je m'apprêtais en toute quiétude à medire sur un flop des jokers, une routine désormais bien installée, mais je fus à la place plongé dans un abime de perplexité.
y a t'il tant de gens en france vivant du trafic de drogue, ou d'autres activités mafieuses, pour que ce soit une catégorie sociale sur laquelle on peut compter comme spectateurs potentiels en montant un film ?
y a t'il vraiment une pensée politique significative considérant que ne pas aimer les trafiquants de drogues, d'êtres humains et de diverses marchandises volées c'est un délire de droite ?
si, comme je le penserais spontanément, la réponse à ces deux questions est 'non', comment se conçoit un film comme celui-ci, en totale empathie avec un jeune délinquant débile et violent (joué avec un naturel confondant par jeremie laheurte) plongé dans les difficultés induites par le transport d'une femme réduite en esclavagisme par la mafia nigérianne, qui se révèle avoir ingéré de la drogue pour la transporter en espagne, et l'enjeu dramatique de l'histoire c'est : comment va t'il carrote les nigérians en piquant la drogue ?
avec des protagonistes tels que :
- la mafia nigérianne qui organise le recel à grande échelle des vols avec violence et cambriolages de la région, le proxénétisme de femmes réduites en esclavage et le transport de drogue
- la mafia roumaine qui enlève, torture, organise les exécutions sommaires pour des histoires de dettes
- la mafia algérienne qui, dans des sympathiques cafés qui servent de couverture, organise des trafics de faux papiers, de drogue et éventuellement de torture pour faciliter les négociations.
- la mafia espagnole qui organise le trafic de drogue dans les boites de nuit du sud, mais se spécialise également dans la torture et le viol pour faciliter les négociations.
et il n'y a aucune sorte de morale, de commentaire, d'analyse, de rien, on est juste en totale empathie en se demandant comment il va s'en sortir (scène hallucinante où on accompagne laheurte quand il court paniqué pour récupérer la fille qui lui a échappé - mais vous reflechissez à ce que vous filmez et comment vous le filmez les garçons ?!) : c'est le
à temps plein des mafieux.
alors dans le dossier de presse, les réalisateurs affirment mollement que tous ces gens sont avant tout des victimes de la société et de l'abandon des pouvoirs publics, j'ai un peu de mal à croire qu'ils y croient eux-mêmes mais j'imagine que c'est la petite pensée passe-partout pour s'en sortir à peu de frais, et je vois que leur premier film,
voyoucratie, semble être exactement la même chose. j'émets donc l'hypothèse que ce sont donc juste deux petits bourges bandeurs de cité à la romain gavras, jusqu'à en perdre tout sens commun.
puis je vois aussi que c'est tiré d'un livre écrit par un flic, dont je doute qu'il pense que la mafia nigériane est avant tout une victime de la société, et j’émets l'hypothèse (totalement gratuite en l'état) qu'il a écrit ça avec une toute autre arrière pensée politique et que tout ça est un terrible malentendu.
(j'ai d'ailleurs pensé à
athena, qui se destinait à priori à un public qui trouvait tout ça très cool mais au final a surtout beaucoup plu aux élus et militants rn en mode 'voilà l'illustration de tout ce qu'on dénonce !!!').
alors je songeais à eddy mitchell qui disait qu'il n'était pas à l'aise avec le cinéma actuel car il restait dans le souvenir des normes des films de sa jeunesse où on distinguait le bien et le mal, je lisais ridley scott qui se plaignait de la "glorification de la violence" dans
joker et peut-être que j'ai 82 ans dans ma tête, mais je suis quand même interloqué par cette époque où il faut écrire un mémoire de 82 pages pour justifier de voir une paire de fesses dans un film (quand ce n'est pas fait par cgi), où on met des noirs grands propriétaires terriens dans la cour de pierre III de russie pour lutter contre le racisme, où on lutte contre l'idée même de l'existence d'un film de quelqu'un qui aurait potentiellement plus ou moins peut-être fait quelque chose de mal y a 30 ans, et parallèlement à ça cette acceptation totalement normalisée, glorifiée du pire du crime organisé.
alors je sens bien que je suis absolument le seul sur cette planète à qui tout ça pose problème, mais je me rassure en pensant à lorsque j'avais vu
les diables il y a bien des années, que j'en étais ressorti un peu horrifié en disant qu'il fallait être un dégénéré pour faire un film pareil avec des enfants, que ça n'avait pas fait bip à l'époque mais que l'histoire m'a donné raison.
et je me rassure aussi en voyant que ça a fait 20 000 entrées, donc non il n'y a pas un tel public potentiel qui trouve ces exécutions sommaires tout à fait normales, c'est triste mais c'est le prix à payer, même si je ne doute pas que ça trouvera son public sur netflix.
le pire c'est que je suis bien persuadé qu'on peut parler de tout, tout filmer, que l'art n'a pas à être 'moral' ou politiquement correct ou quoi que ce soit, je suis extrêmement favorable à ce qu'on me montre des trucs complexes moralement sans mode d'emploi prêt à penser, mais enfin à condition que les artistes aient un cerveau et reflechissent à ce qu'ils racontent, filment, et disent.
je pense que ces deux jeunes hommes s'épanouiront beaucoup plus dans la publicité.