J'avais kiffé la version condensée à l'époque et, alors que j'avais acheté le Blu-ray anglais de la version complète il y a près de 15 ans, je ne l'avais encore jamais maté. Quelle meilleur moment de la découvrir qu'au sein de cette rétrospective intégrale?
Red Cliff, c'est vraiment le film du grand retour pour Woo.
Retour après 5 ans d'absence, retour en Chine, retour à l'écriture, retour aux origines avec un retour aux films d'époque de ses débuts et qui plus est une adaptation d'un des Quatre Romans Chinois Classiques. John ne revient pas par la petite porte quoi. C'est le grand retour mais aussi un retour en grand, avec pas un film mais deux.
Je ne sais pas si les 4h30 étaient entièrement nécessaires et je ne saurais vraiment comparer car je n'avais aucun souvenir de la version sortie en salles en France à l'exception de la scène de cithare donc je vais m'appuyer sur ce que j'en disais à l'époque :
Film Freak a écrit:
Je sais pas à quoi ça ressemble dans la version intégrale mais tu sens dans ce début, avec cette voix off explicative et ces cartons qui s'inscrivent pour présenter chaque perso, que c'est le bordel et que ça essaie de simplifier le truc. Donc au départ, tu fais quelques efforts pour suivre (surtout quand t'as des persos qui ont DEUX noms, genre Kwong-ming qui s'appelle aussi Zhuge Liang, bref) mais finalement, on s'y fait vite.
Cependant, je suis évidemment très curieux de voir la version intégrale car s'il y a bien un bémol dans cette version de 2h30, c'est le manque d'approfondissement des persos. Ils sont bien en plus, ils sont charismatiques et finalement bien définis mais, à part pour Liu Bei et Zhou Yu, c'est un peu le strict minimum.
Il y a des films pour lesquels on dit que ça "manque de respiration", que ça se précipite d'un
plot point à un autre, d'une péripétie à une autre (j'ai pensé pendant le film aux
Trois Mousquetaires, qui bénéficiait pourtant de deux films),
Red Cliff - Première partie est un film qui respire comme lors d'un exercice de relaxation. Les premiers plans annoncent déjà la couleur : finie la photo '80s de ses films HK d'antan, adieu la photo '90s de ses films US, John Woo va signer son plus beau film d'un point de vue formel, laissant les plans durer, profitant au max du direction artistique
-porn constitué par les décors et costumes. Il ne se passe rien et c'est déjà majestueux.
Arrive un premier morceau de bravoure, véritable étalage de
badasserie sur une vingtaine de minutes, qui semble autant une réponse aux chichiteries alors récentes de Zhang Yimou qu'à la vague des épopées américaines post-
Gladiator (et qui recycle le coup du bébé de
Hard Boiled!), mais après cela, il faudra attendre d'être à 1h30 de film pour que la guerre commence vraiment.
Ces derniers temps, j'ai souvent signalé dans mes critiques l'incompréhensible arrivée tardive de l'incident déclencheur ou du vrai postulat d'un film mais ici, je ne me suis pas fait chier une minute alors même que plus de la moitié du métrage est consacrée à l'exposition des personnages, à la rencontre des différentes forces en place et aux pourparlers. On est à deux doigts du téléphone arabe, avec le bras droit de l'un qui va démarcher un autre qui doit s'entretenir avec un troisième pour prendre sa décision...et c'est passionnant?
C'est parce que ce cérémonial, qui prend ses aises et donc tout son sens en version longue, est précisément le sujet du film. Les scènes de bataille deviennent accessoires à un récit sur les alliances et l'union plutôt que la division.
In a 1994 interview with Transpacific magazine, Woo stated that his dream was to direct a version of Romance of the Three Kingdoms, citing his goal of wanting to bring Chinese people together and diminish political infighting. Si j'en crois le Wikipédia français, l'adaptation s'éloigne parfois de manière importante du roman,
"comme en montrant les relations très cordiales, presque d'amitié, entre Zhou Yu et Zhuge Liang. Le roman au contraire décrivait Zhou Yu comme jaloux à en mourir du talent de Zhuge Liang, au point de vouloir l'humilier durant la bataille." Leave it to John Woo de s'approprier le matériau (et l'Histoire!) en appliquant sa thématique de la fraternité née au combat pour mieux servir son propos politique. Ici, les protagonistes ne sont plus de simples individus prêt à se battre pour la bonne cause ou contre un bandit mais des stratèges qui représentent des royaumes (le récit se concentrant donc plutôt que sur Zhou Yu et Zhuge Liang que sur les dirigeants Liu Bei et Sun Quan même si ce dernier a son arc - lol - tout comme sa sœur). Par conséquent, les notions de loyauté mises à l'épreuve revêtent une dimension autrement plus importante, charriant en elle le sort de plusieurs populations. C'est vraiment Woo qui étend ses obsessions à une échelle nationale, c'est assez fou. Et beau. D'un coup, une scène de deux citharistes qui font un bœuf se fait magnifique.
Cet exercice concerne également l'antagoniste, Cao Cao, loin des méchants psychopathes auquel le cinéaste nous avait habitué, et davantage dans la nuance, même si ses actions définissent clairement ses valeurs, acceptant les traîtres sans pour autant les respecter, ayant recours à des méthodes déloyales et inhumaines alors que ses adversaires usent davantage de leur intellect dans leurs ruses (beaucoup d'humour dans la
Deuxième partie, que ce soit via la mission de la sœur espion, de l'agent double roulé ou bien entendu du coup des flèches) mais également, et c'est là aussi une belle notion véhiculée par le film, dans leur usage de la nature, les connaissances météorologiques s'avérant décisives dans leur victoire, comme une réconciliation de la science et d'une manifestation plus spirituelle.
Ainsi, bien qu'elle aille plus droit au but que la
Première, la
Deuxième partie continue de raconter son histoire par le biais des stratégies, Woo donnant toujours dans les jeux de miroir, reprenant même une dynamique de...
M:I-2, le méchant étant épris de la femme du héros, qu'il avait connu avant. Lorsqu'elle va de son propre chef voir l'ennemi, tu sens que c'est pour donner plus d'
agency à un personnage d'épouse mais le film n'exploite pas vraiment la question qu'il fait poser à un personnage (
"S'il tue ta femme, est-ce que tu continueras à te battre en homme de bien?"), préférant faire un
mexican standoff avec des épées. Le personnage féminin intéressant, c'est donc cette sœur qui s'infiltre dans le camp adverse et se retrouve à sympathiser avec un soldat ennemi, découvrant qu'il ne s'agit pas d'un mec engagé pour une cause mais uniquement d'un gars qui veut faire manger sa famille. Il y a un peu de
Windtalkers dans cette autre histoire de fraternité (qui défie les fonctioooons comme d'haaaaab), dans sa réflexion sur l'union vs. la division.
Je suis moins emporté par la climax avec les bateaux même si ça reste spectaculaire mais je trouve les nombreuses passes d'arme tellement plus impressionnantes dans leur chorégraphie violente mais non moins experte et lyrique, heureusement que ça se termine là-dessus.
Et sur ce dernier échange entre deux alliés par opportunisme devenus amis...mais peut-être pas pour toujours. C'est à la fois plein d'espoir et tristement réaliste (je connais pas l'Histoire, je sais pas s'ils se sont retrouvés opposés par la suite).