En ces temps troubles où le terrorisme offre au spectre du totalitarisme un bon prétexte pour repointer le bout de sa svastika, sous des formes (époque oblige) larvées, insidieuses et raffinées, les artistes engagés remontent au créneau pour secouer les masses, portés par une foi indécrottable en leur art (« L’artiste ment pour dire la vérité » entend-on dans le film de McTeigue) et en la justesse de leurs causes. Du côté du cinéma, on attaque de biais l’utilisation de la peur pour manipuler les masses (Silent Hill, tout récemment) ou on cherche dans le passé des modèles de combat ou de réflexion (Spielberg puisant dans le cinéma vérité des années 70 pour traiter le problème israélo-palestinien). La prise de conscience ne se borne pas aux USA : en France, un film aussi mineur que Les brigades du tigre surprenait en cherchant à comprendre les motivations des poseur de bombe, osant un parallèle anarchiste / policier couillu mais malheureusement sous-exploité. Dans V for vendetta, adapté de la BD éponyme, c’est la figure de Guy Fawkes qui est convoquée, terroriste avant l’heure, mais pas trop non plus, puisque le gaillard avait échoué dans sa tentative de dynamiter le Parlement anglais. « Avec un tel modèle, faudra pas qu’ils viennent pleurer si ça foire, leur film », disaient déjà les mauvaises langues à l’annonce du lancement du projet. L’avenir leur aura-t-il donné raison ? Voilà un verdict au vitriol dont nous voulons vivement vérifier la valeur, avec verve et vigueur, voire virtuosité, en vue d’en valider par le verbe la véracité ou la vanité, laquelle voisinerait avec cette volatile vitupération que vomit le vulgaire. V’est parti mon vivi.
Que dire du film, donc ? Etrange croisement entre l’imagerie théâtrale élisabéthaine et l’esthétique post-matrixienne, V for Vendetta recèle de quelques idées intéressantes mais constamment sous-exploitées. Le panache très Cyrano de son héros, dont la première tirade augurait du meilleur, se délie à mesure que le film avance, à l’image de la mise en scène de McTeigue. Le protégé des frères W., l’inspiration en berne, a la fâcheuse tendance à s’endormir sur son sujet, se réveillant de temps en temps, lors de fulgurances inattendues, parfois un peu vaines – le montage alterné de la prémonition et des dominos, qui vient réveiller le spectateur (« attendez les gars ça va bouger, promis ! ») –, parfois plaisantes – V en action –, parfois démentes dans le principe – l’explosion du Parlement sur Tchaïkovski (trop court !) – mais toujours insuffisantes pour maintenir éveillé l’intérêt du spectateur, la faute en incombant à un récit déséquilibré qui peine à parvenir à sa conclusion.
Les intentions de départ des auteurs sont bien sûr louables, la sincérité et l’urgence du message – car n’en déplaise aux auteurs, V est un film à message, où l’ambiguïté pourtant annoncée est feinte et rapidement éventée – excusant la naïveté et la maladresse avec laquelle il est délivré. La conception de la Révolution populaire que le film propose est très intéressante, d’autant plus venant d’un pays qui n’en a pas connu (les USA, j’entends). On y retrouve cette croyance en l’héroïsme (aussi admirable que problématique) d’un pays -en guerre, faut-il le rappeler - où l’on croit encore qu’on peut mourir pour des idées, ce qui s’avère difficilement concevable aujourd’hui en Europe, sinon dans quelques meetings virulents de la CGT. Le film sera donc réceptionné avec plus de circonspection et de réserves dans nos contrées, où il est généralement admis qu’on n’est pas un salaud d’extrémiste parce qu’on lit le Coran, pas plus qu’on est un dégénéré parce qu’on aime les gens du même sexe, etc. On aurait tort cependant de ne pas se sentir concerné : V, quand il accuse les citoyens britanniques d’avoir déléguer leur pouvoir à une autorité forte dans le seul but de préserver leur tranquillité, semble lorgner dans notre direction. On peut y voir un avertissement… ou une accusation directe, c’est selon.
Plus intéressante encore, la réflexion que V for Vendetta propose sur la fiction et sur sa force motrice : V matérialise le « personnage idée », celui qui n’existe qu’en tant que relais du discours (du cinéaste ou de celui des personnes qu’il attaque) ; la lobotomisation à laquelle il soumet Evey semble, quant à elle, symboliser le processus que le film fait subir au spectateur… Idée encore plus géniale, empruntée au Comte de Monte-Christo mais savamment détournée : la lettre d’une jeune lesbienne que Evey trouve dans sa cellule devient un prétexte à une parenthèse en forme de flash-back. Ce n’est pas tant la scène, tellement déplacée qu’elle échappe au ridicule (« c’est du Terence Malick shooté aux comic-books » me confiait récemment un ancien rédacteur de Mad-movies.com qui avait du en fumer, lui, du comique-bouc), que ses conséquences sur le récit qui sont intéressantes, lesquelles démontrent comment on peut être prêt à prendre les armes (et même à mourir dans le cas d’Evey) pour la mémoire de personnes qui n’ont jamais existé. Dommage, finalement, que les scénaristes n’assument pas le concept jusqu’au bout et s’embourbe dans une espèce de rattrapage bâtard revenant à la vieille thématique du : « mensonge dans le mensonge » pour toucher à la vérité.
Si bien qu’on ne sait pas trop, finalement, si V for vendetta est un film totalement maladroit (idiot, diront les moins compréhensifs) ou au contraire foncièrement cynique, comme pourrait nous pousser à le considérer son final, si utopiste qu’il fait l’effet d’une bobine propagandiste soviétique égarée dans le présent métrage. D’autant que, pensée rétrospectivement, la fin fait montre d’une grande cruauté - dont on ne sait si elle est ou non volontaire – à l’endroit de son héros : alors que le personnage de V, bien que se sachant condamné à disparaître avec le système qu’il cherche à renverser, accède petit à petit au statut d’être humain en s’éprenant d’Evey, cette dernière finit par lui dénier toute humanité dans un hommage post-mortem (juste retour des choses puisqu’il l’a lui-même déshumanisée auparavant).
Du coup on se demande effectivement s’il n’y aurait pas un petit second degré retors caché là-dedans. Une telle entreprise, celle d’un film trompe-public comme pouvaient l’être Starship Troopers ou Signs, aurait eu du piquant. Mais ce serait aller un peu loin, connaissant les frères Wacho, indécrottables humanistes sous leur dehors cyber-engagés, et dans l’œuvre desquels l’amour vient toujours à point nommé pour déséquilibrer les plans les mieux préparés.
Les temps ont changé : de même qu’aujourd’hui, un discours comme celui du Dictateur de Chaplin dans un film contemporain risquerait fort de passer pour, au mieux gentiment idéaliste, au pire complètement crétin, de même le film de McTeigue semble pédaler dans le vide. Il semble que brandir ses belles intentions comme un sésame ne suffise plus et qu’à moins d’utiliser le divertissement comme moyen de dresser un constat sur la société (Spike Lee y parvient plutôt bien, l’air de ne pas y toucher, avec Inside Man), les artistes soient forcés de repenser la notion même de « cinéma subversif ». Faut-il croire que l’ennemi étant devenu plus malin, le cinéma se doit également de surenchérir dans la subtilité tout en préservant la radicalité qui lui sied si bien, étant entendu qu’on peut avancer masqué et attaquer de front ? Auquel cas, quelle forme de combat choisir ?
« Là est le tout de l’affaire. », comme dirait l’autre.
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