Du grand-spectacle (1966-1969) :
Grand Prix (1966) : un Ricain, un Rital, un Rosbif et un Froggie participent à des courses de formule 1 chacun attendant que les trois autres s’envoient dans le décor, visiblement le seul moyen de remporter une victoire éclatante. Projet totalement infaisable aujourd’hui,
Grand Prix provient de l’amour immodéré de Frankenheimer pour la France, les bagnoles et ce sport sur lequel je ne sais rien. Complètement investi, le réalisateur conçoit des caméras à même de saisir la vitesse en temps réel des coureurs et force les acteurs à risquer leur vie en pilotant eux-mêmes les voitures. L’accent est mis sur le côté mort en sursis des conducteurs et le making-of revient sur le fait que la plupart des véritables pilotes figurant dans la distribution ont trépassé au cours des années suivantes. On y voit également James Garner pourrir un gros rouquin propriétaire de bateau qui bloque une scène alors que Garner, trempé, est en train de se cailler les miches dans un choc des cultures assez significatif.
Ce n’est évidemment pas un film qu’on juge pour sa profondeur mais pour la manière dont on a utilisé le format Superpanavision 70 afin d’autant capter les scènes de courses que la gravité des conversations entre les différents protagonistes (vous n’avez jamais vu un jardin aussi grand et verdoyant que celui où Garner et Toshiro Mifune papotent). Du grand spectacle qui devient de l’hénaurme spectacle au gré des compétitions dont aucune n’est filmée comme la précédente, chacune se portant sur un aspect bien précis (le suspense, l’euphorie, le danger) relié à une fonction précise dans l’intrigue (l’exposition des différents coureurs, un amour naissant, la mort qui rode sous la pluie). Les trois heures de sa durée en font évidemment un film de digestion d’après-rôti du dimanche mais si on se laisse porter, on retrouve des sensations et de l’intérêt digne de certains classiques qui voient des hommes, des vrais, poussés dans leurs derniers retranchements, affronter les limites de leur âge et leur physique, avec une petite rasade de névrose (l’Anglais qui vit littéralement dans l’ombre de son frère mort et dans une chambre devenue mausolée à sa gloire), de glamour (on visite les vraies écuries Ferrari) et de fautes de goût (François Hardy qui joue aussi bien qu’elle chante). Et l’un dans l’autre, Frankenheimer fait le job et assure un film bien meilleur sur son propre terrain que le navet de Hawks (le seul de sa carrière)
Ligne Rouge 7000 avec ses stock-shots foireux et ses romances de prod AB. « On n’en fait plus des comme ça, du CINEMA » nous dit le petit Martin de Flushing, New York.
The Fixer/L’homme de Kiev (1968) : autre grand spectacle mais bien plus sérieux celui-ci, adapté d’un Prix Pulitzer (s’il vous plaît) et scénarisé par Dalton Trumbo qui rejoint la longue liste de professionnels bien embêtés la décennie précédente qui bossent avec le réalisateur, et qui relate l’emprisonnement d’un artisan juif dans la Russie du début des années 1910 après que celui-ci a tenté de se faire passer pour un gentil afin d’occuper un emploi pour un riche notable, a été démasqué et accusé du meurtre d’un enfant et de viol. Le propos du film tient dans la deuxième partie assez insoutenable sur la longueur, puisqu’on assiste à tous les sévices que les gardiens et les services secrets lui infligent alors que sa défense se fait éliminer dans des circonstances mystérieuses et que l’espoir même d’un procès s’éloigne au fil du temps. Inspiré d’une histoire vraie, le film évite la redite par rapport au
Prisonnier d’Alcatraz, Frankenheimer profitant du fait que les événements se situent en Russie pour faire un parallèle avec le traitement des opposants politiques de l’URSS à l’époque mais également avec la manière bien plus générale dont un état peut se servir de l’intolérance primaire pour nier des droits fondamentaux. Oui, en gros, ça parle d'antisémitisme.
La question du judaïsme est assez intéressante puisque Yakov, le Fixer du titre explique dès le début qu’il n’a ni religion ni croyances politiques ni attachement quelconque. Son dilemme, on l’apprendra, sera plutôt celui d’une faille concernant sa virilité (il n’a pas pu avoir d’enfant avec son épouse). Et au cours de son emprisonnement, il étudiera la philosophie de Spinoza pour apaiser sa peine. Frankenheimer expliquait dans plusieurs interviews qu’il avait été élevé dans la religion chrétienne (celle de sa mère, son père juif allemand) avant de s’en détacher à la fin de son adolescence et cette remise en cause parcourt toute son œuvre jusque dans le dernier film,
Sur le chemin de la guerre, avec une séquence qui désacralise une visite à l’église.
Thoret notait sur Seconds une similitude avec le style de Polanski, on peut également le déceler dans certaines séquences de
The Fixer (le chien des notables qui le harcèle tandis que la fille infirme cherche à l’amener dans son lit). Le film réussit peut-être trop bien à plonger le spectateur dans l’état d’étouffement et de claustrophobie que le prisonnier subit et on est un peu soulagés de retrouver l’air libre au final.
The Extraordinary Seaman (1969) : pas vu celui-ci qui a une réputation abominable (fait pour payer un divorce, charcuté par la production) et situé dans un genre pour lequel Frankenheimer n’a, si j’en crois le reste de sa filmo, aucune aptitude : la comédie.
À la campagne (1969-1974) :
The Gypsy Moths/Les parachutistes arrivent (1969)
I Walk the Line/Le pays de la violence (1970)De loin, mes films préférés du réalisateur, souvent associés parce qu’ils semblaient entamer une mue chez leur auteur qui n’a jamais vraiment eu lieu. Deux drames champêtres menés avec des anciennes stars vieillissantes, qui ne dépareillent pas dans le cadre du Nouvel Hollywood mais qui ont une certaine épure et un rythme remarquable avec des ruptures de ton, une liberté dans les enchaînements et un regard sombre et désabusé mais jamais pontifiant.
Un weekend de fête nationale, un spectacle complètement suranné et inutilement dangereux (des démonstrations de saut en parachute), le contraste entre la vie bourgeoise frustrée et les bars à striptease sordides, Gene Hackman jeune : pas de doute, tu es bien avec
Les parachutistes arrivent dans un film américain de la fin des années 1960.
Trois casse-cou errants s’offrent une visite dans la petite ville natale du plus jeune d’entre eux alors qu’ils préparent une représentation risquée et menacée par des averses. Un drame va survenir alors qu’on apprend en filigrane la triste histoire du jeunot (un très bon Scott Wilson qu’on retrouve aussi dans Les Flics ne dorment pas la nuit de Fleischer) et dont l’idylle avec la future Holly McClane, Bonnie Bedelia, est assez touchante. Frankenheimer parvient à magnifier la présence de Burt Lancaster en mâle alpha rien qu’en le faisant s’asseoir dans un salon et filme une scène de sexe assez inattendue entre lui et sa partenaire fanée de
Tant qu’il y aura des hommes, Deborah Kerr, mais c’est pour mieux mettre en scène sa chute dans tous les sens du terme plus loin. Les symboles d’all-american hero laissent la place à une jeune génération plus humaine. Gene Hackman tire d’ailleurs son épingle du jeu en bateleur soiffard, dragueur… et croyant, tandis que Frankenheimer parvient à restituer la mollesse des weekend de fête dans un bled paumé (avec la fanfare qui s’entraîne tout du long pour finalement jouer dans le vide), qui contraste avec l’énergie des sauts assez impressionnants.
De chute et de bled paumé, il en est aussi question dans
Le Pays de la violence, mais avec l’ampli sur 11. Gregory Peck incarne un shérif complètement lessivé qui tombe amoureux de la fille d’un trafiquant d’alcool jouée par la lumineuse Tuesday Weld. Frankenheimer prend sur le vif la désolation du patelin et de ses habitants, une assemblée de spectres de la Grande dépression qu’on aurait oublié de prévenir de leur décès. Tout le rêve américain semble être devenu une sorte de songe abrutissant dans lequel les maisons, les voitures et les êtres ont prématurément vieilli.
Alors que le titre VO fait référence à l’accompagnement musical du film par Johnny Cash, le titre VF est trompeur car il n’y a en tout et pour tout qu’un coup de feu et une poursuite en voiture mais les deux scènes cruelles surviennent naturellement tellement le bourbier moral dans lequel surnage un temps le shérif est inextricable. Souvent critiqué, le choix de Gregory Peck pour tenir la vedette du film après que le studio a refusé l’embauche de Gene Hackman, participe à la désolation ambiante. Dans une scène où sa femme tente tant bien que mal (et plus mal que bien) de renouer avec son mari volage on voit sur la table derrière elle un portrait de Peck du temps de sa splendeur, en contrechamp on aura le même Peck rougeaud, le cheveu gras et la mine défaite, les épaules tombantes alors qu’il ne semble pas avoir ni la capacité ni les mots pour exprimer le tourment qui l’habite (voir la scène pathétique où il décrit à la jeunette tous les meubles et toute la déco d’un tribunal).
Le voir courir jusqu'à l'épuisement à travers une demeure vide alors qu'un bruit sourd emplit la bande-son est déjà glaçant mais la séquence suivante avec une caméra aérienne pour saisir sa fuite en avant en bagnole fait partie de mes passages préférés de cette filmo. La poursuite devient le dernier ressort d'un corps vidé de tout : esprit, moralité, dignité, on a juste envie d'abattre la bête pour mettre fin à sa souffrance et même ça ça lui sera nié.
Et si d'aventure, vous regardez le film, venez me dire si on ne débute pas avec l'impression que Gregory Peck filmé de dos face au barrage qui jouxte la ville, est en train de pisser sur le bas-côté ?
The Horsemen/Les Cavaliers (1971) : Omar Sharif, le tiercé, le quarté, le quinté, c’est son dada, mais ça ne l’empêche pas d’être remplacé sur de nombreuses scènes à cheval par une doublure. Son perso lui se vautre après une partie de bouzkachi et il va mettre tout le film à se rendre compte que les pages du Coran ne l’aideront pas à guérir sa jambe blessée si bien qu’on l’ampute prouvant par là-même que :
1/ tous les synopsis trouvés sur le net ou les jaquettes vous racontent le film.
2/ il n’y a pas grand-chose à retenir de cette adaptation de Joseph Kessel dont la trame équivaut à un quart de
Grand Prix (celui consacré à l’Anglais).
En tentant de renouer avec la grande aventure, Frankenheimer accouche d’un ratage où les scènes intérieures (tournées en Espagne et assez toc) tranchent constamment avec les prises de vue extérieures et où on a droit à une vision documentaire précieuse de l’Afghanistan de l’époque. Par exemple, la scène de bouzkachi qui ouvre le film rivalise avec la course de char du
Ben-Hur de Wyler et l’opposition ancien/moderne fonctionne bien en toile de fond. Mais l’interprétation hésitante ruine notamment un triangle passionnel pas très passionnant, et on a l’impression que le réalisateur a tenté de singer Kurosawa pour n’aboutir à la place qu’à faire jouer ses acteurs en mode théâtral et grandiloquent. Également victime d’un montage qui a visiblement été très long et pénible, le film aurait mérité à être muet et entièrement tourné en extérieurs.
Story of a Love Story/L’impossible objet (1973)
The Iceman Cometh (1973)
99 and 44 % Dead! / Refroidi à 99% (1974)Vu aucun des trois :
L’Impossible objet est une tentative de marcher sur les traces des auteurs européens et Coursodon et Tavernier en parlent comme d’un ratage complet malgré une belle ambition.
The Iceman Cometh adapte une pièce du répertoire pour une série éphémère de longs-métrages reprenant les textes classiques
in extenso, il semblerait que ce soit le meilleur de la série mais que l’exploit n’était pas trop difficile. La distribution est assez fortiche dont Lee Marvin, Jeff Bridges et Robert Ryan et Fredric March en fin de vie. Pour
Refroidi à 99%, même motif même punition que
The Extraordinary Seaman, c’est une comédie, mais aurait-elle été aussi drôle que la coupe de cheveux de Scott Glenn dans
The Challenge ? Vous le saurez dans le prochain épisode (pas avant deux semaines).
Citation:
On peut le voir sur Paramount Channel en ce moment. Je crois que s’il est si raté c’est surtout à cause du monstre, espèce de « salami géant » comma l’a qualifié un critique, qui bouge comme les créatures des films de la Toho.
J'aime bien le look du monstre, il y a un côté un peu craspec mais Frankenheimer ne sait absolument pas comment le filmer sauf dans une séquence où on essaie d'avoir pitié pour le bébé monstre, ce qui est intéressant dans un film de ce genre. Mais oui, entre ça et
A armes égales (que j'apprécie un chouia plus), on est dans le creux de la vague du réal (enfin un des creux).