Forum de FilmDeCulte

Grand Prix (1966) : un Ricain, un Rital, un Rosbif et un Froggie participent à des courses de formule 1 chacun attendant que les trois autres s’envoient dans le décor, visiblement le seul moyen de remporter une victoire éclatante. Projet totalement infaisable aujourd’hui, Grand Prix provient de l’amour immodéré de Frankenheimer pour la France, les bagnoles et ce sport sur lequel je ne sais rien. Complètement investi, le réalisateur conçoit des caméras à même de saisir la vitesse en temps réel des coureurs et force les acteurs à risquer leur vie en pilotant eux-mêmes les voitures. L’accent est mis sur le côté mort en sursis des conducteurs et le making-of revient sur le fait que la plupart des véritables pilotes figurant dans la distribution ont trépassé au cours des années suivantes. On y voit également James Garner pourrir un gros rouquin propriétaire de bateau qui bloque une scène alors que Garner, trempé, est en train de se cailler les miches dans un choc des cultures assez significatif.
Ce n’est évidemment pas un film qu’on juge pour sa profondeur mais pour la manière dont on a utilisé le format Superpanavision 70 afin d’autant capter les scènes de courses que la gravité des conversations entre les différents protagonistes (vous n’avez jamais vu un jardin aussi grand et verdoyant que celui où Garner et Toshiro Mifune papotent). Du grand spectacle qui devient de l’hénaurme spectacle au gré des compétitions dont aucune n’est filmée comme la précédente, chacune se portant sur un aspect bien précis (le suspense, l’euphorie, le danger) relié à une fonction précise dans l’intrigue (l’exposition des différents coureurs, un amour naissant, la mort qui rode sous la pluie). Les trois heures de sa durée en font évidemment un film de digestion d’après-rôti du dimanche mais si on se laisse porter, on retrouve des sensations et de l’intérêt digne de certains classiques qui voient des hommes, des vrais, poussés dans leurs derniers retranchements, affronter les limites de leur âge et leur physique, avec une petite rasade de névrose (l’Anglais qui vit littéralement dans l’ombre de son frère mort et dans une chambre devenue mausolée à sa gloire), de glamour (on visite les vraies écuries Ferrari) et de fautes de goût (François Hardy qui joue aussi bien qu’elle chante). Et l’un dans l’autre, Frankenheimer fait le job et assure un film bien meilleur sur son propre terrain que le navet de Hawks (le seul de sa carrière) Ligne Rouge 7000 avec ses stock-shots foireux et ses romances de prod AB. « On n’en fait plus des comme ça, du CINEMA» nous dit le petit Martin de Flushing, New York.

D'ailleurs entretemps, j'ai reçu le blu-ray de The Impossible Object. Dedans, un vieux beau (Alan Bates, le Fixer de tantôt) se tape une jeunette avant de lâcher sa première femme, avec qui il a eu plusieurs enfants (dont un avec qui il lutte pour les beaux yeux de sa copine, Œdipe, tout ça...). Sauf que, comble de l'horreur, Frankenheimer se prend pour Alain Resnais et que tout ceci est raconté dans le désordre avec une frontière entre réel et imaginaire tellement poreuse qu'elle en ferait faire des cauchemars à Bruno Retailleau : vu que comme le personnage joué par Alan Bates est aussi et avant tout un romancier, sa création artistique parasite ses souvenirs. Ajoutons que sa première femme est jouée par la propre épouse de Frankenheimer qu'il filme dans le plus simple appareil, comme le reste du cast féminin, et vous aurez une idée de ce qu'il voulait raconter ("Je suis un artiste, je souffre, j'aimerais pouvoir encore taquiner la gueuse").
Bref, c'est de la bouillasse intello-fumeuse et ça a fort justement bidé. Voilà ce qui arrive quand on se croit trop bien pour se contenter de filmer des gens qui se tuent ou se poursuivent ou se poursuivent pour se tuer, et qu'on préfère montrer ses états d'âme à tous les passants.
Je dis ça, j'ai pas réussi à terminer, mais je ne crois pas que les dernières vingt minutes changeront la première impression.