Première Guerre mondiale. Gilbert Demachy, étudiant en droit idéaliste, s'engage pour en découdre avec l'envahisseur allemand. Mais la ligne de Front paraît stagner en Champagne et très vite, la guerre s'annonce bien plus longue et sanglante qu'il ne l'avait imaginé...Il est en fait qu'à moitié vrai ce synopsis : on ne sait pas grand chose de Demachy, sûrement pas assez en tout cas pour savoir qu'il est étudiant en droit, ou idéaliste. C'est assez révélateur d'un film qui reste finalement à une certaine distance des personnages, qui élit à peine un protagoniste principal (quand bien même il sert de vecteur à la découverte de la guerre - mais il n'est qu'un regard). Sans doute considère-t-on que les scènes de camaraderie hors-front suffisent à l'affaire, et elles sont heureusement rares, car propres à faire exploser la cervelle de tout Français pour qui l'accent popu des années 30, et ses bons mots Jeunet-isants, constituent quelque chose comme l'enfer sur Terre. Allergiques : beware.
Raymond Bernard
(oui, si je dis "Bernard" tout court, ça fait un peu "Marcel" : "Marcel il opère une mise à distance de..." ; bref) > Raymond Bernard adopte un point de vue foncièrement neutre (jusqu'à l'extrême poétique de ce cadavre perdu, qu'une fusée révèle pour personne le temps d'un plan), et cette neutralité s'exprime notamment dans le rapport à l'ennemi : aucun raccord ne nous fera partager le soulagement d'un allemand dégommé. Les coups pleuvent de partout, au hasard, musique impartiale et indifférente. Le son, ou même son absence (excellente séquence tendue de la mine, qui vaut à elle seule de voir le film), se fait du coup rapidement l'ambassadeur de cette approche sèche, imposant à chaque début de séquence un rythme autour duquel la narration va s'organiser (coups réguliers par binômes dans les souterrains, surcharge ininterrompue et étouffante avant l'attaque du village, concerts de gémissements façon final de
Titanic sur le champ de bataille abandonné). Comme un "système" dans lequel on va lâcher le perso qui va devoir se démerder.
Cette sécheresse peut parfois virer à l'ennui, lors des assauts distants (pourtant spectaculaires), lors d'un défilé militaire... Mais globalement c'est payant, car les relations entre ces quelques soldats ressortent mille fois plus naturelles prises au milieu de cette configuration, moins gouailleuses, plus concentrées : c'est uniquement dans les combats, ou à proximité d'eux, qu'on connecte enfin un peu aux personnages, qu'on sent une solidarité s'établir entre eux (notamment le rapport un peu protecteur entre le moustachu et le jeune, discret mais touchant).
Le film reste trop froid pour marquer (l'objectivité du désir de "grande reconstitution" freine un peu toute implication), mais je suis quand même très surpris par son ampleur. Les combats, tout en maîtrise (dans une élégante narration chapitrée aux fondus au noir), n'ont rien à envier à n'importe quel film pré-
Ryan. Du tournant des années 20-30, j'ai pourtant toujours l'image d'un cinéma qui a du mal à se retrouver rythmiquement, qui galère encore un peu avec l'intégration du son, aux USA y compris. Ici, les seules traces du muet concernent un symbolisme appuyé (les superposition, les cartons) s'intégrant mal à ce surplus de réalisme qu'amène le son. Mais c'est rare, et pour le reste, c'est verrouillé et tenu à la seconde près, bien plus rigoureux en fait que pas mal de films français des années qui suivront. Les américains parlent souvent de ce film avec admiration (reçu en grande pompes à l'époque par la critique internationale), je comprend très bien en quoi ils ont pu être impressionnés.
Concernant le DVD : Très correct (net, propre), mais Criterion merde sur certains mouvements (tuniques, fumées) laissant parfois apparaître un traitement solarisant un peu dégueu - après à leur décharge c'est typiquement le genre de trucs qui peut venir d'un master, ça ressemble pas à de la compression MPEG2. Y aussi le cadre noir anti-overscan... Je vous conseille de vous activer les sous-titres anglais : même s'il a été super bien nettoyé, le son d'époque + le fort accent populo rendent la moitié des dialogues incompréhensibles.