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MessagePosté: 11 Mai 2022, 15:37 
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La quattro volte était un petit miracle de cinéma, à la fois exigeant (film sans dialogue) et d'une magnifique simplicité dans son regard sur le vivant. Un cinéma rural et très poétique. 12 ans qu'on attend la suite. Et le moins qu'on puisse dire c'est qu'on est pas dépaysé, c'est la pure continuité de son précédent. Même emballage expérimental sans dialogue avec ce filmage toujours à distance, sans réel personnage (à part le berger) mais surtout même regard aérien sur le territoire filmé, sur le vivant qui s'y déploie. Du pur cinéma poésie.

J'adore d'ailleurs le début qui pourrait laisser penser que Frammartino prend un peu trop son temps pour installer sa situation mais au contraire, là encore creuse son idée du territoire comme coeur battant du film en filmant cette vue d'un village si simple, là encore filmé d'en haut avec ces habitants comme des insectes sous la loupe. Les enfants qui volent les lampes frontales, les villageois qui regardent la télé sur la place (autre source de lumière, le film est une réflexion plastique sur la lumière et l'obscurité). Aussi l'extrait télé du début est absolument génial en ce qu'il est une espèce de commentaire du film à venir, ce reportage sur un monte-charge le long de la façade d'un des plus haut gratte ciel d'Italie, où, à l'intérieur, la capitalisme florissant se déploie (ce qui amusant c'est cet extrait est merveilleux en lui-même, surprenant derrière des vitres de brefs extraits de vie d'entreprise à la Mad Men). Et donc cette opposition évidente du vertical d'un côté vers le haut, de l'autre vers le bas. D'un côté vers l'urbanité et le travail de l'argent, de l'autre vers les tréfonds du monde et des êtres. Tout est là.

La grande idée que le film va tisser peu à peu est dans ce parallèle entre ces spéléologues qui découvrent une grotte de plus en plus profonde et ce vieux berger au bord de la mort. Tout prend son sens dans ce montage parallèle final entre le spéléologue
qui arrive au bout du tunnel sans possibilité d'avancer et le berger qui rend son dernier souffle.
Cela apparaît presque comme la clef du film, comme un talisman qui en éclaire rétroactivement tout son projet. Ainsi Frammartino assimile l'être et son territoire. Assimile le vivant organique au vivant minéral. Aussi simple que profondément bouleversant. Avec ce travail du son si précieux, cet appel du berger envers ses moutons qui résonne jusqu'à la fin du film, ne faisant plus qu'un avec le bruit du vent.

Tout ça pourrait être une pure posture théorique. Mais il n'en est rien, malgré ce regard "de haut" on sent un véritable amour pour ces jeunes spéléologues amateurs qui explorent le monde et qui représente une forme de jeunesse idéale de ces années 60 pré-hippie, on dort ensemble, on vit ensemble (ce plan tout bête du cheval qui rentre sa tête dans la tente pendant qu'ils dorment). Ce moment du ballon de foot aussi, génial (gros travail du son). Il faut écouter Frammartino en interview, il les connaît tous, il est fasciné et admiratif devant ce qu'ils ont accompli.

Bref, je suis toujours aussi client, je trouve ce cinéma tellement précieux dans sa simplicité, dans cette élégie du monde et du vivant, juste par le regard, c'est sublime. Un cinéma purement poétique, totalement unique. Il sera très haut dans mon top de fin d'année.

5/6

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MessagePosté: 14 Mai 2022, 22:47 
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Je ne vais plus trop en salles ces derniers temps mais l'avis d'Art Core m'a chauffé et je suis moi aussi bien enthousiaste sur ce film de prime abord un peu froid, un peu théorique, mais qui une fois que l’on connecte les différents axes se fait très beau et émouvant.

Beau, le film l'est assurément, entre ces paysages montagneux baignés de lumière et cette grotte sombre, servis par une photo et un sens du cadre qui mettent en valeur le récit presque sans paroles, et avec un travail sur le son remarquable.

En fait c'est cette opposition entre le sombre, l'obscur, et le lumineux qui a été ma porte d'entrée dans le film. Au début j'ai eu du mal à comprendre ce qui nous était montré, et j'ai craint le symbolisme un peu lourd avec ce plan qui montre les spéléologues dormir à côté d'un Christ en croix allongé parmi eux.

Mais une fois que l'on arrive à la grotte, tout se met en place et prend du sens. Je vais continuer en explicitant pas mal de clés de lecture du film, pas vraiment des spoilers mais bon si vous avez prévu de le voir je préfère prévenir. D'ailleurs tout cela va ressembler à une explication un peu scolaire, j'ai presque peur de salir un peu la beauté du film, mais bon allons-y.

Comme le dit très justement Arte Core, le film se construit beaucoup sur des mouvements opposés, contraires, en miroir ou en opposition de phase, mais la multiplicité des axes développés a pour but non pas de polariser ses oppositions mais au contraire de les confronter pour toucher une certaine complexité et se défaire de la binarité.

Tout part effectivement de la description de ce gratte-ciel Pirelli à Milan dans un reportage que regardent les paysans du sud devant ce qui semble être l’unique télévision du village, alors que les spéléologues du Nord viennent par la suite effectuer un mouvement inverse, comme une fuite du développement économique pour explorer les entrailles de la Terre, dans une quête métaphysique.
Et le film regorge de ses trajectoires opposées, la quête du ciel des constructions modernes versus ces anti-Icare amateurs (dans le sens où ils n’ont pas de but lucratif), qui sont pourtant le fruit du Nord et du développement économique et qui viennent presque comme des colons explorer le Sud rural et paysan (scène géniale parce que discrète du camion qui klaxonne la vache assise par terre alors qu’il pourrait la contourner).
Il y a aussi comme je l’ai déjà mentionné cette dualité du jour et de la nuit, de l’obscurité de la grotte qui est pourtant le lieu d’épanouissement du groupe (magnifique idée d’ailleurs de filmer ce groupe comme un personnage, aucune figure ne s’en dégage spécialement, aucun dialogue n’est réellement audible, c’est une idée finalement hautement humaniste), alors que l’on ne voit les protagonistes dormir qu’à la lumière du jour. Et là encore le réalisateur apporte des mouvements antagonistes, la lumière des torches perçant l’obscurité, et les dormeurs se cachant les visages de la lumière du soleil.

Mais ces mouvements sont aussi parfois en opposition de phase, et se croisent donc ponctuellement, comme la veillée au coin du feu de camp que pratiquent la nouvelle génération comme le fait l’ancien monde, la première venant d’ailleurs presque littéralement tuer la seconde, de manière involontaire mais irrémédiable.

J’ai d’ailleurs trouvé la fin magnifique, le cartographe qui dessine la grotte terminant son esquisse par l’impasse découverte (et le revoit à une impasse symbolique), est alors le seul spéléologue éveillé, et qui est soudain sorti de sa tâche, comme éveillé, par les appels fantômes du berger. La brume peut alors le recouvrir, rejoindra-t-il ses comparses dans les songes ? Le film est à ce titre un questionnement poétique de la recherche d’idéal.
Bref, j’étais à 4/6 en sortant mais là je suis à 5/6, il y a plein de belles choses, comme cette traversée en canot gonflable qui évoque Pinocchio dans le ventre de la baleine, cette eau qui goutte dans la grotte par gravité, comme celle qui essorée d’un chiffon humide sert à hydrater le berger dans le coma, ce ballon de foot qui tombe dans la grotte est que l’on entraperçoit à peine ensuite au retour des spéléologues.

On se voit dans 12 ans Michelangelo.


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MessagePosté: 14 Mai 2022, 23:26 
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On voit la mère à Puck ou pas ?


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Je préfère quand tu écris rien en fait


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Chouette texte, surpris que le film n'ait pas plus attiré par ici.
Plus prosaïquement, La Quattro Volte c'est 40 000 entrées en France (ce qui est énorme) et celui-ci en est 5000 entrées et fera pas beaucoup plus :(.

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MessagePosté: 15 Mai 2022, 09:37 
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Jerónimo a écrit:
Je préfère quand tu écris rien en fait

Ce forum est vraiment trop méchant.


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MessagePosté: 15 Mai 2022, 09:54 
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Déjà-vu a écrit:
Jerónimo a écrit:
Je préfère quand tu écris rien en fait

Ce forum est vraiment trop méchant.


Tu voulais pas non plus que je mette un smiley ?


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MessagePosté: 15 Mai 2022, 10:02 
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Jerónimo a écrit:
Tu voulais pas non plus que je mette un smiley ?

Nan mais le pire c’est que je suis d’accord avec toi.

Art Core a écrit:
Chouette texte, surpris que le film n'ait pas plus attiré par ici.

Je suis devenu méfiant envers les critiques dithyrambiques, pour les films pointus comme pour les blockbusters, mais j’étais et suis toujours tenté.


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MessagePosté: 15 Mai 2022, 10:10 
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Vous aviez réussi à me chauffer, jusqu'à ce que je vois qu'au Grand Action il passe seulement dans la salle Vecchiali...

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MessagePosté: 15 Mai 2022, 10:14 
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Déjà-vu a écrit:
Je suis devenu méfiant envers les critiques dithyrambiques, pour les films pointus comme pour les blockbusters, mais j’étais et suis toujours tenté.

Méfie toi quand même


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MessagePosté: 15 Mai 2022, 10:54 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
Vous aviez réussi à me chauffer, jusqu'à ce que je vois qu'au Grand Action il passe seulement dans la salle Vecchiali...

Pourquoi tant de haine ?

Lohmann a écrit:
Méfie toi quand même

J’ai foi en quelqu’un qui met la même note que moi aux Passagers de la nuit.


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MessagePosté: 06 Juil 2022, 19:44 
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Koyaanisqatsierie thématiquement riche, ce film est aussi l'exploitation d'un sous-texte écologique roublard et facile (le montage alterné sur signifiant sur l'agonie du berger, reproduisant sans le percevoir, aux plan individuel et existentiel, l'extériorité économique du Nord de l'Italie sur le Mezzogiorno que le film critique pourtant dans le carton final ).
L'écologie pour le film : transférer l'énergie que l'on met à lutter dans le fait de laisser une trace anthropologique, silencieuse mais intentionnelle, qui ressemble à ce qui précède la fiction sans y entrer (montage aussi ironique que chez Iosselinani, mais qui renonce à l'humour), face à une nature perçue comme fatidique et inhabitable. Explorer plutôt que construire. Ce n'est pas l'idée que la nature doit être protégée malgré sa faiblesse et sa fragilité. On est dans un temps géologique qui laisse pareillement homme et animaux à l'extérieur. Le regard est aussi difficile que la lutte, d'où peut-être un impératif et une autorité politique implicités dans le film hors-champ (la scène du gratte-ciel Pirelli est scandaleuse moins par la mise en scène transparente du travail que par le badinage naïvement optimiste du présentateur, un pouvoir qui ironise lui-même sur le travail, l'idée qu'il puisse se révéler à la fois inconscient et aliénant, illusion qui est celle de l'altérité : le laveur de carreau qui rit des gens au travail sans s'apercevoir qu'il travaille lui-même : la nature et le temps géologique de la grotte séparent au contraire pouvoir et travail, déterminisme existentiel et conscience).
Un motif du film : la télé, mais aussi le cadre dans le cadre qui passe du 16/9 de la grotte au 4/3 carré (l'entrée de la grotte, les portes de la grange où languit le mourrant). Mais aussi mouvement qui va de la description du lieu, puissant et incontestable (le dessin de la grotte) à la passivité du symbole, celui-seul seul exposé à la mort, et donc sujet au double sens narratif et politique. Peut-être dans le film il y a t il l'idée naïve que ce qui n'a pas sens ou ce qui nous dépasse et exposé à l'usure doit aussi être délaissé, sans investissement, qu'il y aurait une grande politique (au sens nietzchéen, le regard sur les statues de l'église qui miment le sommeil ou la mort des vivants et d'ailleurs un peu nietzchéen, elles sont immobilisées et rendues anhistoriques par leur signification) dans cette coïncidence (le berger mort ne va nulle part, dans le brouillard, il ne revient pas dans le village du début - la question du sens est plus vieille que celle de la communauté - au contraire des Straub, où la conscience doit bien revenir sur les lieux où l'aliénation était déjà là, car elle aussi est un projet, tout n'est montré qu'une fois).

Un peu dans la même veine, mais avec des éléments de comédie a l'italienne mêlés de façon étrange à ce hiératisme de l'écologie et de la montagne, l'Abitro de Paolo Zucca sorti dans l'indifference il y a 9 ans était bien plus fort.

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.


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MessagePosté: 31 Juil 2022, 10:01 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
Vous aviez réussi à me chauffer, jusqu'à ce que je vois qu'au Grand Action il passe seulement dans la salle Vecchiali...
L'histoire ne repasse pas les plats, sauf pour moi: le film était hier en salle Reichardt. L'occasion de faire un double feature "Films qui se passent en 1961-62" avec Matinee.

En tout cas je ne savais rien du film avant de le voir. Je me suis donc laissé doucement bercer par ce que je croyais être cette longue intro muette et en plans larges avant de comprendre non sans déplaisir que le film entier allait être comme ça.

Quelle étrange démarche ! Le gars a fait les frais en reconstituant un évènement historique simplement pour pouvoir... le filmer comme un documentaire d'Emmanuel Gras.

Car en effet l'ampleur détachée des plans et leur durée sereine font que tout n'est que paysage, réseau, circulation... Même la petite ville, avec ses ruelles comme un labyrinthe de saignées, renvoie à la galerie qu'on explorera par la suite, laquelle renvoie au système sanguin du vieux berger. Correspondances et échos (dans tous les sens du terme). L'impression de toucher à la cohérence invisible du monde, avec ces personnages tout petits qui le parcourent.

Dans l'observation placide des mouvements et des comportements, c'est quasiment de l'anthropologie par moment. Mais où rien n'est appuyé: on voit bien la différence entre les scientifiques urbains et les pasteurs immémoriaux, mais c'est pas exagérément surligné et il n'y a bien évidemment pas une once du conflit auquel je m'attendais. Ce regard est rendu encore plus fort par le parti-pris français de l'absence de sous-titres, réduisant les dialogues à des phonèmes, mettant sur un pied d'égalité les blagues autour du feu et les sons du berger avec ses "Ooah...! Oaah...! Tè ! Tè !"

Le film a une sorte de bienveillance détendue dans le regard, pas trop rigide, pas trop souple non plus, mais ouvert à la surprise, qui sait capter l'indifférence amusée du monde (le cheval qui rentre sa tête dans la tente, le ballon de foot qui tombe, le mec qui doit descendre l'échelle mais qui s'était endormi...).
Cependant, je trouve que le parallèle avec le destin du vieux est un peu trop appuyé, c'est le côté "Note d'intention" que j'aime pas trop, mais ça passe. Et je trouve dommage que l'amour premier degré du réalisateur pour la démarche scientifique ne se sente finalement pleinement que dans les panneaux finals. On aurait aimé pendant le film en prendre davantage conscience, plutôt que de se demander de longue "Mais où veut-il en venir ?". Mais ces quelques mots à la fin font plaisir.

Beau film, je suis content de l'avoir vu.

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MessagePosté: 31 Juil 2022, 11:29 
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MessagePosté: 03 Aoû 2022, 11:45 
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Prends ca Lohmann !


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