce que le film emmagasine en 88 minutes alors que le précédent peinait à remplir 1h44.
D'autant plus qu'il y a pas mal de points communs entre les deux d'ailleurs, il est encore une fois question de perception, d'un procès, de rédemption et d'honneur (bon, ça j'ai l'impression que c'est inévitable dans un film japonais surtout chez Kurosawa et surtout à cette époque). Le film rappelle également
Les Hommes qui marchèrent sur la queue du tigre pour son décor principalement sylvestre et son jugement mais il est fascinant de voir Kurosawa surenchérir sur tous ces éléments en adaptant pas une mais deux nouvelles qu'il mélange afin de créer un niveau de mise en abyme supplémentaire (compte-rendu de témoignages eux-même illustrés par des flashbacks #Nolan&SorkinLikeThis) et donc de réflexion même sur la narration.
SPOILERS DE PARTOUT
Mais avant d'en venir au sous-texte, parlons du texte. Il est amusant de voir comme le concept du film a été galvaudé par tous les films qui s'en inspirent. En réalité, le récit ne cherche pas vraiment à confronter les points de vue afin d'arriver à la vérité. Il n'est pas tant question de subjectivité mais clairement de mensonge. Les personnages ne racontent pas leur vision des faits, ils fabulent pour se donner le beau rôle, quitte à revendiquer la responsabilité du crime. C'est tout de même incroyable d'avoir un film de procès où les suspects ne s'accusent pas les uns les autres mais eux-mêmes pour cacher une vérité moins reluisante du point de vue de l'honneur. Une fois de plus, le cinéaste montre comme ces codes vrillent les individus jusqu'à l'irrationnel. Même le fantôme du défunt ment! Idée géniale d'ailleurs, juste avant que ça arrive, je me disais "putain faudrait faire un film où le fantôme de la victime témoigne à la barre" et boum, il le fait via cette idée osée du chaman. C'est incr.
Les archétypes choisis servent la démonstration et le propos de Kurosawa - samouraï, bandit ou femme, personne n'est innocent - au même titre que ceux de l'autre trio du film - travailleur, moine et manant - qui se posent en commentateurs et même en juges, comme le spectateur est amené à l'être par le dispositif de mise en scène (les scènes de procès étant toutes filmées du même point de vue, les témoins s'adressant au quatrième mur). Et celui d'entre eux qui a également témoigné a également menti... Ces jurés, c'est nous, et donc Kurosawa nous soumet au même regard, au même jugement, à la même leçon : ne laisse pas ton ego avoir raison de la vérité, ne sois pas égoïste, fais le bon choix. Et le travailler se rachète en adoptant le bébé ex machina et la pluie cède la place au soleil. #narrationparlanature
Si les séquences de témoignages arborent une forme délibérément rudimentaire, les flashbacks dans la forêt sont d'une beauté plastique à tomber par terre. Kurosawa marie l'expressionnisme allemand à un décor naturel, exploitant à merveille sans les surfaire les ombres des branches et feuillages et la lumière perçante du soleil comme autant de formes qui rendent les protagonistes troubles. C'est vraiment une des plus belles photographies en N&B que j'ai vu, qui ne perd rien en profondeur ni contraste, qui réussit à retranscrire tout ce que la nature peut avoir de luxuriant, d'imposant, d'étouffant. Et bien évidemment, Kurosawa s'en donne à cœur joie dans les compositions triangulaires, multipliant les variations au fur et à mesure que les rapports et dynamiques changent selon les témoignages. Du pain béni pour Akira. Je suis vraiment curieux de voir à quoi vont ressembler ses films en 1.85 ou en Scope (s'il y en a).
Je lis que le film compte 407 plans et que c'est à peu près le double des films de cette époque et le découpage n'a effectivement pas pris une ride.
Shit, même le duel version pathétique bénéficie d'une chorégraphie pitoyable parfaite. Sans oublier les scènes au "présent", situées dans cette arène hautement iconique de la porte de la cité (traduction littérale du titre) en ruines et sous une pluie torrentielle, symbole d'un monde détruit appelant au pessimisme (cf. les tragédies évoquées par le moine) au même titre que cette histoire de viol, meurtre, trahison et mensonges, mais où il est également possible de tout reconstruire.
Je l'avais vu il y a plus de 20 ans et n'en gardait aucun souvenir si ce n'est que j'avais trouvé ça bien sans être à donf et la prestation hilare de Mifune (qui tranche d'ailleurs avec ses autres performances chez Kurosawa). Une bien belle redécouverte.