Dans l’effervescence de la capitale chilienne Santiago, pendant les années 1940 et 50, « Alejandrito » Jodorowsky, âgé d’une vingtaine d’années, décide de devenir poète contre la volonté de sa famille. Il est introduit dans le cœur de la bohème artistique et intellectuelle de l’époque et y rencontre Enrique Lihn, Stella Diaz, Nicanor Parra et tant d’autres jeunes poètes prometteurs et anonymes qui deviendront les maîtres de la littérature moderne de l’Amérique Latine. Immergé dans cet univers d’expérimentation poétique, il vit à leurs côtés comme peu avant eux avaient osé le faire : sensuellement, authentiquement, follement. Pour ceux qui ne le savent j'ai pas fait mon mémoire sur Jodorowsky (uniquement cinéaste) donc je le connais plutôt bien. C'était en 2006 à l'époque où je pensais qu'il ne ferait jamais plus de cinéma. On ne le connaissait pas, il était pris pour un cinéaste vaguement culte. J'avais un coffret DVD italien d'El Topo et de La montagne sacrée, sous-titré anglais et qualité de merde. Wild Side a réédité ses premiers films quelques années plus tard, ils sont passés dans des festivals et le culte qui l'entoure est devenu beaucoup moins confidentiel.
Même Kanye West en fait l'éloge :
J'avais aimé
La danza de la realidad même si j'étais conscient qu'on était loin de la qualité de sa sainte trinité (
El Topo,
Montagne Sacrée,
Santa Sangre), ni des deux rejetons (
Fando & Lis,
Le voleur d'arc en ciel). Dans la deuxième partie le film décollait vraiment et on retrouvait un peu la grandiloquence de son cinéma. Pourquoi ? Tout simplement qu'il racontait dans cette seconde partie quelque chose qu'il n'avait pas vécu, il fantasmait une histoire, il plongeait dans un imaginaire. Et dès lors ça devenait beaucoup plus fort. Or Poesia sin fin n'a pas de telle échappée. Nous restons collés aux basques d'un Jodorowsky qui se raconte en tant qu'apprenti poète.
Si j'adore sans limites le cinéma de Jodorowsky je n'ai jamais pu supporter son écriture. J'ai tenté de lire plusieurs de ses livres mais j'ai jamais réussi à dépasser les 5-10 premières pages. Le mec a un côté "vieux sage à maximes" qui m'emmerde profondémment. Toujours avec la petite formule poético-gentillette qui va bien. C'est vraiment marrant parce que son cinéma a justement su éviter tout ce préchi-précha ridicule ou du moins il était tellement intégré dans la matière organique du film qu'il devenait aussi protéiforme que malléable. Et l'image poétique est toujours plus forte qu'un dialogue. Un oiseau qui s'échappe d'une blessure par balles, c'est peut-être naïf, mais c'est aussi inoubliable. Or, ces deux films autobiographiques sont des adaptations de ses textes et on retrouve tout cette espèce de tartine de philosophie.
Le film (et le précédent) pose une question intéressante, celle de l'autobiographie au cinéma. Si c'est un genre littéraire majeur c'est quelque chose d'inexistant au cinéma. Je parle de vraie autobiographie où l'on garde son nom. Il peut arriver que l'on raconte des bribes de son enfance, que l'on raconte des moments particuliers de son histoire lié à l'Histoire mais se raconter comme le fait Jodorowsky, c'est à dire dans le détail de sa vie (il prévoit une trilogie), c'est je crois finalement assez unique. Je pense qu'il y a quelque chose de l'ordre de l'humilité qui a empêché ce genre de se développer. Osera-t-on demander des millions de $/€ et faire travailler des dizaines voire des centaines de personnes pour raconter sa propre vie ? Il y a presque une forme d'indécence qui a naturellement éteint ce genre de tentative. Mais là Jodorowsky se le permet. Il a plus de 80 ans c'est vrai mais ça n'enlève rien au fait que le film paraît incroyablement prétentieux. Sans doute d'ailleurs le film le plus frontalement prétentieux que j'ai pu voir tant il est le personnage central et très sérieux de son film, jeune aspirant poète qui ne fait que rêver. Surtout qu'il fait tout ça avec une tambouille familiale de tous les diables avec un fils qui joue son père et un autre fils que le joue lui-même. Sans oublier qu'il vient aussi se montrer en vieux sage qui donne des conseils et propose des réflexions sur la vie.
Mais la poésie de ses précédents films s'est transformée en une espèce de fantaisie symbolique et lourdingue. A l'image de cette scène où il décide de marcher tout droit avec son ami. Ça fait sourire mais on est loin de la poésie macabre et visionnaire de ses précédents. C'est presque enfantin, facile, un peu ringard. A l'image de l'ensemble du film d'ailleurs qui a un côté naïf ringard, vieillot, dans cette espèce d'élegie de la poésie comme unique façon de vivre. Pas aidé il faut bien le dire par un personnage principal particulièrement fadasse et tête à claques.
Bref on l'aura compris, c'est pour moi une grosse déception. Le film est pas horrible, loin de là, il reste relativement singulier mais que ce soit en surface (visuellement loin des réussites précédentes de Jodo, d'ailleurs assez laid par moments) ou plus profondément, je ne m'y suis pas retrouvé. Du mal à comprendre l'engouement que le film suscite. J'ai un peu l'impression que de la même manière que l'on a produit le film, on le porte aux nues tout simplement parce que c'est l’œuvre d'un artiste génial de 86 ans. Alors il y a comme une indulgence un peu plus forte qui flotte autour. Pas du tout envie de voir le troisième volet mais on va pas y échapper.
2/6