Forum de FilmDeCulte

Ce point de vue représente un pas de côté par rapport aux films que tu cites. J'ai l'impression qu'il y a une sorte de magnanimité dans le projet de Ladj Ly (ou formulé différemment, la volonté de fuir le manichéisme, mais en restant caricatural dans cette mesure).
Après, je vois mal ce qu'il y a de choquant. Un banlieusard ne pourrait pas adopter le point de vue d'un flic ?

On comprendra pe mieux ce que je veux dire en défendant plutôt des films comme "Wesh, Wesh" de RAZ ou "L'Esquive" de Kechiche...

Truffaut parlait de la "critique Selznick" ("le film aurait pu être réussi si le réalisateur avait..."). Le critique prend bel et bien le point de vue du producteur et bailleur de fond du film. Mais je ne sais pas quel nom de producteur associer au fait d'affirmer que les films qu'un réalisateur n'a pas encore tournés seront potentiellement de plus en plus mauvais.

J'ai mis du temps à le voir (je tournais quand il était en salle), et je suis plutôt déçu.

Déjà, j'ai une histoire commune avec ce projet, ayant bossé avec Ladj à sa sortie de prison. Pendant deux ans (2012-14), je l'ai accompagné dans tous ses projets, pour démarcher les boîtes de prod, et on a essuyé ensemble pas mal de faux départs... je lui ai écrit un court (24h d'une équipe de la BAC en cité, en caméra subjective, avec un flic mouchard, et une bavure en climax), retravaillé un projet de long autobiographique, et pitché un autre qui ferait office de suite à La Haine... et puis est arrivé le moment où j'ai un peu lâché pour tourner mon premier court, et où il n'en pouvait plus de voir les copains Chapiron et Gavras percer, tandis qu'on ne lui proposait que de réaliser le making-of. Alors il a disparu pendant quelques mois, quasi une année... pour tourner un documentaire au Mali, et je n'ai plus jamais entendu parler de lui.

Jusqu'à son documentaire co-réalisé sur le concours d'éloquence, et 2018 où on m'a dit qu'il avait réussi à financer un court ; j'étais content et un peu surpris aussi. Encore plus en découvrant le pitch : il avait repris les bases de notre projet, en y ajoutant ses lubies (un drone comme dans La Haine, un contexte façon western pré-émeutes, deux trois scories dont on avait parlé et que j'avais choisi de ne pas inclure). Je le trouvais plutôt pas mal du tout, ce court, avec de grosses qualités et des petits défauts. Et surtout, aucune aigreur envers lui, à titre perso. Ladj a eu un destin tellement tragique, que je ne vais pas développer, c'est un type tellement gentil que je ne peux qu'être ravi pour lui.

Et donc le court est devenu un long, avec un succès international !
Et le César du meilleur film quoi !

C'est drôle. Bref.

Ça fait super plaisir de retrouver la banlieue avec le sourire, les vannes, et des petits bouts de vérité. C'est tellement rare que c'est précieux. Le personnage (et le comédien) du Maire est génial, la nature du projet est différente d'un premier film classique. Faut supporter un Damien Bonnard littéralement à chier, et Manenti en roue libre d'impro... mais Ladj est tellement fort pour le filmage (il a des tonnes d'archives de 2005, où il vivait constamment caméra au poing), et pour fédérer façon Kourtrajmé, qu'il a réussi au bout du bout à concrétiser tous ses désirs : équipe de la BAC, personnages hauts en couleurs, bavure, drone, western, émeutes. Forcément, ça me fait un peu sourire de voir tous les ingrédients associés pêle-mêle, comme une compilation, et ressentir la filiation avec le film de Kassovitz aussi assumée.

Sauf qu'au bout d'une heure, le film se casse la gueule, la chronique disparaît, l'humour s'évapore, le gamin n'est pas mort avec une balle de LBD à moins de 2 mètres, la bavure est légère, pourtant tout s'enflamme... et le film n'a plus grand chose à raconter. Tout se brouille dans un grand vide, lisse et abstrait, sans point de vue. On glisse tranquillement vers l'imagerie de son poto Gavras avec ses jeunes armés d'un cocktail molotov au ralenti, comme dans le clip Stress... on singe la dualité du Kasso, et on fait pause.

Franchement, y avait moyen de faire un truc génial, mais j'ai l'impression d'une coquille vide, d'un film de chef-opérateur (merci Julien Poupard) sans réalisateur aux manettes, sans découpage, sans réflexion, et ça me frustre totalement.

Mais bon... le film a eu un rayonnement spectaculaire, et je suis curieux de voir comment Ladj va capitaliser cet énorme succès (son investissement auprès des jeunes lui ressemble déjà à 100%). Ça va être le 2ème film le plus attendu depuis des lustres !

4/6 la première heure, puis ça retombe à 2/6

on ne lui proposait que de réaliser le making-of