Oui, je sais j'en avais déjà parlé vite fait quelque part, mais je viens de voir la version courte et je trouve que ça mérite quand même son vrai topic. Donc c’est parti pour le blabla.Out 1, Noli me tangere (1971) - durée 12h10
Out 1, Spectre (1974) - durée 4h10
Paris, 1970. Quatre histoires s'entrecroisent : Deux troupes de théâtre rivales répètent tant bien que mal des textes antiques de manière avant-gardiste, une jeune paumée se retrouve mêlée à un dangereux trafic qui la dépasse, et un sourd-muet reçoit des lettres anonymes inquiétantes. Au dessus de tout ce petit monde plane la menace d'une mystérieuse société secrète : "les 13". Qui en fait partie ? Qui manipule qui ? Qui en sera la victime ?La particularité première du film, on ne peux pas vraiment en faire abstraction, c'est sa durée exceptionnelle, qui n’était pas spécialement préméditée à la base (puisque comme presque toujours chez Rivette, le film a été improvisé par les comédiens sur une base donnée). Du coup bizarrement, ce n’est jamais vraiment sorti au cinéma (tiens, tiens !). Rivette en a donc remonté une version « courte » (4h quand même!) pour y remédier. Ben ça n'a pas marché, elle n'est jamais sortie non plus,et presque personne ne l'a vue. Entre temps la version longue a été diffusée à la télé plusieurs fois sous forme de mini-série et a trouvé ses spectateurs (elle est même sortie en vhs à l'époque). Donc, paradoxalement, la version courte est beaucoup plus rare que la longue, même si au final les deux ne passant plus que dans des festivals.
Bref.
Le film est difficile à résumer. Non pas qu'il s'y passe des milliards de choses (c'est même plutôt l'inverse), mais plus il avance, plus il s'éloigne des schémas de narration classiques. En plus de sa durée (ou peut-être justement de par sa durée) le film a un rythme très particulier. L’intrigue avance lentement mais sûrement (après 5 heures ludiques à suivre ces personnages excentriques, les histoires finissent enfin par se croiser) , et chaque scène est étirée au maximum, dilatée jusqu'à créer une certaine fascination (ou une certaine torture, hein, ça dépend qui regarde). Par exemple, chaque répétition des troupes de théâtre est filmée dans sa quasi-intégralité, ça donne des scènes qui durent 30 minutes, 40 minutes, et d’une richesse assez incroyable.
C’est justement le crédo de Rivette « laisser venir l’imprévu » dans chaque scène, en laissant tourner la caméra pour voir ce qui vient, en faisant confiance aux acteurs. Le film a donc été entièrement improvisé, et les comédiens n’avaient pas le droit de se concerter entre eux sur l’"histoire" du film. Ça donne des scènes parfois un peu bancales mais justement fascinantes, où on voit l'intrigue se créer en direct. Parfois les acteurs perdent complètement pieds et lancent des regards furtifs et implorants à la caméra, mais Rivette laisse tourner, et au final, ça y fait beaucoup pour la violence qui s’installe peu à peu dans le film. Cette menace complètement anachronique d’une société secrète devient très inquiétante, justement parce que ni les personnages ni les comédiens ne savent comment l’aborder, et se retrouvent complètement pris au dépourvu.
C'est d'ailleurs assez amusant de voir qui essaie de tirer la couverture à soi et qui n’arrive pas à tenir le rythme (Françoise Fabian et Bernadette Lafont semblent vouloir passer leurs impros à engueuler les autres et à mettre des claques à Bulle Ogier, qui du coup a l’air complètement larguée)Ça amène donc de la violence, de l’inquiétude et aussi un glissement vers le fantastique (là encore, comme souvent chez Rivette à cette époque) : les identités des personnages se créent « en direct » à l’écran, se contredisent et deviennent floues, à la fois pour le spectateurs et pour les personnages eux-mêmes (le personnage de Bulle Ogier tente de s’imposer comme manipulatrice dès le début , mais se découvre victime. Au bout d’un moment, les comédiens des deux troupes n'arrivent plus à communiquer en dehors de leurs personnages). On ne distingue plus la réalité du fantasme, à l'image de cette menace dont on ne sait jamais vraiment très bien d'où elle vient.
Bon, ça c’est valable pour les deux versions du film. La version courte est sensée (de réputation) avoir une intrigue bien différente, je trouve ça très exagérée. Même si la fin est modifiée, ce qui rend le film plus optimiste, il s’agit avant tout d’un remontage (avec certes quelques scène inédites, il me semble). La version longue met la découverte progressive du complot en parallèle avec l’avancée de chaque personnages sur un plan personnel (dont le travail des troupes de théâtre sur leurs textes). La version courte zappe ces passages-là et se concentre su l’intrigue à proprement parler. Sur les relations entre les personnages. Ca permet d’un coté de mieux suivre l’intrigue, de mieux comprendre tout simplement ce qui est dilaté sur douze heures à la base (même si au final, il reste beaucoup de zones d’ombre, l’intrigue est loin d’être limpide). On se rapproche plus du suspens étrange de Paris Nous Appartient. Par contre du coup, ce qu’on gagne en suspens on le perd un peu en ambiance, et surtout on perd au passage le thème que j’estime (humblement) sous-jacent dans toute l’œuvre de Rivette (et qui est ici à son point d’orgue – c’est encore juste mon avis): le parallèle entre jouer un rôle sur scène et jouer un rôle dans la vraie vie, entre le théâtre et la manipulation.
C'est difficile de la juger la version courte en tant que telle, parce que j'ai vu la version longue récemment, c'est difficile de ne pas se limiter à une comparaison. J’ai pas arrêté de me demander ce qu’en aurait penser un spectateur vierge. C’est difficile à noter, du coup, aussi.
La version longue c’est 6/6. Pour la version courte il me faudra du recul, mais c’est globalement du tout bon.
Si le film s’appelle Out 1 (que, j'ai appris, il faut prononcer "out un " et non pas "out one"), c’est tout simplement parce que Rivette avait à la base prévu d’en tourner des suites ! L’idée a été abandonnée, mais le 1 est resté. Quand aux deux titres, c’était juste pour différencier la version longue de la courte. "Noli me tangere" signifie "ne me touchez pas", mais au sens figuré du terme, dans le sens de "n'essayez pas de m'avoir aux sentiments". A interpréter comme on veut.