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 Sujet du message: Saint Omer (Alice Diop, 2022)
MessagePosté: 01 Déc 2022, 23:35 
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Rama est prof de lettres modernes en fac. Elle est en couple avec un rockeur à barbe, et on sent que cela flotte un peu, notamment lorsqu'il s'agit de donner le change à ses soeurs et à sa mère.
Dans le même temps se tient à Saint-Omer le procès de Laurence Coly, une mère infanticide qui a abandonné sa fille sur la plage. Laurence Coly est extrêmement troublante, car elle s'exprime à la fois dans une langue particulièrement soutenue et nuancée, tout en apparaissant froide et possiblement schizophrène. Difficile de dire si cette maîtrise et cette précision trahissent une personnalité manipulatrice, ayant prémédité la mort dès avant la naissance et noircissant exagérément sa mère et son compagnon pour les rendre coauteurs du geste, ou bien représentent au contraire le comble de l'absence à soi-même.
Rama se mêle au procès, se coulant dans le malentendu qui la fait tantôt passer pour une journaliste tantôt pour une proche, qu'elle ne cherche pas d'elle-même à dissiper. La mère de Laurence Coly l'a cependant vite repérée. Que cherche(en)-t-elle(s) vraiment ?


J'ai trouvé le film très bon, même s'il pâtit un peu du statisme de la situation du procès, et étais de plus en plus "dedans" à mesure qu'il avançait. Le début fait penser à un dispositif moraliste à la Haneke, avec peut-être une plus grande attention envers le mystère des lieux et des espaces, toujours plus incarnés et personnifiés qu'on le croit, ce qui n'est pas plus mal.
Mais finalement, j'ai trouvé que le film avait la texture des bons Chabrol, on peut y voir un pendant féminin de Que la Bête Meure (Laurence Coly c'est Jean Yanne - Rama est un peu son Dussolier) ou un prolongement des portrait de femmes comme Betty ou du duo de la Cérémonie
on pense beaucoup aux Biches à la fin, heureusement moins kitsch, quoique la plaidoirie quasi-cronenberienne de l'avocate n'est pas mal et finit aussi par la confusion des voix dans un même visage
. Le province (la ville de Saint Omer est peu mais bien filmée) est portraiturée comme chez Chabro' avec un mélange de distance et d'amour, c'est un lieu qui échappe à la xénophobie en endossant le tragique, qui est comme une forme de matérialité frontale qui la sauve et lui permet de se voir de l'extérieur.
Alice Diop interpole un extrait de Médée de Pasolini, mais comme chez Chabrol, le film renvoie aux films à procès de Hitchcock ainsi qu'à sa veine manipulatrice-humaniste, psychanalytique et morale (on croit être après la morale alors qu'on est en fait toujours avant elle) de la Corde, avec le même problème de statisme d'ailleurs. Deux comédies symétriques se neutralisent et s'évident dans une vérité plus forte ( l'altérité du plus proche), la comédie de l'ordre d'une part, et celle de l'identité de l'autre.
Formellement le cadre est un peu terne, mais il y a de vraies idées de mises en scène (la manière de cacher le personnage de Rama au milieu de la salle d'audience, dans l'ombre du vieil amant et du mauvais père, ou l'arrivée de la -d'ailleurs belle- musique qui recouvre le monologue convenu d'un expert sur la culture africaine, l'excision et le décalage culturel. La scène du repas entre Rama et la mère, psychologiquement fine mais antipathique car elle en fait un levier de pouvoir immédiat
son réflexe d'acheter les journaux :mrgreen:
, est très bonne,. L'ambiguïté sur le pleur après la plaidoirie de l'avocate sur la monstruosité à la fois physique et psychologique tapie dans toute maternité - est-ce Laurence ou Rama ? Ou le top couleur boiserie de Laurence qui la camoufle dans le décor alors qu'elle est au centre de la scène. Le film finit d'ailleurs par identifier scène de crime avec la scène tout court, dans la mesure où la parole parvient à annuler le hors-champs).
La force du film c'est de montrer des personnages qui n'appellent sur eux que la reconnaissance de l'autre, mais finissent bouffés par elle. Cette reconnaissance est compris ici, de manière singulière mais lucide, une facteur de déréalisation, qui laisse les institutions intactes, les contraignant à l'humanisme, à une apparence d'amour qui les justifie trop bien.
Le film commence avec un certain hiératisme, mais se libère lorsqu'il assume de raconter une histoire en fait assez simple
Rama est elle-même dans un déni de grossesse et balise devant le fait de se reconnaître dans Laurence, qui simule en plus l'universitaire qu'elle est réellement. Du coup retour vers son mec qu'elle ne supporte plus mais qui est la seule bouée car il connaît le début de l'histoire, et se révèle en comparaison moins faux que celui de Laurence
.
Le film n'a pas de sens politique direct, mais il est quand-même troublant; car en ces temps ou le grand remplacement en obsède certains, il montre au contraire, et avec une ironie volontaire, une pulsion matricide fondamentale -finalement un Oedipe exclusivement féminin-, plus ou moins contenue, comme ce qui travaille une forme de matriarcat (les mères sont beaucoup plus présentes et déterminantes que les pères dans le film, même si le personnage du père est singulièrement construit) . Il n'en tire pas de conclusions, ce sont deux formes d'irrationalités jumelles et concurrentes, les dépasser nous fait passer dans les deux cas par les mêmes endroits. Il y a une grande finesse, quand le personnage de Laurence insiste pour distinguer son déni (refus de grossesse, d'un sentiment, dont on jouit) de sa honte (qui est au contraire un rapport à ce qui existe et qui veut en faire une blessure, prolongée, potentiellement éternelle). Elle place avec une méticulosité inouïe - Guslagie Malanda est une très bonne actrice, elle rappelle Stéphane Audran pour insister sur la filiation chabrolienne- sa parole dans l'écart qui existe entre les deux, passe du statut de questionneuse à celui de questionnante, sans que la forme du discours ne change pourtant. Elle ne révèle une vérité terrible qui ne doit pas nous troubler , qu'il faut elle-même abandonner. Opposer la violence au travail du temps , comme si la négation d'autrui était la garantie de notre jeunesse, est dangereux car cela marche trop bien, est accessible à tous partout. Il faut oublier, sans la nier, notre force pour laisser place à l'autre.


Vraiment pas mal, et le meilleur film de 2022 pour ma part. Dans le fond le film peut réunir à la fois ceux qui seront sensible une forme de progressisme politique avec malgré tout un message social implicite, la misanthropie de ce que Chabrol a fait avec Gégauff, mais aussi une terreur misogyne, encore plus délicate mais nécessaire à surmonter que cette misanthropie, que l'on trouve chez Mankiewicz et plus récemment Gone Girl de Fincher. Laurence est vraiment une créature de cinéma, à la fois impossible et vérace, je suis curieux de voir le suite de sa carrière.

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 03 Déc 2022, 09:02, édité 5 fois.

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MessagePosté: 02 Déc 2022, 09:20 
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La première scène, avec la lecture féministe que fait Rama du passage d'Hiroshima mon Amour, le texte de Duras sur les femmes tondues est aussi intéressante, et fort ambiguë quand on la replace dans le film. Le texte de Duras confère un état de grâce à ses femmes conclut-elle. Mais il transparaît dès les images documentaires, dans le geste de commandement de la première femme, la répression et le report des hontes ont déjà cette ambivalance, que le film signale d'emblée. Le texte (les textes de Duras et Rama en fait) a bien-sûr une valeur propre par rapport au féminisme et son contexte actuels. Mais d'une part il faut que Rama ait consciente de s'exprimer de manière un peu trop plate pour que le film commence (meilleure professeures, elle ne laisserait pas troubler par le jeu et la simulation de Laurence, DEUG de philosophie perdue qui fantasme une thèse, ce diplôme a d'ailleurs disparue à un moment qui cadre mal avec de la temporalité du film - cela résonne finalement bien avec le rôle de prof de fac qui devient une experte psychologue en commentant sèchement des partiels ratés, le film a la dent dure envers les profs de philo :mrgreen:
par ailleurs la propre mère de Rama affiche le DEUG de sa fille à côté de la télé à la place des photos d'elle ou d'enfants éventuels, bien vu. DEUG le diplôme qui avait une fonction de sélection et de tri importante au sein de l'Université française mais aucune valeur de qualification reconnue ailleurs. Beaucoup s'y sont pris les pieds en effet, particulièrement en philo. Et particulièrement ceux qui par leur origine étaient les outsiders du système
). D'une part l'amphithéâtre est identifié au futur tribunal, et les étudiants qui endossent ses paroles fascinés sont moins le jury que le public (fantasmé par Rama et Laurence ?).
Le texte de Rama n'est toutefois pas si plat que cela, car il repère ce qui chez Duras va être développé tardivement dans la Douleur, dans une oeuvre bien antérieure.
on voit cependant que Marie Ndiaye est aussi publiée.aux Éditions de Minuit et en joue. Ses personnages ne le sont pas

Rama part de Duras mais est confrontée, par l'usage imprudent et risqué du terme grâce, à un personnage qui est plutôt proche de Genet. Celui qui a la grâce n'est pas l'innocent mais le coupable qui manifeste et parvient à justifier son crime, la grâce c'est aussi la faiblesse de l'ordre. Ce n'est pas trop dans la mentalité française, pour plus de details voir l'analyse existentielle de la personne de Luther par Lucien Febvre.
Quant à la platitude et au stéréotype, au fond, Rama découvre qu'elle ne peut pas y échapper tant qu'elle pense, ce qui est nécessaire, sa personne et la parole en terme de recherche de légitimité. Elle ne va pas les annuler, elle est au contraire le risque de les confirmer, qu'il faut sans doute assumer. Mais la question se pose.

Autre chose, le film part d'Hiroshima mon Amour le texte, et remplace pour ainsi dire les images de Resnais par la représentation directe des images de l'épuration. Rama est mise en porte-à-faux par le risque du voyeurisme qui entrave la portée morale de ce qu'elle défend. Mais Alice Diop le fait consciemment : un voyeur c'est pour elle un avocat raté, et son personnage subit cette situation. Par ailleurs le jeu par lequel le texte de Duras est conservé mais les images de Resnais tenues (à tort mais là aussi la réalisatrice le sait là-aussi, contre son personnage certes) pour périmées produit un rapport directe à l'historicité du présent est qui très intéressant. Tout tient dans la'première scène (au contraire de Caché).

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MessagePosté: 04 Déc 2022, 15:33 
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Un film de procès qui se présente d'abord sous une forme rêche et rigoureuse, mais se déplie de manière passionnante dans une enquête sur un drame: comment une mère peut-elle tuer son bébé?

En créant en face du fait divers réel un personnage qui semble sur certains aspects son alter ego, Alice Diop renforce deux dynamiques permettant de comprendre Laurence Coly (Fabienne Kabou IRL): elles sont toutes les deux noires, originaires du Sénégal; elles sont toutes deux femmes qui vivent mal leur maternité.

Laquelle des deux pistes suivre, pour le jury? Le film montre que la "négritude" n'est pas tant une donnée psychologique expliquant pourquoi l'accusée pense être maraboutée, mais davantage une condition sociale que lui impose sa famille, son conjoint et le pays d'accueil en général: la presse s'étonne qu'elle parle si bien alors qu'elle simplement "éduquée", la prof de philo lui reproche de choisir Wittgenstein comme sujet de thèse plutôt qu'un penseur africain, le juge d'instruction lui dénie son crime de mère pour en faire le crime de l'Afrique des marabouts.

Le film est plus profondément une réflexion sur la filiation de mère en fille, qui redouble la question ethnique, sociale et culturelle: la figure de la mère qui reproduit la domination occidentale pour sa fille (l'obsession de la réussite qui culmine paradoxalement dans la satisfaction de voir que l'affaire fait la Une) est une clé. Clé d'une explication, mais aussi d'une émancipation: la nature protéiforme de ce qu'est une mère, de ce qu'est la transmission et l'éducation, fournit à toute femme le potentiel de s'inventer.


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MessagePosté: 04 Déc 2022, 18:12 
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Pour les amateurs, mieux vaut être au courant dans quel genre s'inscrit ce premier film. Un vrai bon film de procès, où les scènes de tribunal occupent les deux tiers, et qui se démarquent totalement des références américaines par une vision originale quasi-documentaire. Diop est une ex-documentariste et c'est intéressant de voir de quelle manière elle va capter le réél dans Saint-Omer. Avec un angle d'attaque casse-gueule, filmer uniquement les témoignages au tribunal, et qui pourrait facilement tomber dans le statisme et l'ennui, la mise en scène de Diop est remarquable. L'intensité qu'elle réussit à mettre dans ces scènes, sans céder au spectaculaire, et qu'elle arrive à tenir tout le long de ces deux heures.

On y croit tout simplement, on est dans ce tribunal, on est catapulté dans le drame humain qui va se conter sous nos yeux. Là encore, ce qui frappe c'est la précision sous nos yeux. Cette profondeur humaine des personnages, qui font qu'on peut écouter un témoin 20 minutes sans ennui tellement le mystère "social" est ici passionnant. Tout sonne vrai, la précision des dialogues qui ne virent jamais au surécrit, la simplicité des plans fixes tout en conservant un dynamisme dans le récit, les scènes du procès sont de très haut niveau. Rien à voir avec qu'on a pu voir avant sur grand écran, Diop trace un autre sillon et l'assume avec personnalité.

Il n'y a pas que des procès, l'autre tiers est pas si mal. On pourrait craindre le parallèle un peu lourd entre la vie personnelle de la romancière, personnage principale qui assiste au futur procès pour son prochain romain, mais là encore Diop n'en fait pas trop et l'actrice, tout en mutisme, campe un beau personnage. Rayon des défauts, j'ai été un peu frustré que Diop n'aille pas pluis loin sur la raison du drame. Mais avec du recul, il était peut-être mieux de ne pas en dévoiler plus.

Bref, vraiment un impressionnant premier film. Pas développé sur ce qu'écrit Baptiste mais je le rejoins sur tout le sous-texte négritude, être mère, etc...

4,5/6


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MessagePosté: 04 Déc 2022, 18:24 
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J'ai moi-même écrit un truc un peu maladroit sur le matriarcat, mais je ne suis pas sûr que la négritude soit centrale dans le film (la musique arrive quand elle est invoquée dans l'audience, mais la dilue. Le procureur ou l'avocat général la charge sur sa psychologie (mettant aussi en avant sa condition légale d'immigrée, en insinuant qu'elle s'est mise avec son compagnon pour un logement et des ressources) et la présidente va plus dans la direction de la sorcellerie et de l'identité africaine (mais la femme vient d'un milieu très visiblement urbain, bourgeois et cosmopolite, avec un père traducteur pour l'ONU), croyant alors la défendre (elle serait pareillement dans le déni de sa culture d'origine et de sa maternité) mais le personnage est animé par quelque-chose d'autre, foncièrement individuel. L'inexplicable est ce qui l'amène à tout rompre en même temps : le consensus social et moral, son rapport à sa culture d'origine et sa situation de mère (mais bizarrement elle assume la classe sociale plutôt privilégiée d'où elle vient).
Son père fait lire une lettre où il désavoue plus d'être passé du droit à la philo que du meurtre, comme si ce passage avait tout déterminé. Peut-être qu'à travers la philo il s'agît d'une vaine entreprise qui préserve l'appartenance de classe tout en prétendant se dépouiller de la loi et du pouvoir, voire de la représentation. Elle parle à sa mère de magie dans une conversation espionnée, mais ne paraît pas y croire elle-même : ce sont bien les juges français qui croient alors à la magie et à sa passivité, pas elle. Il y aussi un truc à creuser dans le rapport entre Maria Calas et Rama : le fait de s'identifier à une autre femme aussi coupable qu'elle lui permet de pardonner à sa mère, qui n'est coupable de rien sinon de sa modestie sociale). À travers la sorcellerie c'est plutot la question du mythe que de l'origine africaine qui est en jeu. Le racisme de la prof de philo du film ne lui permet pas de comprendre ce ce qu'elle touche pourtant du doigt : Laurence traite le langage comme un mythe, bien parler est quasiment une prescription religieuse (sans beaucoup de valeur sociale par ailleurs), mais elle le punit aussi de son imprécision, de son échec à saisir l'autre, en tuant sa fille trop petite pour parler.
Dans son crime, la langue se sépare de l'autorité du pouvoir tout en en gardant la rigidité. L'empathie et l de fllottement dans la parole qu'elle produit n'appartiennent à l'inverse qu'aux juges (voire à Rama, son personnage a pour fonction d' adoucir ce rapport d'opposition, mais est secondaire et spectateur).

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 05 Déc 2022, 08:50, édité 6 fois.

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MessagePosté: 04 Déc 2022, 18:48 
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Non, le terme "négritude" est un peu inexact, mais bon j'arrive pas à le dire simplement. Disons que Diop ausculte bien cette condition sociale d'étrangers loin de leur domicile et la précarité dans laquelle ils peuvent tomber. Pour souscrire à ce que tu écris, la psychologie du film est remarquablement construite.


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MessagePosté: 04 Déc 2022, 18:53 
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Oui parce que le personnage ne revendique pas grand chose, sinon d'avoir voulu se mesurer au mythe de la France comme terre des lumières et du prestige du savoir. A tout prix (ce qui revient aussi chez Genet finalement, dans la Journal du Voleur il absout la langue française de la médiocrité petite-bourgeoise "nationale").

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MessagePosté: 07 Déc 2022, 10:52 
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Un peu du mal à écrire sur ce film. Gontrand pointe des choses assez passionnantes auxquelles je n'avais pas pensé (le rapport à Chabrol par ex) mais le film a une petite mécanique très théorique face à laquelle il n'est pas évident de se positionner. Par exemple contrairement à Baptiste je crois que le film fait tout pour évacuer la question de la négritude et du racisme, il nous dit que ce n'est pas son sujet. Oui ils sont surpris de l'élocution de Laurence (mais sans doute une très grande partie du public également, dans un réflexe [raciste ?] inconscient). Oui il y a des professeurs d'université racistes (la petite phrase sur Wittgenstein). Cependant j'ai l'impression qu'Alice Diop fait tout pour sans cesse passer à côté de ça, ne jamais se reposer sur cette lecture presque trop facile d'un problème bien plus profondément intime que sociétal. Comme cette histoire de maraboutage, qui aurait pu être développé en une manifestation culturelle mais dont on comprend peu à peu, de manière très subtile, qu'il n'est qu'un symptôme de la fragilité mentale de l'accusée (mythomane totale). Sa relation avec le vieil homme on imagine tout de suite, le fantasme du colon pour une jeune femme exotique mais le film ne va jamais là-dessus, au contraire, il peint tout autre chose, de manière presque inattendue. Après évidemment le parallèle Laurence/Rama est profondément lié à leur origine, des femmes noires et lettrées dans un pays de blancs. Mais j'ai aimé que le film ne s'en serve pas comme une béquille psychologisante facile.

Peu à peu dans ce dispositif très carré du film (le procès entrecoupé des respirations de Rama à l'hôtel qui commence à vaciller), le sujet affleure. Cette maternité contrariée, cette histoire portée de femme en femme comme un fardeau qui sera exposé dans le réquisitoire final sublime de l'avocate. Et le film de s'incarner enfin émotionnellement, peut-être un peu tard. Mais j'ai trouvé ça assez bouleversant de soudain recentrer le point de vue sur cette enfant, morte seule sur la plage (avec tout les symboles que ça charrie, que ce soit la migration, que ce soit la mer/mère...). Le film se termine de manière presque poseuse en refusant ce qui est pourtant l'acmé du film de procès, sa délivrance finale, la sentence. On ne l'aura ni à l'image, ni dans aucun carton. J'ai trouvé ça très fort en ce que ça détourne soudainement et très brutalement le regard de Laurence Coly qui cesse soudain d'exister au sein du film. Son rôle étant échu.

D'ailleurs tout le film est un grand précis théorique sur le regard, il y aurait pas mal de choses à en dire, des séquences à analyser. Le regarde de Laurence est totalement ensorcelant comme celui de Rama qui est pétri d'angoisses. Mais au-delà de ça c'est la manière d'organiser le champ/le hors-champ (Rama, dissimulé derrière le témoin), filmer celui qui parle ou celui qui écoute, les changements de regard etc... On sent quelque chose de très réfléchi et très précis. Alors c'est plaisant un film si carré, où il y a vraiment de la mise en scène et une réflexion sur les images (ce que dit Gontrand sur les images des femmes tondues est très intéressant également) mais ça lui donne aussi un côté un peu rêche, là encore un peu trop théorique qui manque de corps.

Mais c'est très bien, un premier film de fiction quand même très impressionnant et d'une grande intelligence. Très curieux de voir la suite de la carrière de Diop.

4.5/6

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MessagePosté: 07 Déc 2022, 11:29 
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Les films français les plus passionnants de cette année auront été finalement ceux qui osent de vrais parti pris et une certaine radicalité par rapport à la production courante : Bowling for saturne, Pacifiction et Saint Omer. Plutôt un bon signe.


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MessagePosté: 07 Déc 2022, 11:32 
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C'est pas nouveau. Et là tu parles de films qui font très peu d'entrées donc un bon signe pour qui ?

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MessagePosté: 07 Déc 2022, 13:36 
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Trop belle ta critique Art Core, je comptais déjà le rattraper et le ferai (même si ça va être compliqué avec tous les Spielberg et Cameron de ce monde).


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MessagePosté: 07 Déc 2022, 13:42 
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Tired: Art Core a tout dit

Wired: Trop belle ta critique Art Core

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MessagePosté: 07 Déc 2022, 13:44 
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Le mieux c'est :

Art Core a écrit:
Un peu du mal à écrire sur ce film.


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MessagePosté: 07 Déc 2022, 13:46 
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Déjà-vu a écrit:
Le mieux c'est :

Art Core a écrit:
Un peu du mal à écrire sur ce film.
Oui avant de pondre dix mille signes. Il nous avait déjà fait le coup et j'avais pointé le truc.

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MessagePosté: 07 Déc 2022, 13:48 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
j'avais pointé le truc.
Trouvé: uncut-gems-josh-benny-safdie-2019-t30294.html#p842396

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