Sparrows en VO.
Tom McNamara, l'assistant-réalisateur, a terminé le film (non-crédité)
Dix enfants et une adolescente, orphelins ou trop pauvres pour être gardés par leur parents, tentent de survivre dans une "baby farm" où ils sont séquestrés, perdue quelque part au Sud des Etats-Unis dans un impénétrable marécage. Un soir, les fermiers qui leur servent de bourreaux adjoignent au groupe un bébé kidnappé...Gros coup de cœur, du genre à te faire comprendre au fur et à mesure de la vision que tu es entrain de mater un joyau. Je ne connais absolument pas ce film, je sais pas du tout d'où il sort (je l'ai choppé au hasard sur un site russe tout à l'heure), je connais pas son réal, je sais
que dalle. C'est un mélange étonnament harmonieux entre du Griffith au sadisme aggravé (le trip "enfants exploités dans la moiteur du bayou" m'a fait songer à
Bernard et Bianca, tiens), et un Borzage/Murnau de conte de fée, dans une Amérique rurale ancestrale et magique (le film, qui existe qu'en DVD tout flou, mériterait franchement un blu-ray : ça plapite, les plans semblent toujours émerger du noir, la nature miroite, le pollen flotte dans l'air, c'est sublime !). Cet aspect de conte, qui pourrait se contenter de l'imagerie, tient en fait surtout à la dramaturgie, qui évoque d'ailleurs en partie celle de
La nuit du chasseur, où les enfants tentent la fuite en groupe, tous ensemble, de la plus grande au plus petit, en file indienne à travers un monde d'horreurs - jusqu'à faire virer l'ensemble au film d'aventure survival dans sa dernière partie. Enfin, ce mix est retourné par un humour inattendu, bouffon et parfois limite parodique, souvent ironique aussi, qui éloigne l'ensemble du pur mélo. Juste pour citer le carton d'ouverture, par exemple, qui nous présente le lieu où va se dérouler l'action :
"The Devil's share in the world's creation was a certain southern swampland - a masterpiece of horror. And the Lord appreciating a good job, let it stand".
Voilà pour ce grand milk-shake, dont la première prouesse est d'être harmonieux, et dont l'évidence ne faillit que sur un point : le jeu de Mary Pickford, déphasé (faut dire que je l'ai jamais adoré, elle, mais là l'exagération fait vraiment tache, elle a pas pigé qu'on est plus en 1910), alors que tout le monde autour d'elle - des enfants au méchant - explorent un jeu beaucoup plus fin, et relativement sobre. Mais globalement, l'ensemble frappe par sa capacité à digérer son trop-plein foisonnant : je veux dire par là que, malgré l'outrance de son univers et de son aventure, il n'est pas exempt de finesse et de bouffées de naturel. Par exemple, même si on ne connaîtra au final aucun des enfants du groupe en tant que personnage, Beaudine sait très bien nous les rendre proches : il crée au contraire des images d'eux
ensemble, de la façon dont ils fonctionnent à dix (un détail comme ça qui me vient : le petit qui berce par réflexe le hamac du bébé avec le pied, allongé par terre, au milieu de ses camarades). Autre chose : l'imagerie n'empêche pas un certain doigté. L'exemple extrême, celui de la mort d'un des petits appelant carrément l'image du sauveur aux moutons, n'interdit pas de laisser le cadavre découvert après coup hors-champ.
Je vais arrêter là parce que sinon je vais spoiler. Je préviens pour ceux qui tenteront, le catéchisme ambiant peut irriter (même s'il est souvent retourné par l'exaspération des enfants, tout compte fait) et le très long épilogue mou (alors que tout le film est très rythmé) finit l'ensemble sur une note en demi-teinte. Mais je peux promettre que ceux qui aiment les films de la fin du muet vont adorer.
EDIT : apparemment il existe plusieurs éditions DVD françaises du film, je vais aller emprunter ça pour voir si l'image est un poil moins moche.
Renseigné un peu sur Beaudine entretemps... Mec à la carrière hyper longue et prolifique (plusieurs films par an), apparemment bâcleur dans l'âme (ne fait que des premières prises), dont ce film constitue l'un des rares sommets. Surtout connu pour ses muets, car au parlant il glisse vers les séries Z (
Bela Lugosi meets Godzilla !), et se termine dans les années 70 en tournant des épisodes de
Lassie. Voilààà !
EDIT 2 : Et donc si ça intéresse quelqu'un, après vérif, le DVD français milestone / les films du paradoxe a une image très honorable (et teintée).