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MessagePosté: 25 Mai 2016, 03:01 
Je n'étais pas content de ce texte (je confonds la permanence des rapports et des caractères dans le cinéma de Ray avec une croyance en la métempsychose psychique) mais je le remets (c'est un bon film)

En 1907, dans le Bengale, la bourgeoisie et les grands propriétaires terriens commencent à affirmer politiquement leur nationalisme et à s'organiser pour contester la colonisation. L'Angleterre avive les dissensions entre hindous et musulmans pour garder la main.

Bimala, une très belle femme, a fait un mariage arrangé mais heureux avec Nihil, un riche propriétaire foncier, nationaliste, sensible à la misère de ses serfs et favorables à l'émancipation des femmes. Bimala vit cloîtrée dans le palais familial mais Nihil l'incite à sortir. Nihil, malgré son engagement pour l'indépendance, est aussi anglophile et tente de donner à sa femme une culture "moderne" et occidentale.

En encourageant sa femme a être active politiquement, il lui fait rencontrer son ami Sandip, un important leader nationaliste, beaucoup plus radical, tenant un discours démagogique mais extrêmement habile sur "la préférence nationale" en économie et ayant des relents racistes sur la place des musulmans de la commuanuté nationale. Il appelle de manière oblique à la violence politique et a su se consituer une milice. C'est le coup de foudre entre l'homme d'action Sandip et Bimala, qui sort à peine de l'enfermement.



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Avec ce film et "Tonnerres Lointains", les derniers Ray en couleur sont décidément remarquables, des films-monde très amples, extrêmement pessimistes mais ne se complaisant pas pour autant dans le nihilisme. La Maison et le Monde commence là où Charulata s'arrête, et est étonnament proche des Damnées de Visconti tout en étant meilleurs, on n'a jamais filmé aussi bien le lien entre nationalisme et fascisme et la difficulté (mais non l'impossiblité) de le dénouer.

Grand film politique, centré autour d'un jeu d'échec politique et amoureux entre les deux protagonistes masculins. Le grand bourgeois réformiste et libéral d'obédience socialiste (plutôt Kerensky que Hollande) , conscient de sa molesse politiquement, est prêt à sacrifier sa femme pour neutraliser un redoutable démagogue d'extrême droite, qui fût son ami. La force du film est de partir du point de vue de l'objet du conflit: la femme qu'il faut soit séduire soit conserver, sans que son attitude politique réelle ne modifie la valeur symbolique du dilemme. Le film est filmé depuis le point de vue d'une valeur à la fois absolue et désinvestie.


Il y a des moments vertignieux, qui répondent à d'autre films de Ray. A un moment, l'actif, mesuré et entreprenant Nihil s'aperçoit qu'il est en train de perdre sa femme, et que son ami Sandip est prêt à le ruiner en déclenchant un boycott des produits anglais voire des émeutes contre ses serfs musulmans. Il se laisse tomber de dépit et de fatigue dans un fauteuil, en reproduisant exactement la gestuelle et la mimique du maharadjah molasson, jouisseur et en plein délire morbide du "Salon de Musique", qui était pourtant apparemment son anti-thèse.

Son discours politique ainsi que son attitude rationnelle à la fois hésitante et socialement activiste sont par ailleurs proches de l'instituteur de "Tonnerres lointains", mais alors que chez ce dernier l'idéalisme aggrave les effets de la famine, il est ici structurellement impossible; d'où le sentiment d'une sorte de vieillesse abstraite et préméditée du personnage. Dans "Tonnerres Lointains" l'activisme mal ajusté de l'instituteur fait miroiter au peuple l'espoir d'une émancipation politique tout en contribuant à l'immobiliser dans une région touchée par une famine que personne ne voit venir, à part la femme qui n'est pas écoutée, tout en étant pourtant l'enjeu permanent de cette émancipation (il ya souvent cette situation chez Ray: un personnage veut concilier politique et vie sentimentale, et s'enferme ainsi dans une folie, mais en mêe temps son point de vue idndividuel est alors transfééré sur la collectivité). Mais ici la richesse et son pouvoir de Nihil font qu'il lui est impossible au contraire d'être ni naïf ni idéaliste: il est à la fois trop puissant et trop timide pour l'illusion et la fiction. Il ne peut être faible politiquement, mais au sein d'un croyance qui est maximale, car il représente toujours lui-même une réalisation de sa propre idéologie, dès lors qu'il l'énonce, même malgré lui.

Dans le même ordre d'idée, alors que le fameux miroir du "Salon de Musique" reflétait les domestiques du maharadjah, sans le refléter lui-même; Sandip le politicien d'extrême droite, s'échauffe, macère et paufine ses discours (et ses stratégies de conquêtes féminines) en tournant en boucle devant un grand mirroir similaire, qui ici ne reflète jamais personne. Il n'y a personne autour de lui pour souligner par contraste sa vacuïté et son égocentrisme, celui-ci parle depuis sa solitude, et non d'un rapport d'aliénation, qui du moins est déjà "peuplé". Il faut d'abord une présence réelle pour justifier un symbole, mais le discours d'extrême droite de Sandip part au contaire d'un symbole.

Il semble parfois que tous les films de Satyavit Ray racontent l'itinéraire d'un unique personnage qui vieillit à travers le temps et les visages, mais qui dans sa fatigue, parvient progressivement à représenter son usure et à la communiquer, pour mettre à distance la fatalité en la conjurant par son nom. Ce personnage vieillit par l'effet son discours et de son regard, et un sorte de mélange indécis de foi politique et de désoeuvrement sceptique et résigné, plutôt que par celui de la réalité (les attitudes psychologiques et morales sont répétées et trans-individuelles, mais l'histoire et le contexte sociologique renouvelé, voire même soumis à des approches différenciées relevant d'un genre).

Le film, adapté d'un roman de Tagore, est aussi passionnant d'un point de vue historique, en montrant comment une partie du nationalisme hindou avait partie liée à un discours que l'on peut qualifier de pré-faciste qui a peut-être eu une influence indirecte mais réelle sur ce qui s'est passé une vingtaine d'année plus tard en Europe, et qu'une partie de la gauche avait conscience des dangers du potentiel revolutionnaire d'un conservatisme appuyé sur l'idée d'émancipation nationale, sans avoir un ancrage social lui permettant de lui opposer une réponse facile et évidente (de fait Gandhi avait pu par la suite réaliser cet ancrage, il est dans le film "ce qui manque"). En ce sens il nous parle bien mieux de notre situation actuelle que beaucoup de films récents qui exploitent de manière extrêmement superficielle, avec des personnages trop stéréotypés, la mémoire de la seconde guerre mondiale et de l'après-guerre. Le cinéma de Ray est articulé par rapport aux notions de compréhension et d'interprétation, soumises à leur durée propre et au risque d'une usure, impossibles à mettre en pratique de manière satisfaisante (mais cette impuissance les fait circuler et discuter), là où le cinéma européen récent les résume dans un exemple individuel. C'est un cinéma qui ne représente que des survivants; plutôt que ce que Daney appelait des héritiers : des personnages qui contradictoirement doivent à la fois dépasser la situation historique pour conserver le regard qu'ils portent sur elle, et pouvoir se sacrifier pour ce regard qui est supposé disparaître en même temps qu'eux.

(et Ray représente justement souvent des héritiers plutôt que des survivants, des rentiers suicidaires, des petits bourgeois trop malins et piégés par leurs discours ("des Jours et des Nuits dans la Forêt"s), des orphelins demandant au monde une initiations qui leur est refusée ou bien qui risque de les annuler et de passer trop vite pour être retenue)


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