Londres, 1970. Chaz (James Fox) est un petit mafieux, au look de jeune dandy propret, spécialisé dans le recouvrement de dettes et l'intimidation. Ayant une psyché troublée, il prend visiblement beaucoup de plaisir dans ses fonctions, et son zèle et son imprévisibilité finissent même par inquiéter son propre patron, le madré Harry Flowers, en train de s'acheter une respectabilité, qui décide de l'éliminer. En fuite, et blessé il surprend une conversation d'un musicien, qui sous-loue une chambre dans l'hôtel particulier d'une rock-star déchue et recluse, Turner (Mick Jagger), une sorte de gourou déconnecté de la réalité, chez qui il pourrait se cacher, tout en coordonnant son exflitation vers les USA. Il parvient à duper Pherber (Anita Pallenberg), la maîtresse et âme-damnée de Turner, en se présentant comme un jongleur , mettant à profit la ressemblance entre son costume et des vêtements de cabaret. Le film a le cul entre deux chaises, oscille en permanence entre récit linéaire "classique" et oeuvre impressionniste (pas si loin de Kenneth Anger), Jagger à la limite de l'overdose et se prenant pour la réincarnation de Leadbelly joue très mal (Anita Pallenberg, en revanche, est juste et surprenante), mais est absolument fascinant. Le montage cut et le sens visuel de Roeg (couleurs hyper-baroques mais avec une forme de texture étonnament réaliste, qui donne au film une forme d'intemporalité, tenant juste par le grain de la pellicule, la lumière naturelle dans cet environnement complètement artificiel) sont remarquables. Les situations sont extrêmes, tant dans le film de gangster au début que dans le délire décadent post-68 de la fin.
Le film est à la fois complètement fasciné par la pop culture de l'époque, en immersion complète dans cet univers, et relativement distant. Les gangsters, eux-mêmes des figures de convention deviennent finalement, par un retournement dialectique , une incarnation conjointe du prolétariat et du public -le film identifie les deux, de manière consciemment problémtiques- , contre-champ au monde autarcique et hors-sol de l'espèce de Factory à trois s'enferme Jagger. Les deux univers, celui du film noir, et celui du swigging sixties, sont autant en concurrence du fair de leur prétention respective à exprimer une vérité sociale, de venger le réel par le récit, que par le fait d'être chacun en fin de course, épuisant leur contenu tout en restant à l'image : la mise en scène est alors une effort de chacun pour soi-même et se confond avec la vie, leur communication et leur ressemblance et mise en relation renvoie au contraire à une interruption, finalement à leur mort, progammée : l'utopie beatnik échoue sur l'impossibilté de l'accident (ce qui est le sens de la toxicomanie). Il n'y pas d'accident non plus dans le monde des gangsters: la violence et la mort correspondent toujours à une intention, érotisable, annulable par le comique. La reconnaissance sociale, à laquelle tous deux aspirent, annule toute notion d'évènement, elles concentre un destin dans une simple présence.
Il faudrait aussi creuser la fascination du film pour la musique noire, et le combat contre le racisme : le seul vrai artiste du film, à la fois anonyme et reconnu, est métisse, hendrixien, et accorde un répit à Fox en quittant le film aussitôt qu'il y est entré . Il possède aussi une image de Luther King qu'arrache James Fox, qui finira par prendre le look d'un prophète (seul déguisement possible car lui-même ne croit à rien). Le basculement entre les deux univers s'opère par un morceau des Last Poets : l'autre est à la fois un signe qui résume une intention complètement captée, et, un mystère lorsqu'on on recueille paradoxalement la culture et la parole. Roeg est finalement assez moraliste, il oppose encore plus qu'Antonioni l'image avec la culture : chez Antonioni l'image remplit encore une fonction de témoignage d'une vacuité qui lui préexiste, ce témoignage est en lui-même une essence et une texture, quand chez Roeg elle est le seuil séparant le vieux monde d'un "après" collectif et infigurable : elle n'est par le témoignage mais plutôt le nom propre de l'aliénation.