Forum de FilmDeCulte

Geste de cinéma ultra-radical, ou thriller urbain finalement assez classique à la fois trop et pas assez écrit ?

Au début, on pense bien sûr à la première option: cette intro ravageuse et jusqu'au-boutiste, qui nous fait nous sursauter dans notre canapé et place le film à des lieues au-dessus de tout ce que le cinéma français, que ce soit de genre ou d'auteur, se permet habituellement. C'est vraiment commencer là où LES MISERABLES se terminait (d'ailleurs je savais pas que Ly était co-scénariste) mais pour tout de suite passer la démultipliée.

Et si les plan-séquences m'ont irrité par leur m'as-tu-vu-isme, il faut quand même reconnaître que Gavras accouche de certaines images à tomber par terre. C'est rare les films où on se dit "Ah, j'avais jamais vu ça filmé de la sorte" (violences urbaines en banlieue = normalement longue focale shaky sur des jeunes encapuchonnés, ici mouvement de drone opératique qui aboutit sur un mec torse poil aux cheveux longs en mode Xersès).

Cependant, on voit dès le départ que le film, derrière son geste visuel et viscéral, fais bien attention à son scénario. On a même des beats scénaristiques de manuels d'écriture américains soigneusement posés au "bon endroit" (dans les premières minutes, "Theme Stated": "C'est nous la police maintenant !" ; peu après, "Save the Cat": "Rentrez chez vous, fermez les fenêtres")

Le film dès lors cherche à ménager la chèvre et le chou, que ce soit à travers son portrait de fratrie où chacun représente "une face de la même médaille", ou bien son exploration pour la forme des différentes strates de la cité (un peu d'habitants, un peu de flics, un peu de religieux...). Le problème, c'est que ça n'aboutit à rien de bien consistant, ça reste je trouve assez en surface, et ça devient même difficile à croire, surtout lorsqu'un des personnages finit inexplicablement par snapper.

En fait j'aurais sans doute préféré un film avec quelques blocs formels distincts et radicaux, que Gavras nous pose là et on se débrouille, plutôt que ce film qui essaie quand même de faire gaffe (cf. la fin) mais se recouvre de trente tonnes de vernis pour le style.

Et sinon en remerciements au générique y a Chris Marker. Un commentaire, Lohmann ?

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Liam Engle: réalisateur et scénariste

C’est toujours une bonne chose de remercier Chris. Marker.

Vous avez tout dit et ce déchaînement de haine sur Twitter me laisse dubitatif. Pas seulement sur la question politique (j'y reviens) mais quand je lis des conneries du style esthétisation de la violence on est où, en Première L ? C'est vraiment le point Godwin de la cinéphilie quand tu as plus rien à dire....

C'est un film qui est très spectaculaire et pas seulement dans l'esbrouffe. Le premier plan du film est un chef-d'œuvre, c'est d'une puissance quand même assez dingue et totalement pertinent (l'assaut, le repli, le moment final des jeunes au quartier sur les "remparts"). L'avait-on déjà filmé comme ça la révolte ? Avec un tel lyrisme ? La note d'intention est parfaitement posée. Par la suite c'est plus inégal. J'aime l'approche mythologique, là encore je la trouve plutôt réussie et surtout elle donne du sens à la portée tragique du film en le faisant quelque part, sortir de plus en plus du réel. Moi j'aime les personnages, je les trouve émouvants (sauf le frère voyou, vraiment insupportable et caricatural), le film a un côté viscéral qui me parle mais au fond c'est trop gâché par ce propos politique parallèle à son récit.

C'est là où le film se plante et se retrouve totalement le cul coincé entre deux chaises. D'un côté un spectacle lyrique, violent et puissant (très bons choix de musique) mais de l'autre un propos politique de plus en plus faible. Le film passe son temps à dédouaner tout le monde, n'ose pas assumer un vrai parti-pris radical et du coup paraît totalement petit bras et pour le coup, donne envie de lui taper dessus. Quand même le traitement des violences policières est ultra problématique. Pourquoi ce choix hyper bizarre ? D'un point de vue scénaristique c'est naze (traité comme un twist bidon à la fin alors qu'ils ont pas assumé et révélés le truc avant) et la métaphore est d'une grossièreté énorme tapant sur la cible la plus facile qui contente tout le monde (seule l'extrême droite divise la France) et surtout inventant une situation qui n'existe pas dans un contexte où les violences policières sont légion. Et pourquoi ce personnage nul de CRS kidnappé, là encore on humanise le CRS, on ne pointe pas du doigt attention. Autre détail, le chef de la police est noir, pratique, on évacue direct la question raciale (comme dans Les Misérables d'ailleurs où le flic qui commet la bavure est noir).

C'est dommage, ça rend le film puéril, artificiel, un peu hypocrite aussi. La prétention de la mise en scène, qui parfois fait des merveilles (les CRS recouverts de boucliers comme les romains, entourés des jeunes en moto quelle image) donne envie de taper sur le film, tant derrière c'est quand même vide et léger. Vraiment le film qui illustre le mieux l'expression "pétard mouillé". Après c'est pas détestable, à vomir, moralement abject, raciste ( ) ou que sais-je, faut redescendre un peu.

2-3/6

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CroqAnimement votre

C'est marrant, moi au final c'est l'inverse :

Ils en parlent avant, c'est annoncé à la télé mais Karim balaie l'hypothèse, "Depuis quand on croit BFM?". Ca laisse supposer comme le dit Müller que le film ne dédouane pas totalement les jeunes de leur bêtise à vouloir en découdre coûte que coûte.

T'as répondu à ta question.

Le tacle à BFM est facile et je suis plutôt du côté des jeunes (C News aurait été plus à propos) dans le genre chaîne de télé passe ses journées à les dénigrer.
Mais oui c'est un film sans couilles, au positionnement vraiment bizarre, presque finalement une espèce de série B efficace (le film fait ses 1h30 réglementaires) bouffée par sa prétention.

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CroqAnimement votre

En parlant de télévision, je m'étonne que mon chieur sûr Deudtens ait pas dénoncé ce moment scandaleux où le chevelu utilise BFM en direct sur son téléphone pour savoir où sont les flics et leur jeter un frigo dessus.

D'une part il suffit de regarder par-dessus la rembarde pour savoir où sont les flics, pas besoin de BFM ; d'autre part la chute du frigo est montrée à la télé en deux plans parfaitement raccordés et avec zéro lag par rapport à l'évènement qui vient de se produire, c'est genre en direct à la milliseconde près.

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Liam Engle: réalisateur et scénariste

Oui j'ai tiqué aussi, le montage en direct lol.

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CroqAnimement votre

Si il y a un moment qui m'a fait ricaner par son irréalisme c'est plutôt le drapeau français brandi fièrement à bord du fourgon CRS volé.

Oui, c'est vraiment l'iconisation pour l'iconisation, mais à la limite c'est tellement poussé que ça a son charme.

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Liam Engle: réalisateur et scénariste

Oui à ce moment je me suis fait la remarque que yavait moins de latence que sur mon propre retour HF.

Ça m'a pas choqué : pour moi ils ont volé le drapeau au commissariat et ils l'exhibent comme un trophée.

Pareil.

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CroqAnimement votre

Justement, à la fin ça ne tape pas tant que ça sur l'extrême-droite, du moins pas sur le plan formel, ça en montre C'est d'ailleurs à mes yeux une des séquences les plus réussies, bien que mise au bout des autres, plus baroques, elle provoque cette sensation de fin en eau de boudin. Il y a un feeling parano très fort, glaçant, avec des codes de film d'horreur et qui me rappelle dans l'esprit Arlington Road et sa machination qui illustre bien ce fameux terrorisme domestique... D'ailleurs c'est un des angles (le thriller politique parano) "gâchés" par les choix esthétiques qui ont été retenus, qui mériterait un traitement plus poussé.

Mais plus le temps passe, plus ça me paraît évident que le malaise suscité par le film vient de cette ambivalence qui me paraît risquée vu le contexte et le sujet. Une partie du public veut un film qui montre les cités et ses habitants les plus influents sous un angle horrifiant, et c'est ce qu'on a. Des mecs comme le frangin aux cheveux longs, ou le dealer, j'en ai connu aussi et je les ai reconnus dans le film sans problème, dans tout ce qu'ils ont d'affreux.

Une autre partie du public veut un film qui montre tout ça sous un angle positif, engagé, faisant preuve d'agence dans un soulèvement légitime face à une injustice grave, de manière galvanisante et esthétisée, et dans l'ensemble c'est ce qu'on a dans le premier tiers. Et c'est tout aussi vraisemblable.

Sauf que voilà, ce twist intrigue.

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Looks like meat's back on the menu, boys!

Pour ma part, je ne l'ai pas du tout pris pour un film social ou politique et je ne pourrais donc pas l'analyser en ce sens.
Dès le début, l'œuvre m'a ramenée aux clips antérieurs de Gavras (Bâtards de Barbares de La Caution, coréalisé avec ses potes de Kourtrajmé pour promouvoir Sheitan de son ami Chapiron, Stress de Justice et plus encore No Church in the Wild de Jay-Z & Kanye West). Additionné à cela, l'influence des séries B avec lesquels Gavras a forgé sa cinéphilie (Carpenter, Miller, Jackson, pour les plus évidents ici) lui ont permis de concrétiser ce projet qui le titille sûrement depuis plus de vingt ans.

À mon avis, le côté politique d'Athena, qui reste aussi lourdingue que celui de Frontière(s) de Xavier Gens, n'est pas le principal propos du film. D'ailleurs, Romain Gavras n'a absolument pas le talent de son père en ce sens et il le sait pertinemment. Il ne joue donc pas dans cette cours et c'est à mes yeux ce qui explique le pathétisme de certaines scènes un peu forcées dénonçant BFM ou autres. Ce n'est pas que le propos soit insincère pour les scénaristes (dont Ladj Ly), loin de là, c'est juste qu'il est mal pensé, mal écrit et forcément mal amené.
Ce qui a surtout intéressé Gavras sur ce projet, du moins il me semble, c'est de réaliser une vraie série B comme il n'en existe que très rarement en France. Un truc qui pète de partout avec des plan-séquences insensés et des milliers de figurants qui courent, qui hurlent et qui se tapent sur la tronche. Avec, en prime, quelques personnages mis en lumière qui pètent eux aussi un câble face à cette violente pression et qui font n'importe quoi jusqu'à l'explosion finale. Il y a du Takashi Miike époque Dead or Alive, là-dedans. Mais aussi du Fury Road, du New York 1997, du Seigneur des Anneaux et tout un aspect de la mythologie grecque qui ramène au titre de l'œuvre.
C'est chaotique et ça fait tout de même du bien de voir ça en France, c'est un fait. Le problème, c'est que c'est également très bordélique. Et cinématographiquement, chaos et bordel ne sont pas des synonymes et vont rarement de pair.

Précédemment, j'avais beaucoup aimé Notre Jour Viendra et Le Monde est à Toi et j'attendais cet Athena avec impatience. Une douche froide ou un pétard mouillé à l'arrivée en ce qui me concerne. Pas techniquement, mon rejet reste seulement scénaristique. Tant pis, j'attends néanmoins le prochain.
Quoi qu'il en soit, prendre ce film au sérieux ou l'assimiler à un pamphlet politico-social en reviendrait à croire qu'Invasion Los Angeles est une histoire vraie.

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