lady ly il aime beaucoup la politique. pas la vie politique, mais vraiment la vie de la cité et tout. c'est cool, c'est important et c'est super riche. et donc, issu de sa vie j'imagine et de son intérêt, on a un film qui a vraiment les doigts sur le pouls d'une cité et d'une époque. ce qu'aspirait à être avant que les flammes ne s'éteignent j'imagine, mais n'y arrivait pas à cause de sa débilité, lui arrive à vraiment capter ce moment où les immeubles / cités sont désormais occupés à 100% par des immigrés- qui ne parlent pas / pas bien français- et leurs enfants - qui se sentent parfaitement légitimes à prendre part et peser avec une pensée politique contestataire et construite. il y a mille choses qui sentent la réalité, les garages sauvages, les restaurants sauvages, les vies d'assoc' qui se font engueuler en aidant des gens avec leurs apl, les galères concrètes et les solidarités concrètes. ce n'est pas ma vie et j'adore plonger dans les vies des autres au cinéma et j'ai vraiment aimé l'énergie, l’intérêt sincère, et la volonté de ne pas télétubbiser les choses pour tenir donner une bonne image (j'ai pensé au jeune imam, en contre exemple).
et du coup, il est vraiment passionné par son sujet et du coup il a plein de choses à dire. plein. et c'est là que les problèmes commencent. parce que déjà, des choses à dire c'est pas la même chose que des choses à raconter. des choses à dire, ça peut donner l'impression que le scénario est construit autour d'une succession de scènes illustrant chacune quelque chose (la formule 1 scène = 1 tweet de taha bahoufs m'est venue, mais "scénario post-its" que j'utilise d'habitude correspond aussi parfaitement...). alors on a un arrêté municipal anti-jeunes, on a les amendes pour "rebellion" qui font de l'argent de poche pour les crs, on a un peu de violence policière c'est toujours sympa, on a une députée qui dirige en sous main la ville, on a du clientèlisme avec des subventions aux assoc' contre services rendus, on a aussi le coup des rachats d'appartements à 15 000e, qu'il a manifestement vu dans un article sauf que ça ne tient pas debout avec les habitants de l'immeuble tels qu'il nous les présentent et avec la problématique générale... tout ça pourrait être un portrait global d'une situation, sauf que le film donne l'impression de changer d'histoire toutes les 10 minutes environ. et à chaque fois qu'on se dit "ah ça c'est la bonne", non tu pars sur autre chose dix minutes après. l'incarnation la plus parfaite de ça est l'invraisemblable candidature municipale de la fille (qui ne tient pas debout par ailleurs, on te dit que le conseil municipal a été élu il y a 3 ans et on t'amène une élection sortie de nulle part, le mec est donc choisi pour être maire de substitution et candidat sans que ce soit jamais évoqué, n'importe quoi) - ridicule comme un legally blonde au premier degré et qui dure 7 minutes chrono avant de zapper totalement. et de fait, il est tellement occupé à illustrer ses 2835 derniers sujets d'indignation que de fait, ses personnages ne sont que des pions, on n'a jamais des êtres humains, on a 4 lignes de personnalité décrits dans une bible et qui traversent ensuite les situations. le personnage principal, fille noire et voilée, volontaire indépendante juste brillante et responsable incarnation du pur du bon et du juste, est juste un fantasme et un message politique sur pattes, pas un être humain.
et, comme avant que les flammes ne s'éteignent, quand tu fais un film aussi ouvertement politique et militant, tu t'exposes à être jugé aussi sous cet angle là. j'ai d'abord été gêné parce que je n'ai jamais senti que le film aspirait instaurer un dialogue avec la société ou les spectateurs : ça m'a fait l'impression de quelqu'un qui prend la parole pendant un repas de famille ou entre amis ou au boulot en assénant un discours politiquement extrêmement offensif, carré, fermé, en sachant que tu ne peux pas vraiment répondre, ou en te rejetant dans le camp du mal si tu n'es pas totalement d'accord. pas très agréable. et par ailleurs, pour connaitre relativement bien cette pensée de cette gauche-là, l'ampleur de la conformité de tout à la pensée unique de cette famille de pensée m'a un peu gêné. j'attends d'un artiste qu'il développe sa propre pensée, son propre regard, qu'il sache s'extraire des conformismes intellectuels pour interroger, explorer, etc. qu'un artiste te ressorte telle quelle une doxa militante aussi dominante à un moment précis - quelle qu'elle soit - j'ai trouvé ça d'une faiblesse intellectuelle assez désarmante. ça a le mérite d'être un polaroid efficace de l'époque, ceci étant.
j'ai par ailleurs des problèmes de fond - ces pronoms "eux" et "nous" régulièrement employés (qui n'ont bien sûr rien à voir avec ceux de l'extrème droite : les fachos ils voient le monde avec un nous gentils et un eux méchants alors que là ils voient les choses avec un eux méchants et nous gentils, donc rien à voir). le personnage du premier adjoint qui me semble être l'incarnation de cette figure de "l'arabe de service" (expression de taha bahoufs, pas la mienne) pour désigner ces gens 'racisés' et qui servent le système et qui sont généralement l'objet d'une détestation virulente et toute particulière chez les militants - et vraiment ça me semble être une essentialisation profondément raciste et ça fait partie des choses qui me gènent - il devrait être capable d'interroger les choses de manière beaucoup plus profonde et complexe que juste dire : "regardez ce **** de maison qui trahit les siens en échange d'une belle voiture" - tenter de comprendre et respecter les gens avec qui tu n'es pas d'accord c'est aussi le rôle d'un artiste. la fin m'a par ailleurs bien what the fucké et j'ai choisi de penser que tout le film ne servait pas à justifier, expliquer, (et franchement, excuser) la violence physique contre les élus comme une réponse légitime à la violence institutionnelle qu'on peut subir. auquel cas, le financement par le service public serait quand même une particularité française qu'il faut noter.
par ailleurs, il y a la question personnelle de ladj ly qui me fascine. il a participé à un acte qui me semble d'une extreme gravité, il a été puni et je considère qu'il a donc parfaitement le droit de reprendre sa vie, et il est présumé innocent des malversations financières dont il est désormais soupçonné. mais qu'il ait choisi de se positionner à ce point, artistiquement et médiatiquement, comme distributeur des bons et des mauvais points de la vie en société et arbitre du bien et du mal, je trouve ça psychologiquement fascinant, vraiment.
voilà, dans l'absolu j'ai trouvé ça globalement bien raté mais j'ai passé un bon moment, c'était assez stimulant.
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