Je ne suis pas du tout fan du film, mais je ne comprends pas ce reproche: le thème religieux n'est pas plaqué, c'est le sujet même du film, comme l'indiquent d'entrée le titre original ou même l'affiche.
Loin d'être convaincu que la religion ait une place si importante dans le film. Elle y est présente parce que comme le dit Art Core elle est consubstantielle à la culture espagnole, que le film se passe durant les célébrations de la Vierge à Madrid, et que l'aspect culturel (plus que religieux) de ces célébrations résonne en Eva, à un moment où elle est justement en train de questionner son identité. J'entends bien qu'il y a un parallèle qui peut être fait entre son parcours et certains rituels liturgiques (tel le baptême, sur ce point je te rejoins totalement), mais ils ne sont pas à prendre au pied de la lettre (pas plus que le titre original du film), je n'ai pas ressenti qu'Eva se questionnait particulièrement sur sa foi catholique. On est tout de même plus proche de L'Ornithologue de Rodrigues que de Dreyer. Sinon tu ne veux pas expliquer pourquoi tu n'as pas aimé le film?
Baptiste a écrit:
on se prend à penser qu'on est bien plutôt face à un conte qu'à un film naturaliste. D'ailleurs la révélation finale un peu what the fuck renforce cet aspect. Mais là où le conte rohmérien (que Trueba cite comme influence, paraît-il) se développait de manière organique avec des péripéties dont les logiques s'emboîtent, ici il est difficile de suivre le fil conducteur et le sens de ces aventures, on se demande un peu où Trueba veut en venir.
Ça n'est effectivement pas un film naturaliste, mais je ne lui trouve pas non plus beaucoup de rapport avec les contes rohmeriens. Les cartons qui ouvrent chaque journée, tout au plus. Non, c'est plus au roman picaresque que sa structure m'a fait penser, avec cet enchaînement de rencontres qui viennent chacune ajouter (ou soustraire) une pièce à l'édifice qu'Eva est en train de bâtir.
Art Core a écrit:
J'ai aimé que le film garde son mystère, ne soit jamais trop évident dans ces rencontres (par exemple cette manière de construire quelque chose chose avec les deux anglais pour ne plus les revoir), dans ses petits à côtés (ce truc avec la touriste asiatique), dans ses trajectoires. Comme l'espèce d'engueulade avec la copine maman au début, chose là mais dont on ne reparlera pas. Et surtout je trouve vraiment belle cette tristesse, cette dépression larvée chez ce personnage qui se cherche et qui ne parvient pas vraiment à se trouver.
Je te rejoins sur ce point, j'ai aussi beaucoup aimé la manière dont le film se construit, mystérieux pour ne pas dire nébuleux au départ, qui lève un à un ses voiles sans toutefois tous les ôter. Une part de mystère perdure, même à la fin du film. Et, pour rayonnante que soit Itsaso Arana, même dans les moments les plus heureux, on sent qu'elle porte en elle quelque chose de douloureux, sans que l'on sache bien en identifier la cause, ce qui rend le film moins léger qu'il en a l'air.
Personne ne l'a relevé mais j'ai été frappé, lors de la première scène où elle se trouve seule dans l'appartement que son ami lui prête, par le double regard caméra insistant qu'elle porte au spectateur. Comme si elle nous prenait à témoin d'une décision qu'elle hésite à prendre. Premier regard caméra, elle remonte son chemisier et caresse son ventre, second regard caméra. Effet difficile à jauger de prime abord, mais qui prend tout son sens avec la suite de ses pérégrinations.
Pour moi le sujet du film est évidemment la maternité, Eva est déjà enceinte lorsque débute le film (elle ne le devient en tout cas certainement pas après avoir fait l'amour avec Agosto, vu qu'elle lui a dit 2 jours avant avoir bientôt ses règles), mais se pose sérieusement la question ou non de garder l'enfant. Il ne me semble pas innocent que pendant une bonne moitié du film Eva se refuse à montrer son corps, non pas par pudeur mais parce qu'elle n'accepte pas la manière dont il est en train de changer. De cet état de fait, elle va s'engager dans un double processus de déconstruction aboutissant à la scène du baptême, pour se reconstruire en femme mature, acceptant son corps et sa féminité, et enfin l'enfant qu'elle porte.
Désolé Art Core je vais maintenant me lancer dans ce que l'on peut raisonnablement juger comme de l'explication de scénario mais ça va me permettre d'approfondir mon raisonnement
La première phase débute donc par la scène sus-citée (précédée de celle où son ami logeur lui parle de ce livre sur les comédies de l'âge d'or d'Hollywood et de ses actrices aux forts caractères, pour mieux rappeler à Eva ce qu'elle n'est pas encore), s’enchaineront petite balade en bus touristique (scène qui trouvera son écho lors de la discussion autour du déracinement et de l'avantage qu'il procure pour redémarrer sa vie de zéro - ce qu'Eva fait, mais dans Madrid, en migrant de la périphérie vers le centre), visite au musée (avec le passage par le buste de Poppée, premier indice de ses blessures intérieures) puis à son amie perdue de vue (pour mettre en exergue ce qu'elle ne peut accepter, avoir un enfant. Pendant toutes la séquence la caméra panote des deux femmes vers l'enfant, comme le point de jonction de leur conversation, comme l’élément perturbateur qui a détruit leur relation également). Une soirée avec les britanniques (dont on se demande si les critiques qu'elle formule à l'encontre de Joe ne lui sont pas plutôt directement adressées, en particulier le cynisme), une discussion avec sa voisine performeuse qui a congelé ses ovocytes et lui dit qu'elle a le temps de décider (ce qu'elle réfute, elle nie alors vouloir/pouvoir porter un enfant). Enlevant un à un ses oripeaux, elle est maintenant prête à renaître lors de la scène du baptême forcé.
Seconde phase, elle va au cinéma et se retrouve nez à nez avec son ex (le père de l'enfant?) pour enfin solder leur rupture, y retourne entend la discussion de ses voisines puis participe à la séance de Reiki (elle apprend à accepter ce qui fait l'essence de son corps de femme, le cycle menstruel), au détour d'une balade sur un pont s'approche d'Agosto dont elle pense qu'il va se suicider (ce qui la renvoit à son souhait d'avorter?), qui lui apprend la spontanéité et la débarrasse de tout cynisme. Reconstruite et sereine elle est de nouveau à même de s'ouvrir à autrui.
Vous semblez tous d'accord sur le fait que le film soit trop long, je n'ai au contraire pas vu le temps passer. Malgré ce qui peut s'apparenter à certains tunnels de dialogues, probablement parce que je les ai toujours trouvé à propos. Pas sûr qu'il n'y ait une ligne de dialogue qui ait été longuement soupesée avant d'être incluse dans le script. Et parce que j'ai aimé me laisser bercer par l'indolence de la réalisation, comme si elle était au diapason des corps dans ce Madrid estival où l'on se meut avec le plus d'économie possible, température caniculaire oblige. Magnifique portrait d'une femme qui questionne sa féminité et sa potentielle maternité, jamais moralisateur mais au contraire toujours bienveillant, qui prend le temps qu'il juge nécessaire afin de nous faire entrer dans la psyché de son actrice principale/scénariste, vraie et belle révélation.
Pour ceux que cela intéresse, de généreux contributeurs ont partagé les précédentes œuvres de Trueba sur la Loupe, je peux fournir les liens.
Pour moi le sujet du film est évidemment la maternité, Eva est déjà enceinte lorsque débute le film , mais se pose sérieusement la question ou non de garder l'enfant. Il ne me semble pas innocent que pendant une bonne moitié du film Eva se refuse à montrer son corps, non pas par pudeur mais parce qu'elle n'accepte pas la manière dont il est en train de changer.
D'accord. Son secret explique aussi qu'elle ne veuille pas parler d'elle, comme on le lui fait remarquer - elle a sans doute peur de se trahir ou, lors de la baignade, que sa grossesse se voie.
Citation:
petite balade en bus touristique (scène qui trouvera son écho lors de la discussion autour du déracinement et de l'avantage qu'il procure pour redémarrer sa vie de zéro - ce qu'Eva fait, mais dans Madrid, en migrant de la périphérie vers le centre),
Bien vu. Je crois qu'elle dit elle-même qu'elle n'a jamais voyagé, quand ses amis racontent leurs séjours à l'étranger. Ca expliquerait aussi son identification à la touriste - comme si elle cherchait à voir Madrid comme une touriste la voit. (Il y a aussi du désir, me semble-t-il: on ne serait pas étonné de la voir avoir une aventure avec elle, puisque toutes les possibilités semblent ouvertes à ce moment du film)
Citation:
le passage par le buste de Poppée, premier indice de ses blessures intérieures
Tu te souviens de ce que dit le carton présentant le buste? J'ai oublié et je me demandais pourquoi le film mettait ce personnage en valeur. Je ne vois rien dans la fiche wiki sur Poppée, à part ça peut-être: "Selon Suétone, Poppée est enceinte à l'été 65, quand elle reçoit de Néron fou de rage un coup de pied mortel dans le ventre parce qu'elle lui a reproché ouvertement de passer trop de temps aux jeux. Nombre d'historiens modernes estiment qu'elle est morte des suites de complications de sa grossesse".
Lohmann a écrit:
au détour d'une balade sur un pont s'approche d'Agosto dont elle pense qu'il va se suicider (ce qui la renvoit à son souhait d'avorter?), qui lui apprend la spontanéité et la débarrasse de tout cynisme
D'accord sur le fait qu'elle croit qu'il va se suicider: mais je ne dirais pas qu'il lui apprend la spontanéité: il a l'air de toujours suivre le même rituel (fumer sa cigarette au même endroit, avant de rejoindre son amie au bar) et c'est elle qui prend soudain l'initiative de coucher avec lui. Enfin, "prendre l'initiative" est encore trop dire: elle demande "Pourquoi on ne fait pas l'amour?" mais à ce moment-là, le poster de la lune, derrière elle, lui dessine une sorte d'auréole, comme si elle était sous l'influence de l'astre (ce qui rejoint la discussion précédente sur l'influence de la lune; c'est peut-être aussi, un clin d'oeil aux comédies shakespeariennes, où on souligne sans cesse l'influence de la bonne ou de la mauvaise étoile: je pense aussi à Shakespeare à cause de la référence à Stanley Cavell, qui a écrit sur Rohmer et Shakespeare, à propos de "Conte d'hiver"). Je ne sais pas comment on peut interpréter le fait qu'elle est attirée par un homme qu'elle croit sur le point de se suicider, mais ce qui est intéressant, c'est la méprise, le fait qu'elle tombe sur l'homme qu'il lui faut sur un malentendu, et que l'erreur soit finalement ce qui la mette sur le bon chemin.
Lohmann a écrit:
Sinon tu ne veux pas expliquer pourquoi tu n'as pas aimé le film?
Je n'ai pas d'arguments intéressants, sinon que ce n'est pas le genre de film que j'ai envie de voir en ce moment. Mais finalement j'y repense et ça m'intéresse d'en parler. J'étais quand même circonspect à la fin, à cause de ce dénouement où Eva semble trouver sa voie, devenir "la vraie personne" qu'elle cherche à être depuis le début, en devenant mère.
Ca expliquerait aussi son identification à la touriste - comme si elle cherchait à voir Madrid comme une touriste la voit. (Il y a aussi du désir, me semble-t-il: on ne serait pas étonné de la voir avoir une aventure avec elle, puisque toutes les possibilités semblent ouvertes à ce moment du film)
C'est également quelque chose que j'ai ressenti à ce moment là.
latique a écrit:
Lohmann a écrit:
le passage par le buste de Poppée, premier indice de ses blessures intérieures
Tu te souviens de ce que dit le carton présentant le buste? J'ai oublié et je me demandais pourquoi le film mettait ce personnage en valeur. Je ne vois rien dans la fiche wiki sur Poppée, à part ça peut-être: "Selon Suétone, Poppée est enceinte à l'été 65, quand elle reçoit de Néron fou de rage un coup de pied mortel dans le ventre parce qu'elle lui a reproché ouvertement de passer trop de temps aux jeux. Nombre d'historiens modernes estiment qu'elle est morte des suites de complications de sa grossesse".
Je ne m'en souviens pas précisément, en substance qu'elle était d'une grande beauté et qu'elle est morte assassinée. Ce que tu rapportes sur les causes de sa mort sont d'autant plus intéressant... lors de cette scène je me suis dit qu'Eva avait soit avorté, soit avait été violée (ce qui reste une option valable à la fin du film).
latique a écrit:
D'accord sur le fait qu'elle croit qu'il va se suicider: mais je ne dirais pas qu'il lui apprend la spontanéité: il a l'air de toujours suivre le même rituel (fumer sa cigarette au même endroit, avant de rejoindre son amie au bar)
Cette remarque faisait référence au moment où il la convainc d'aller voir le membres du groupe dont elle a apprécié la musique pour les remercier. Chose qu'elle aurait été incapable de faire avant.
Ah sinon je me rends compte que j'ai oublié de corriger une méprise de Baptiste.
Baptiste a écrit:
elle drague et pécho le gars final devant sa petite amie à lui???
Inscription: 04 Juil 2005, 15:21 Messages: 22991 Localisation: Paris
Le Cow-boy a écrit:
Ces titres, ça vend du rêve tout de même.
Moins que Avril enchanté
_________________ Que lire cet hiver ? Bien sûr, nous eûmes des orages, 168 pages, 14.00€ (Commander) La Vie brève de Jan Palach, 192 pages, 16.50€ (Commander)
Oui je me doutais que ça devait plutôt être ça, mais du coup le gars va tenir compagnie tous les soirs à une amie jusqu'au bout de la nuit, c'est une sacrée amie. D'ailleurs ladite amie envoie des regards appuyés (jaloux?) à Eva qui drague ostensiblement Augus.
L'attitude d'Eva, son culot pour obtenir Augus me semble mal cadrer avec le reste du film. Ok, elle a sa révélation de ce que vous appeler le "baptême", mais le changement est un peu brusque pour qu'il me convainque. Mais je pense que j'ai aussi eu du mal avec le charisme de l'actrice, elle m'a agacée, ça peut jouer sur ma réception.
Ok, elle a sa révélation de ce que vous appeler le "baptême", mais le changement est un peu brusque pour qu'il me convainque.
Justement, ce que j'ai essayé de montrer c'est que ça n'est pas une révélation qui arrive brusquement mais bien un lent processus qui abouti à sa renaissance lors du baptême. Mais si l'actrice principale t'a rebutée je comprends que tu n'adhères pas au film vu son omniprésence (comme moi avec le Rayon vert à cause de Marie Rivière).
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