Une espèce de frère aîné de la
Fièvre de Petrov. Le film est écrit par Vladmir Sorokin, l’un des auteurs russes les plus célèbres en activité, et réalisé par un petit malin de trente ans. Et cela se voit.
Clairement scindé en deux parties, l’une urbaine, qui donne lieu à un long dialogue dans un café de près d’une demi-heure, entre trois protagonistes qui s’inventent des métiers plus ou moins fantaisistes non faire preuve du cynisme un peu désabusé de rigueur. C’est intelligemment dialogué, dans un style de dialogue qui consiste à dévider de manière un peu pince-sans-rire des absurdités élaborées, avec une prétention de bon goût qui feint l’absence de prétention, via le laconisme et une forme de sobriété de façade. On sent vraiment l’écrivain à l’oeuvre, dans ce début de film méandreux, sans intrigue, reposant sur cette scène théâtrale.
Puis on lâche les rennes au petit provocateur qui n’en a pas vraiment dans le bide avec la deuxième partie outrancière - même si le réalisateur dira qu'il est resté en deçà de la réalité de l'alcoolisme. Une espèce d’excursion cauchemardesque donc au fin fond de la campagne qui commence dans un train avec un repas où l’absorption de vodka et de shashlik de la part de ploucs est filmée en gros plans avec force bruit de succion.
Puis ça devient n’importe quoi : veillée funèbre emplie de babushkas difformes et aux visages creusés de rides, qui avalent des litres de vodka, se livrent à des jeux obscènes avec des poupées pareillement obscènes affublées de pénis, à l’endroit approprié ou sur le visage. Le film m’a perdu à ce moment là. Dans l’esprit, c’est très semblable au dernier de Serebrennikov, qui au passage est juste un peu plus vieux.
Ilya Khrzhanovsky est issu de l’intelligentsia moscovite soviétique et peut-être plus connu pour avoir été l’instigateur de Dau, ce « Truman Show du soviétisme », ainsi que l’avait qualifié le Guardian, où il avait recréé avec des milliers de participants un décor soviétique en les filmant pendant trois ans. C’était financé par l’oligarque Sergey Adoniev. L’exposition a Paris a entraîné son lot de polémiques dont on ne sait toujours pas si elles sont publicitaires ou non même si la mégalomanie du projet et ses probables abus sont évidents au premier coup d’oeil. Depuis des poursuites sont censées avoir été engagées pour tortures d’enfants en Ukraine et le choix de confier à Khrzhanovsky la mise en scène d’un parcours pour un mémorial de la Shoah a fait jaser, certains décrivant son projet comme un « Disneyland de la Shoah ». Un article critique et salubre qui critiquait à l’époque de sa création l’exposition Dau cite quelques unes des déclarations de l’ »artiste » pour le moins, comme on dit de nos jours, problématiques :
Citation:
Khrzhanovsky is, by his own admission, interested in power, but also the ability to evade its clutches — the freedom that comes from what he calls “genius”. “Genius people are, for me, like kind of ancient heroes. They got a gift from the gods,” he tells Rose. This is a line of reasoning he has raised before — in an interview with Sobaka, Khrzhanovsky claims: “Ancient heroes deceived people, lied, killed, and were at the same time beings of the highest morality — they simply lived according to different laws.” Is it acceptable to muddy moral boundaries just because you think your “heroes” were justified in doing so? Whether or not Khrzhanovsky considers himself a genius — he tells Rose that he is not — he is clearly willing to push beyond the limits of ethical probity in order to capture this chimerical, self-validating quality.
De nos jours, il est commun de critiquer Dostoïevski, pas le dernier des panslavistes, en disant que dans son oeuvre se trouve la racine d’un mal russe, mais visiblement Khrzhanovsky, en reprenant l’argument vicié de Raskolnikov, semble avoir mal lu Crime et Châtiment, bien qu’il prenne la précaution de dire qu’il n’est pas un génie. Davantage un mégalo peut-être.