Amour, triche et coups de sabre : révélations sur le scandale qui éclabousse la police
Fin mai, un très haut gradé de la police et une commandante qui avaient noué une relation intime ont été mis en examen, soupçonnés de fraude au concours de commissaire. Un scandale né d’écoutes téléphoniques sur une tentative d’assassinat, dans laquelle les frères de la policière sont mis en cause.
« Courage mon amour. Je reviens vers toi après le ministre. Sois prudente Faïzati. » La nuit a été courte, mais à 6h31 ce 7 décembre 2021, Frédéric Dupuch, 62 ans, a une pensée pour cette femme qui le hante et avec qui il regrette de ne pas pouvoir dormir. Plus tôt, l’inspecteur général affecté au cabinet de Frédéric Veaux, le directeur général de la police, s’est livré à une véritable déclaration d’amour. « Sincèrement je suis avec toi Faïzati, de tout mon amour, écrit le policier à 0h59. Pour mon amour. Fatigué, les yeux rouges par manque de sommeil, mais pas moyen de m’endormir… Venant de t’écrire cela va peut-être être plus facile, te parler ainsi ici c’est presque t’avoir près de moi dans ce lit… Presque, gros presque ! Bonne nuit Faïza. »
Ces messages enamourés, Faïza A. n’est pas la seule à les recevoir. Les deux amants l’ignorent, mais depuis le 6 décembre, la commandante de 46 ans en poste au service juridique de la Direction générale de la police nationale (DGPN) est placée sur écoute et ses SMS sont interceptés. Une mesure rare prise par une juge d’instruction lilloise dans le cadre d’une instruction ouverte pour « tentative d’assassinat » et qui a précipité la disgrâce de l’ancien patron de la puissante Direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) — il avait été écarté durant la crise des Gilets jaunes avant de revenir en grâce, chargé d’une réforme contestée sur la départementalisation de la police.
Le 11 mai, Frédéric Dupuch et Faïza A. ont été suspendus de leurs fonctions avant d’être mis en examen deux semaines plus tard pour « fraude à un concours public ». L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) soupçonne ainsi Faïza A. d’avoir « bénéficié d’informations » sur les épreuves du concours de commissaire, dont le jury était présidé par… Frédéric Dupuch.
Radiée en 2003… et commandante en 2020
Cette affaire a provoqué une vive colère au ministère de l’Intérieur, où travaillaient les deux fonctionnaires. Elle pose aussi de nombreuses questions sur la trajectoire de Faïza A., entrée dans la police en 2002 et propulsée 20 ans plus tard au grade de commandante, au plus près de la haute hiérarchie policière. Une évolution glanée malgré un environnement familial défavorable et des soupçons sur sa probité en début de carrière.
Selon nos informations, la fonctionnaire avait été radiée de la police en 2003 après avoir été suspectée de vols à l’étalage. Faïza A. était soupçonnée d’avoir falsifié les prix de certains disques à la Fnac en interchangeant les étiquettes, avant d’être relaxée par le tribunal de Lille après qu’un intime s’est accusé du vol.
En juin 2005, à la suite d’un recours, la policière est définitivement réintégrée. Elle est alors affectée dans le Nord, sa région natale, où elle rencontre son nouveau mentor et compagnon, le commissaire divisionnaire S. Elle le suit en 2012 à Paris, d’abord affectée au Secrétariat général des affaires européennes, puis au commissariat du VIIe arrondissement.

En janvier 2020, la carrière de Faïza A. fait un bond. Désormais capitaine, elle intègre le pôle juridique de la DGPN. À ce poste, elle est promue commandante et obtient l’habilitation secret-défense. Un sésame qui permet d’avoir accès à des informations sensibles pouvant toucher à la sûreté de l’État et, en principe, délivré après un examen approfondi du profil du candidat par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
« Elle a été habilitée début 2021 et à l’époque, on n’avait strictement rien de défavorable à son sujet », explique-t-on à la DGSI. Un des frères de la policière, Hakim A., avait pourtant été blessé par balles en 2015 en marge d’une affaire de racket d’une discothèque en Belgique. Faïza A. conservera son habilitation secret-défense même après l’ouverture, en octobre 2021, d’une nouvelle enquête criminelle, encore bien plus sombre, visant ses trois frères… C’est cette affaire qui va plonger Frédéric Dupuch et Faïza A. dans les abîmes.
Ses frères impliqués dans une violente agression
Elle débute le 23 octobre 2021 par la violente agression de Sekou S. à Roubaix (Nord). « La victime présente de nombreuses entailles sur quasiment tout le corps, écrivent les policiers dans leur rapport d’intervention. (…) Nous pouvons voir la chair pendre et laisser paraître des os. » Douze plaies au visage et sur le crâne sont relevées. Entendu une fois sortie du bloc opératoire, le jeune homme de 27 ans affirme avoir été frappé à coups de sabre et de machette par trois hommes « tous costauds et encapuchés ». Parmi eux, Sekou S. identifie Amine A., le frère cadet de Faïza.
Interpellé le 24 octobre 2021, ce quadragénaire à la tête d’un patrimoine immobilier conséquent admet avoir frappé Sekou S., mais assure s’être simplement défendu face à un homme le rackettant depuis 2019. Le 26 octobre, Amine A. est mis en examen pour « tentative d’assassinat » et placé en détention provisoire. Mais ses complices présumés, et notamment son frère Hakim, formellement reconnu par Sekou S., sont introuvables.
Président d’un club de foot local, Hakim A., 44 ans, connu de la police pour des menaces de mort et des violences, est visiblement très fier de la carrière de sa sœur. Quelques semaines avant l’agression de Sekou S., il a été visé par une plainte après avoir menacé deux hommes d’un couteau. Ce jour-là, il aurait, selon le récit d’une des victimes, affirmé « qu’il n’avait pas peur des répercussions de ses actes car sa sœur est soi-disant commissaire de police ».
Mis en examen pour « tentative de meurtre »
Ce sentiment d’impunité ressort aussi des investigations sur la tentative d’assassinat visant Sekou S. Dans une synthèse, les policiers de la sûreté départementale de Lille notent que « les frères Amine et Hakim A. orchestraient cette expédition punitive à l’encontre de Sekou S. un samedi soir au plein cœur du quartier de l’Épeule, à une heure d’affluence, dans le but certain d’envoyer un message fort et d’asseoir une autorité dont ils étaient déjà investis. L’absence de témoignages confirmait leur emprise sur le quartier, et la peur de représailles ».
Pour contourner cette loi du silence et mettre la main sur Hakim, dont la ligne téléphonique est coupée, les enquêteurs décident de « brancher » l’entourage du quadragénaire. Parmi ces téléphones à cibler, « il serait opportun de procéder à l’interception de la ligne numéro 07… de Mme Faiza A., fonctionnaire de police à Paris », notent les enquêteurs début décembre.
Hakim A. et son frère Walid, 51 ans, sont finalement interpellés le 26 janvier 2022 et mis en examen respectivement pour « tentative de meurtre » et « non-dénonciation de crime ». Dans le téléphone de ce dernier, les enquêteurs ont découvert « des images semblant de propagande religieuse et représentant des tortures et exactions ».
Elle se fait passer pour Hakim auprès de Pôle emploi
Si la surveillance téléphonique de la policière ne s’est pas avérée déterminante pour « loger » ses deux frères, elle va déboucher sur un scandale comme la police sait parfois en fabriquer. Au fil de plus de 7 000 conversations ou messages interceptés jusqu’à la fin mars, les enquêteurs vont découvrir les drôles de pratiques de la commandante et révéler les soupçons de fraude au concours de commissaire qui lui valent aujourd’hui d’être mise en examen.
Dès le début, les policiers sont intrigués par une conversation entre Faïza A. et la femme d’Amine, alors incarcérée. La policière y demande à sa belle-sœur de basculer leurs échanges sur « les applications Viber ou WhatsApp ». « Ces réseaux cryptés permettant d’échanger des communications sans possibilité d’interception par les services de police », relèvent les enquêteurs lillois.
Suivront plusieurs conversations — autorisées — entre la commandante et ses frères en prison, dont l’une s’avère particulièrement savoureuse. Le 1er mars 2022, Faïza A. échange avec son frère Hakim. Bien qu’incarcéré, il demande à sa sœur d’actualiser sa situation auprès de Pôle emploi pour continuer à toucher ses indemnités. Quelques minutes plus tard, Faïza A. contacte l’agence et « se fait passer pour son frère Hakim en prenant une voix grave », note le policier qui retranscrit les écoutes. La fonctionnaire de police « confirme l’ensemble des coordonnées de Hakim (pourtant en prison) et change le numéro de contact pour le sien ».
S’ensuit un appel à son mari, le commissaire S., au cours duquel Faïza « explique les démarches qu’elle a effectuées pour Pôle emploi », ajoutant qu’« elle a changé sa voix pour se faire passer pour un homme ». Un subterfuge qui ne semble pas émouvoir outre mesure le haut fonctionnaire en poste à la préfecture de police.
Interpellée en plein concours
Les policiers lillois s’intéressent surtout aux conversations de la commandante avec Frédéric Dupuch. Les deux amants y évoquent régulièrement la volonté de Faïza A. de devenir commissaire. Pour cela, elle s’est inscrite au concours par Voie d’accès professionnelle (VAP), réservée aux policiers de moins de 50 ans ayant le grade de capitaine depuis au moins sept ans. Un concours que Faïza A. avait déjà tenté en 2020, échouant au grand oral. Frédéric Dupuch y était déjà le président du jury, mais les deux policiers ne se fréquentaient pas encore.
Toutefois, dans deux écoutes du 3 février à 22h36 et du 22 février à 15 heures, l’inspecteur général qui l’avait recalé deux ans plus tôt assure à sa maîtresse qu’il va « se rattraper ». Sous entendu l’aider pour le concours 2022. Les policiers lillois constatent en effet, au fil de ses conversations, qu’il va tenir sa parole. Faïza A. semble ainsi, grâce à Frédéric Dupuch, être bien renseignée sur les contenus des sujets, dont un qui l’inspire particulièrement : « Le commissaire et les discriminations. » Face à cette situation inédite, la juge d’instruction qui a ordonné les écoutes avise la procureure de la République de Lille, qui se dessaisit immédiatement pour celui de Paris.
Le 6 mai, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire pour « fraude à un examen ou à un concours et complicité de cette infraction » et saisit l’IGPN. La police des polices ne met pas longtemps à comprendre que Faïza A. a bien « bénéficié d’informations » sur les épreuves. Le 10 mai, alors que la policière s’apprête à passer les oraux sous la direction de Frédéric Dupuch, l’IGPN débarque au concours pour mettre fin à la mascarade. Les appartements et les bureaux des deux protagonistes, situés au siège de la DGPN, le saint du saint de la police, sont perquisitionnés. Leurs téléphones et ordinateurs portables sont saisis… Un comble.
Depuis, le concours a été purement et simplement annulé, au grand dam des lauréats qui sont priés de se représenter en juillet. Quelle que soit la suite de la procédure pénale, les traces dans la police, où le bien-fondé de ce concours interpelle en raison de l’entre-soi qu’il alimente, risquent de rester indélébiles. Contactés, Faïza A., le commissaire S. et Frédéric Dupuch n’ont pas donné suite.