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MessagePosté: 01 Sep 2019, 13:45 
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Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
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URSS, au milieu des années 1970. Une femme, élégante, dans une réunion politique à Léningrad, visiblement habituée au pouvoir, mais angoissée et muette. Puis flash-back ou flash-forward dans une ville de province. Sur les berges d'un fleuve gelé, entre les roseaux , deux gamins, livrés à eux-mêmes, s'amusent à tirer sur des boîtes de conserve avec un petit revolver. Arrivent deux policiers en voiture qui les dispersent sans ménagement. Les enfants laissent tomber le revolver dans leur fuite.
Un deuxième groupe d'adolescents, faisant du ski de fond, passe alors. Le dernier de la file trouve le revolver sur la neige. Il revient chez lui, où il est seul avec sa petite sœur. il provient visiblement d'un milieu plus aisé que les premiers gamins, et est un peu plus âgé. Il passe Ob-la-di ob-la-da des Beatles pour faire diversion auprès de sa petite sœur, qui danse sur la chanson, et essaye de tirer dans la rue, par jeu. Le revolver est enrayé. En essayant de travailler le revolver avec un kit de bricolage, il se tire accidentellement une balle dans la tête. Il ne saigne pratiquement pas et est conscient, ce qui semble affoler encore plus les ambulanciers . Il mourra à l'hôpital.
Sa mère, ancienne championne de sport
et justement, de tir
-est une dignitaire communiste locale. Reconnue (mais aussi redoutée) pour son zèle et son honnêteté, elle est devenue la maire de la ville. La mort de son fils la bouleverse et la plonge dans un examen de son passé. Comment a-t-on pu en arriver là ?


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J'écumais les rayons de la médiathèque de Bruxelles, qui va sans doute disparaître, et suis tombé sur ce DVD. Je sais que Panfilov a fait l'objet d'une rétrospective en France liée à l'anniversaire de 1917. Du cinéma soviétique des années 1970, je ne connais finalement que Tarkovski, puis son influence sur Soukourov ou, de manière plus oblique mais palpable, Alekseï Guerman.
Panfilov se situe dans un autre courant du cinéma, moins spiritualiste que celui issu de Tarkovski, et plus sociale et réaliste (mais paradoxalement tout aussi métaphorique et formaliste), assez proche de Leto de Serebrennikov, qui rappelle aussi certains film de Wajda de la même époque.
Le film est formellement très beau, notamment grâce au grain de la pellicule, à la fois gris et vibrant qui semble du 70mm . Les cadres sont très composés, magnifiques, de mêmes que certains décors (le salon rouge de son bureau de maire qui évoque aussi bien l'épure et la distanciation brechtiennes que le baroque pulsionnel à la Lynch)

Je demande la Parole est déroutant, et difficile à cerner. C'est simultanément une œuvre qui relève presque de la propagande (le sujet réel est la survie de l'idéologie communiste, qu'il s'agît de défendre face au réel, car c'est celui-ci qui est révisionniste) et un film extrêmement critique, lucide et pessimiste sur le futur du régime voire du pays. Un film super-nationaliste (le gauchisme c'est une connerie d'intellectuel français poseur, et même le PCF de Marchais est gauchiste) et une fustigation de la mentalité provinciale russe (une des scène-pivot du film est consacrée à la mort d'Allende vue en famille à la télé, que celle du fils répètera d'ailleurs : l'histoire se fait dorénavant ailleurs, mais la culpabilité et le geste meurtrier ou protecteur gardent, malgré cette impuissance, le même sens moral). Une hagiographie de la bonne communiste et un procès psychanalytique de la même personne prise mauvaise mère, un mélange entre un cinéma archaïsant qui remonte à Medvedkine ("ne pleure pas, l'esprit de Lénine a illuminé notre camarade et tout sera résolu au prochain plan quinquennal") et un cinéma moderne, intimiste et sec, à la Bergman (il y a dans ce film des engueulades de couple pas piquées des vers, presqu'à la Pialat - Eustache).

C'est donc un film particulièrement intéressant pour comprendre ce qu'on pourrait appeler la "mentalité Gorbatchev", soit à la fois la réussite et les impasses de la perestroïka. Il y a l'idée que le régime communiste ne pouvait être débarrassé de la corruption et réformé que par les cadres qui y croyaient. Mais, c'est là le problème du film, malgré la corruption du régime, ces cadres compétents étaient, eux-aussi promu, et récompensés par le régime. En conséquence la condition d'intellectuel est complètement rabattue sur celle de politicien. Et l'intellectuel se définit par le fait que ce pourquoi il est récompensé correspond exactement à ce qu'il croit déjà, il n'y a pas d'écart et de décalage par où la réalité puisse se glisser, sinon lorsqu'elle est déjà en crise et mourante pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le parti. Ce sont les individus corrompus qui perçoivent le réel au travail, non encore visible, quand le parti exige que le réel soit en plus transparent, nommé de préférence par lui-même, mais souvent par autrui (et là encore plus facilement par le sceptique que par le communiste croyant).

Il y a une scène hallucinante dans le film (qui est une forme de - bon - film à sktech ou à psychodrame : scène de la vie d'une politicienne), et à deux niveaux, qui est celle de la faille dans l'immeuble, qui en dit bien plus sur l'époque que la série Tchernobyl.
La maire a pour grande idée le logement, pour dynamiser la ville, elle veut créer un nouveau quartier. La crise du logement est aussi un facteur qui renforce le clientélisme politique, y compris chez son mari, entraîneur de l'équipe de foot locale, qui rémunère les transferts de joueurs les plus en vue en appartements corrects, et elle veut y mettre fin.

Une faille apparaît sur la façade d'un nouvel immeuble où a lieu une noce. La maire se rend sur place, accompagnée de son vieil adjoint ( qui est aussi, le film est très clair et très intéressant là-dessus, quelqu'un qui la surveille).
Evacuer l'immeuble, récent, la mettrait en position de faiblesse politique par rapport à son propre programme, mais elle veut par ailleurs le bien de ses administrés. Elle s'invite donc dans la noce, vole la vedette à la mariée, danse et surenchérit sur la fête, retrouvant des gestes du folklore russe, et propose alors de récompenser la famille par un nouvel appartement pour mieux l'expulser.

Le second volet de la crise est au conseil municipal, où accompagnée d'experts et d'enseignants en architecture, elle doit prendre une décision sur l'habitabilité de l'immeuble. Les experts et adjoints les plus rigides la pressent d'évacuer la barre d'immeuble, et de reloger les familles dans une université en construction. L'aile "gauche" (représentée par des architectes moins reconnus mais visiblement compétents) défend l'idée que la fissure est liée à un affaissement accidentel du terrain et que l'immeuble est réparable. Ce qui arrange la maire, qui en fait s'allie alors à son opposition. Mais personne ne veut signer l'acte de décision.

Phase 1 : la maire apparaît comme la victime d'un système sclérosé et où personne n'est responsable de rien, et où stalinens et gauchistes sont solidaires (contre elle qui se définit plutôt comme Léniniste).
Phase 2 : un architecte alcoolique sort un document pré-rédigé, dont il endosse la signature. C'est une figure de l'outsider rebelle, à la fois foireux et providentiel, qui permet de dénouer la crise.
Phase 3 : il se troue et dit c'est ce qu'on a avait fait pour les failles précédentes et la maire quand-même décide de signer. Le gauchisme médiatise la corruption au yeux du régime et circule de la société vers le politique plutôt que l'inverse, et la maire est dupée politiquement, parce qu'elle a raison psychologiquement.

Ce qui est une vérité au point de vue de la "situation" devient alors un mensonge lorsqu'on se déplace au niveau des infrastructures, de la logique technique sous-jacente. C'est celles-ci qui sont corrompues, quand le réalisme et l'humanisme de la maire ne sont qu'une adaptation aux situations.
Le film est à cet égard extrêmement cruel, piégeant plusieurs fois la maire, qui vit une descente aux enfers sadienne, tout en restant sociologiquement crédible. Un auteur de théâtre qui la séduit, et avec laquelle elle est en discussion sur le contenu de sa pièce, sur un mode où on distingue mal ce qui relève de la censure et de la conversation plus amicale, la piège on lui annonçant qu'il a pu monter la pièce dans deux théâtres à Moscou, sans son autorisation.
Dans un des bonus du DVD, une historienne du cinéma, François Navailh, révèle que cette cruauté se retrouve aussi dans la production du film. L'actrice principale, Inna Tchourikova, est la femme et l'égérie de Panfilov. Elle précise que Panfilov filme l'URSS du point de vue critique d'un homme qui reste un communiste convaincu, essayant pourtant de réformer le régime (cette ambiguïté se retrouve dans le film, où des scènes qusi-bergmaniennes alternent avec des inserts sur le portait de Lénine, filmé comme un fantôme, un reflet et un père primitif). Lorsqu'elle a interrogé le couple, elle a demandé s'ils estimaient que la mère était responsable de la mort du fils. Tchourikova était dans une lecture féministe du film de son mari et répond par la négative : ce qu'elle joue c'est une femme touchée par un drame dont elle est victime, mais qu'elle surmonte en transférant le tragique de la situation sur son engagement politique. Panfilov la détrompe alors, en jouant sur lee thème psychanalytique de la "mauvaise mère" -comme elle est championne de tir elle-même, le meurtre est la traduction de son Œdipe à elle ,opposant le fils au mari. Déjà elle aurait pu apprendre au fils à se servir d'une arme et ne l'a jamais fait. Au moment le plus douloureux du film, son mari lui fait d'ailleurs remarquer qu'elle confond le tir avec un sport, alors qu'il s'agît de quelque chose de plus dur et militaire. Françoise Navailh remarque que Panfilov n'avait pas donné à sa femme toutes les clés de son personnage (et qu'elle sera le second rôle du film suivant...).



Autre aspect du film qui m'a marqué : il est à la fois métaphorique et direct, les saynètes sont métaphoriques et hyper-signifiantes, mais les intervalles entre elles sont dévolus à des moments où la maire commente sa ligne politique à son mari ou à son fils (pour clore des disputes familiales, ce qui a tendance à les méduser aussi, et à avoir un doute sur sa solidité psychologique, mais bon c'est la maire, c’est son métier, c’est finalement une cheffe). Mais séparation entre le sujet d'une métaphore et d'un code, et celui de son interprétation. Il y a pourtant une scène où les deux logiques vont se réunir : celle où intervient la figure de la victime du stalinisme. La métaphore revient lorsqu'on consent à nommer la victime de l’histoire (ce qui se produit une seule fois dans le film, les personnages continuent en permanence à se penser comme acteurs malgré le fait qu’une catastrophe ait déjà fait sentir ses effets). La maire doit remettre une décoration importante à un vieillard, alité dans une maison de retraite, qui semble un rescapé de guerre. Les officiels sont là. Mais le vieillard se dispute avec ses amis du même âge, et mentionnent la mort d'une troisième personnes, pour des raisons qui semblent à la fois indéchiffrables et transparentes. Quatre cercles entourent les vieillards : ses amis avec qui ils se disputent, des étudiants au look un peu 68 qui sont fascinés par l'évènement qui semble leur livrer une clé morale et historique, la maire, qui sourit et chante, et des gardes du corps en cravate, au look Christopher Walken, impassibles, surveillant tout le monde.

Un des aspects jubilatoires du film, outre sa grande beauté formelle (le début hivernal donne le sentiment d'être à l'intérieur de tableau de Breughel filmé dans Solaris) , est de fournir un tableau sociologique complet, balzacien, de toute une société, à partir d'un seul personnage, qui touche à la totalité du réel malgré lui, par une manipulation qui l'agît et recouvre exactement sa personnalités réelle et les passions privées qui l'animent. Les deux sont aussi déterministes, et aussi inexplicables, il faut cela pour ancrer le monde dans l'histoire, au double sens du terme.

Le film est extrêmement bien mis en scène, malgré quelque scories et faux-raccords (peut-être liés à des coupes et à la censure, il concernent les gestes les plus charnels, comme la main du mère qui se pose sur l'épaule du fils). Le suicide du fils au début, même si la scène est peu sanguinolente, et extrêmement éprouvant à voir, et distille un malaise qui excède tout rattachement à un genre reconnu. Je n'écouterais plus Ob-la-di Ob-la-da avec la même innocence...

La musique est aussi impressionnante ; outre la pop des Beatles (signifiante politiquement, un peu comme dans Leto), et des chants populaires, il y a un espèce de nappe orchestrale sourde (de Vadim Bibergan : https://www.youtube.com/watch?v=0siypvnwKh0 https://www.youtube.com/watch?v=3H-MnXtTClQ) , stridente et étouffée, qui évoque autant Philip Glass que Chostakovitch.

Mine de rien, ceux qui regrettent qu'il n'y ait pas eu de version russe de la série Tchernobyl devraient quand-même voir ce film : elle a en fait déjà été tournée.

_________________
Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.


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