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MessagePosté: 08 Juil 2019, 16:45 
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Inde, années 1960. Les Buckingham sont une famille d'acteurs itinérants. Trois générations vivent ensemble, jouant les grandes pièces du répertoire shakespearien, dans un mélange indéfinissable de ferveur poétique incandescente, quasi-sacrificielle, et de routine respectueuse.
Rien n'a apparemment changé depuis l'indépendance, leur public de prédilection se compose de classes d'école ou de maradajah décadents qui veulent la Tempête ou Cléopâtre pour eux seuls, comme des versions réactualisées du maître de musique fétichiste et esthète de Satyajit Ray.

Ils ont pour habitude de s'arrêter chaque année dans une station de villégiature située sur les contreforts de l'Himalaya. Là, ils sont par la force des choses amenés à s'apercevoir que le collège local leur préfère à présent les match de l'équipe de cricket, que leur vieux tacot est en panne, que leur logeuse, vieille fille anglaise, songe à finir ses jours en Europe. La troupe compte également deux jeunes Indiens que leur famille presse de trouver un emploi plus profitable.
La jeune Lizzie Buckingham, abonnée depuis l'enfance aux rôles d'Ophélie et Desdémone, qui n'a jamais connu que la troupe et le texte de Shakespeare, tombe amoureuse d'un riche play-boy local de bonne famille. Celui-ci flambeur et naïf, va généreusement essayer de compenser la précarité économique de la famille Buckingham, qu'il admire derrière un masque d'orgeuil et de hauteur
mais il cache aussi à Lizzy qu'il est déjà en couple avec une starlette du Bollywood naissant


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Il s'agit du deuxième long-métrage de James Ivory, dont j'ignorais que le début de la carrière remontait aux années 60 et était relié à l'Inde contemporaine.

L'histoire est assez convenue et prévisible : un amour rendu impossible par les préjugés culturels des deux camps - la dernière pièce jouée n'est pas pour rien Roméo et Juilette. Mais Ivory tire parti du fait que les acteurs (les Kendal de leur vrai nom) jouent leur propre rôle et des rapports familiaux réels pour apporter une dimension d'épure et de distanciation, qui finit par conférer , lentement, une épaisseur et un caractère pathétique et poignant au drame, malgr un point de départ plutôt comique (accentué par l'indolence apparente de l'actrice qui joue la fille, très singulière et attachante).
Comme on peut s'y attendre, le film est à la fois un film "de gauche", attentif à la dialectique conflictuelle de la minorité et de l'ordre majoritaire, et malgré tout représentatif d'une forme de mélancolie aristocratique, élitaire et sollipsiste.

Ivory n'est pas dupe du racisme, filmé comme un phénomène et un point aveugle obsédant et innomable : il reste tout le long du film à la fois un secret et une convention (la servante indienne de l'actrice de Bollywood, d'une basse caste, qui apporte un élément comique assez proche du Blackface, est muette, tandis que les parents anglais prétextent avec une hypocrisie passablement odieuse le fait que leur fille pourra se former au métier d'actrice à Stratford pour éloigner le risque d'un mariage inter-racial ), la culture fonctionne comme un masque qui exprime, critique mais aussi voue à l'oubli le racisme.
Un des personnages indiens remarquent assez finement que le fait que les pièces de Shakespeare soient à la fois poétiques et emplie de sagesse politique accentue leur opacité et leur mystère, la séparation entre poésie et politique correspond finalement à une sorte d'écart entre le merveilleux narratif et la tragédie.
La critique du racisme est réelle, mais elle est filmée à partir d'un présent vu comme une chose morte, déjà dévalué et inférieur en dignité à la noblesse des pièces de Shakespeare (qui ne s'opposent pas Bollywood, malgré l'intrigue apparente, mais, lors d'un court passage qui fonctionne pppp à la fois comme un détonateur et un lapsus, à la langue sacrée sanskrite elle-même hermétique pour les Indiens, un peu comme le latin classique pour nous, qui est le hors-champ que le film appelle sans arriver à incarner : la disparition du sacré est vue comme ce qui empêche une réciprocité à la fois amoureuse et intellectuelle dans le couple de l'actrice anglaise et de l'héritier indien mélancolique, sans elle la morale - sauver l'autre - et le désir -être avec lui- échangent en permanence leur position).

Ivory articule trois plans, chacun suffisamment fort pour faire un film à part : le premier d'entre eux est le rejet par les Indiens de la culture anglaise jadis dominante, qui passe du pouvoir au snobisme, puis du snobisme au chromo . Barthes dirait que Shakespeare est une mythologie, c'est à dire une idéologie. A la fin du film, le couple d'acteurs vieillissant, resté seul en Inde, ayant provoqué la sépration entre leur fille et son amant, envisage d'abandonner la mise en scène de pièces complètes pour faire un spectacle de "morceaux choisis". Ce qui, pour l'idéologie, est un gain quant à l'efficacité "médiatique" (et donc relève à la fois du sens et du politique) correspond à un désinvestissement par rapport à l'origine. Pour cela la culture, montrée dans le film, n'offre pas de prise à la critique : il suffit d'en montrer à la place la fragilité et la mort comme constamment menaçante pour la légitimer.

Le second plan est l'échec amoureux du couple de la jeune fille et de l'héritier (leur relation, qui commence comme un presque-gag, est lamentablement interrompue par les parents et pamants quand elle s'avère, tragiquemement et comme par surprise, plus sérieuse et dense que prévue. Là-dessus le film est assez bouleversant pppppppppppp, fait exister les acteurs (dans des cadrages parfois proches de l'expresionnisme allemand). Enfin le troisième plan est la beauté des captations des pièces de Shakespeare, où la lutte contre la mort et le regret, vaine mais magnifique, fonctionne comme une initiation et une parenthèse hors de la vie, se déployant puis se repliant doulouresement : le texte est trop beau et précis dans la compréhension du tragique réel, même la violence est percée à jour, sans opacité, convertie en chant alors que sa fin est quand-même accomplie, au-delà du symbole, cette clarté est la finitude même.
Ces trois plans sont chacun confrontés à une crise historique simultanée, mais qui ne se rencontrent pas et ne communiquent pas : pour vaincre cette séparation il faudrait que la souffrance et la mort soient entièrement du côté du réel, et non eux-même des objets de fiction et de conte possibles (la mort à la fois comiquement clichée et poignante dans sa concision du patriarche de la troupe).

La film est en écho avec "le Lâche" de Satyajit Ray (filmé la même année, et Ray a par ailleurs signé la très belle musique du film d'Ivory, et pppppdonc travaillait en même temps sur les deux projets). Beaucoup de point communs entre les deux films : une mise en cause de l'artiste (entre la littérature et la scène) , qui se rève contestataire et critique, mais qui, confonté à un malentendu sexuel qui le blesse, s'avère in fine être complètement conformiste, à la fois victime de l'ordre établi et le justifiant. La part la plus tragique de sa vie, où se révèle de l'inconnu qui devient de l'avoué, correspond directement à ce qui s'exprime en terme d'intéret. Singulièrement, la mauvaise foi et l'infantilité sexuelle du scénariste indien dans le film de Ray finissent par remplir le même rôle (dans un problème national et post-colonial) que l'alliance de la mentalité coloniale avec l'opacité et le prestige idéologique et social du texte de Shakespeare pour une situation encore coloniale, entre Indiens et Anglais : dans les deux cas la victime est la femme aimée, la seule en mesure de nommer et de représenter ce qui a dû être abandonné par tous les autres protagonistes (ici une forme de fraîcheur et de spontanéité amoureuse), parce que tout le monde lui demande d'en faire le deuil à sa place : tant que le deuil est lui-même un objet de transfert (non plus ce qui est partagé et exprimé, mais ce qui est demandé à l'autre, une attente au lieu d'un horizon), les personnages croient se maintenir en dehors du présent et de la situation politique, laissé seul, dominant aussi bien que mourant.

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 16 Juil 2019, 13:47, édité 11 fois.

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MessagePosté: 09 Juil 2019, 07:28 
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Là Wallah veut dire "ceux qui font quelque-chose". Le titre signifie les Shakespeariens en somme.
Sinon le film est agréable mais un peu anecdotique, gravitant autour des films de Satyajit Ray qui sont quand-même plus complexes.
Il annonce aussi un peu l'esprit mumblecore, que l'on trouve chez Wes Anderson ou Greta Gerwig (à laquelle l'actrice fait penser), il arrive d'où ce courant part. L'aspect politique et historique est présent mais d'emblée converti par le film en sous-texte, qui produit aussi de l'apparence là où il y a du conflit (la scène finale du bateau français).
Il y a un lien entré le complexe de supériorité (blessé) des acteurs et leur refus de proposer une interprétation de Shakespeare (qu'un de leur client propose quand-même, en humiliant un peu leur côté British,leur demandant si Buckingham est leur vrai nom)..

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