Swagger nous transporte dans la tête de onze enfants et adolescents aux personnalités surprenantes, qui grandissent au cœur des cités les plus défavorisées de France. Le film nous montre le monde à travers leurs regards singuliers et inattendus, leurs réflexions drôles et percutantes. En déployant une mosaïque de rencontres et en mélangeant les genres, jusqu’à la comédie musicale et la science-fiction, Swagger donne vie aux propos et aux fantasmes de ces enfants d’Aulnay et de Sevran. Car, malgré les difficultés de leur vie, ils ont des rêves et de l’ambition. Et ça, personne ne leur enlèvera.
Si l'ouverture peut faire penser à La Haine, Babinet emprunte une route bien différente de celle de Kassovitz (ou plus récemment de Fatima) pour nous parler de la banlieue, l'un des films les plus insolites que j'ai vu cette année, docu-fiction dopé à l'imaginaire de ces gamins admirablement castés. Le film n'est pas exempt de reproches (zoom sur-signifiant ou montage juxtaposant faussement les récits d'un des adolescents à la réaction d'un autre, tentative que je trouve plutôt maladroite et inutile), mais est portée par une réalisation intelligente (cadrage et lumière sont particulièrement juste, les passages oniriques habilement disséminés tout au long du film) et onze adolescents plus étonnant les uns que les autres (enfin celle dont j'ai choisie la photo est tout de même la plus bluffante, assez sidérant d'avoir un tel recul à son âge, ça en est presque effrayant). D'une certaine manière le film m'a également fait penser à Nocturama, bien que détestant particulièrement ce film je reconnais tout de même à Bonello un talent de réalisateur assez unique en France, que j'ai eu l'impression de retrouver ici.
Non content de tordre le cou à tous les poncifs sur la banlieue, c'est une vraie œuvre cinématographique, je garderai un œil sur le nom de Babinet, convaincu qu'il a les capacités de réaliser quelque chose de vraiment génial.
Un des films les plus intéressants de 2016, il adopte le parti-pris très singulier mais réussi de naviguer en aller-retour entre un point de vue issu du documentaire et du cinéma du réel (influencé par Depardon plutôt que Wiseman, l'angle est plus individuel qu'institutionnel) et une approche "onirique" plus écrite, plus littéraire, qui prend le risque de l'esthétisme mais qui parvient tout de même à investir un territoire, des lieux et des mots plus profondément que ne le ferait le seul réalisme.
Le premier aspect "réaliste" évoque le travail de Julie Bertuccelli, où l'immersion du regard du réalisateur dans l'image parvent à neutraliser partiellement les stéréotypes et idées sociologiques toutes faites, mais aussi Nicolas Philibert. Quant au versant "esthétique-onirique" , il réside dans la lumière et musique (de la moitié d'Air) à la Sofia Coppola, musique opposée aux clichés "hip-hop" (quoique le film n'est pas sans affinité avec l'esthétique PNL) , mais qui in fine rejoint de façon détournée l'esthétique baroque des clips de Kourtajmé, sur un mode plus apaisé. Le jeu d'influences culturelles achève pour ainsi dire le cycle "historique" (replier la banlieue sur son imagniaire, après l'avoir transformé ou singularisé) que ne peuvebt decrire les individus (qui sont saisis et figés dans ce qui les distingue de leur milieu), ce qui rappelle un peu une notion héritée du situationnisme (le salut politique dans le devenir-artiste universel, qui permet de toucher le collectif que l'individu rate).
Mais j'ai quand-même éprouvé quelques réticences envers le point de vue du film sur les enfants. Il m'a semblé qu'il présentait comme de "l'ambition" ce qui était plutôt une forme de fragilité et d'insécurité, utilisant ainsi un concept d'adulte dans l'air du temps, très chargé politiquement, qui véhicule l'idée que le salut se trouve pour eux dans la réussite individuelle ainsi qu'une rupture opposant l'ordre "communautariste" de la banlieue et la citoyenneté (qui ne reconnaît et émancipe que des individus), en leur demandant de choisir entre ce qu'ils sont (des énigmes sensibles, vouées à disparaître progressivement et des très bons analystes de leur milieu) et ce qu'ils désirent être (cette vocation étant montrée comme la seule chose que la France pourraît leur reconnaître). Cela finit par neutraliser leur singularité et la richesse de leur imaginaire dans lequel ils essayent au contraire de concilier et de composer avec ces deux réalités .
J'ai eu le sentiment que le film présentait deux formes d'étrangetés qui s'accumulaient tout en faisant semblant de croire qu'elles se compensaient : les enfants sont une première fois étrangers au monde par leur vie en banlieue, présentée comme un univers violent dont on sort difficilement, un rapport d'initiation perpétuel à une ségrégation subie mais objective, et une seconde fois par leur folie douce et lucide, leur sensibilité et leur subjectivité, qu'à la fois ils subissent et construisent. Il n'y a pas non plus de point de vue d'adulte, qui paradoxalement pourrait adoucir cette tension avec une forme de recul, le seul "autre" du film est le spectateur, qui reprend et s'implique directement dans l'imaginaire du film, le radicalise, transformant la propension des entants à la rêverie, leur gratuité et leur insécurité, en précocité structurée par des signifiants culturels qui les devancent (que ce soit le Coran, Mickey- la gamine en salopette est d'ailleurs drôle à ce moment, ou le rock). C'est un univers où les médiations sont effacées.
Par ailleurs le film, qui veut brosser un tableau avant-tout esthétique (en faiant de l'esthétique une appel du dehors, l'occasion d'un destin culminant dans la reconnaissance sociale, plutôt qu'une forme et une émotion), thématise quand-même de la vie en banlieue selon un tableau ordonne de manière finalement assez rigide par des grands thèmes sociologiques (1) origines - 2) France et ségrégation - 3) faiblesses des parents- 4) amour-religion vu comme deux faces d'un même complexe - 5) impossible retrouvaille avec l'Afrique et l'Inde 6) racisme subi puis transféré sur les Roms - 7) le monde des autres: trafic et police - et 8) finalement le "style" comme échappatoire). Il fait quand-même l'impasse sur deux questions, à la fois sous-jacentes et sans réponses certaines, qui concernent directement deux des enfants (l'homosexualité possible de Régis et la lutte - douloureuse mais peut-être victorieuse- de la fille la plus âgée du groupe contre la psychose, que sa sensibité et sa capacité à nommer les choses depuis une solitude d'adulte aggravent dans un paradoxe tragique) et qui sont finalement réintégrée dans un ordre, comme si le film se résignait lui-même à l'idée que la banlieue et leur future intégration rendaient pareillement caducs le nom de ces interrogations et ces doutes. Ceci-dit je suis conscient d'une part qu'il est difficile d'aborder ces sujets avec des pré-ados dans un récit tenus sur eux sans risquer de leur assigner un destin de l'extérieur, d'autre part que les gamins ont été castés et que leur témoignage est peut-être sinon écrit du moins préparé et "filtré" en amont du tournage.
Mon frère m'a fait remarquer ce que film est filmé du point de vue des enfants, tous en monologue, quand "la Cour de Babel" l'était du point de vue d'une institution, qui permettait finalement d'inscrire dans le film plus de mixité sociale et de faire circuler la parole, d'installer des échanges entre points de vue à l'intérieur du film.
C'est peut-être à la fois richesse et la limite du film: insister à raison sur l'idée que le point de vue d'une subjectivité seule, mise à nue dans son foisonnement, peut être de manière inattendue plus violent que celui d'une institution, normative cadrante mais offrant une écoute, mais faire de la surprise devant cet état de fait une forme de promesse anticipant une forme de justice sociale et d'intégration réconciliatrice (reposant sur ce pari "plus la jeunesse des banlieues aura un rapport nietzschéen au monde, plus elle sera plus facile à intégrer ; attendant tout d'elle-même plutôt que du monde").
Ceci dit j'ai bien aimé la manière de filmer les lieux, notamment les tours . Il m'a semblé que le film prolongeait sur un mode, à la fois formellement et moralement "objectiviste" le clip de Gondry pour Protection de Massive Attack, il y a déjà presque 25 ans. Babinet s'inscrit pleinement dans une filiation issue du cinéma de Gondry ; le dispositif et l'angle du film n'étant finalement pas si éloignés du documentaire de Gondry sur Chomsky : une manière de pointer à la fois, et donc sans choisir, comme une donnée anthropologique brute, vu dans une forme de positivisme modéré et mélancolique, et comme une conséquence politique du racisme politique actuel vue comme une contrainte urgebte le fait que seuls l'imagnaire et ses représentations sont en mesure d'accepter sereinement le témoignage du réel, ce que celui-ci, face au rejet politique, ne peut plus prétendre être originaire et devancer les répresentations et fantasmes qui l'incarnent. Dans Swagger, l'exclusion est présente dans l'image, et le désir dans la parole, et l'intégrité des personnages tenant dans leurs rapports de dénégation réciproques, leur coreespondance tend au contraire à epuiser la memoires et les identités.
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