Après le déjanté Evil Dead 2, Raimi s’essaye au film de studio pour tenter quelque chose d’encore plus ambitieux.
Suite au succès retentissant du premier Batman, les producteurs se sont lancés dans cette nouvelle tendance du comic-book movie avec des résultats variables, en se focalisant spécifiquement sur les adaptations de séries se déroulant dans un cadre urbain (Les Tortues Ninja, Punisher, Dick Tracy).
N’ayant pas pu acquérir les droits de l’adaptation du Shadow, qu'à cela ne tienne Raimi crée du coup son propre personnage qui lui permet de rendre hommage aux films d’horreur de la Universal.
Alors même qu’il s’agit d’une création originale et non d'une adaptation, le film s'impose comme un des meilleurs représentants du genre, une oeuvre charnière de sa carrière, à mi-chemin entre l’horreur et le super-héros, un prolongement de la saga Evil Dead et annonciateur de la trilogie Spider-Man (certaines scènes le rappellent fortement comme le reflet de l’explosion dans l’oeil et la confection de la peau qui a certainement influencé la scène de la création du costume de Parker).
On retrouve également certaines similitudes thématiques au delà de l'origin story mouvementée, notamment cette récurrence chez Raimi des héros qui souffrent, les épreuves qu'ils traversent servent de sortes de rites initiatiques douloureux, nécessitant souvent des sacrifices au passage pour subsister.
Chez Raimi, la naissance du héros, d'un être nouveau en quelque sorte se fait dans la douleur, comme s'il devait mettre de côté son ancien soi (Ash et son double maléfique, Peter Parker qui abandonne momentanément son rôle dans le 2 et le symbiote dans le 3) et accepter le fait que le mode de vie antérieur est désormais impossible, les tentatives de revenir à la normale étant vouées à l'échec, le nouveau statut quo étant irréversible.
Peyton Westlake s'inscrit dans cette lignée, lui qui cherche désespérément à redevenir ce qu'il était auparavant, mais son désir de normalité se confronte à sa colère qui résulte de sa perte de sensation de douleur physique, ce qui accentue son besoin de vengeance, et le pousse à se servir de divers visages et personnalités, ce qui l’éloigne peu à peu de la personne qu’il était, vouant ainsi à l’échec toutes ses tentatives de revenir en arrière.
Ne supportant plus ce qu’il est devenu et ce qu’il a été obligé de faire, il se résout à vivre éternellement derrière un masque, et à quitter tout ce qui le reliait à son passé, ce qui illustre bien la difficile prise de conscience que les choses ne pourront plus jamais être comme avant.
La réalisation est à l'avenant du sujet, avec mise en scène virtuose qui déborde d'idées (la plus mémorable étant certainement ce fondu enchainé qui passe de l’explosion à l’enterrement via un changement de vêtement et de décor, une des plus beaux plans de sa carrière, dont l’effet est toujours aussi saisissant).
Son quatrième long-métrage vieillit plutôt bien, à quelques incrustations près, notamment grâce à des scènes d’action spectaculaires qui évoquent parfois le cinéma HK (la fusillade dans le hangar c’est Hardboiled avant l’heure).
Le réalisateur fait feu de tout bois avec sa caméra qui virevolte dans tous les sens, distillant au passage son humour noir caractéristique tendance splastick (la collection de doigts, la jambe mitraillette, la mort de Ted Raimi).
Le mélange des genres lui permet d'utiliser plusieurs influences comme Le Fantôme de L’Opéra, Docteur Phibes, Frankenstein, L’Homme au Masque de Cire, dont le mode opératoire est très similaire, ou encore Robocop et Batman (la Bo de Elfman accentue cette impression).
Et bien sûr il y a le caméo génial de Bruce Campbell.