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MessagePosté: 24 Avr 2018, 21:41 
Pologne, 1980 : à Gdansk, les travailleurs des chantiers navals de la Baltique sont en grève, et le monde entier les regarde. Le Parti Communiste polonais, en crise, hésite très visiblement entre répression et négociation. Les ouvriers n'ont plus peur, sentant que le pouvoir a paradoxalement besoin d'eux pour durer et se purger lui-même, entre "durs" et "réformistes". Ils sont dans une dynamique où ils savent une victoire possible, pour autant qu'ils centrent leur revendication sur un compromis syndical. Wajda les accompagne avec ce film.
Aux côtés de Lech Wałęsa, un des leaders les plus en vue du mouvement est le jeune et fictif Maciej Tomczyk. En apparence solide, simple et sûr de lui, c'est le fils d'un des martyrs d'une grève qui a eu lieu dans la même ville en 1970, réprimée de manière très meurtrière par le PC de l'époque, encore marquée par le Printemps de Prague.
Il entretient en fait des rapports très complexes et durs avec ce souvenir (que Wajda a abordé dans un autre film, sorti 4 ans avant : l'Homme de marbre, avec lequel ce film forme un dyptique à la fois familial et historique).
Lui qui était étudiant à l'époque, et était en couple avec une cinéaste qui essayait de tourner un documentaire sur son père avant d'être emprisonnée, s'est refait soudainement ouvrier à la fois pour venger son père, continuer son combat et se mesurer à son souvenir oedipien.

Dans le même temps, à Varsovie, le pouvoir fait pression sur Winkel, un journaliste de télévision, jadis proche des insurgés de 1970. Winkel est revenu de prison politiquement réhabilité mais moralement cassé, désabusé et alcoolique . Il est maintenant relativement en vue et aux ordres du régime, servant de tampon à la télé arrangeant les angles entre journalistes contestataires et les chefs. Le ministre des médias lui demande de revenir à Dantzig, vers laquelle les journalistes de l'Ouest convergent en nombre, pour s'introduire auprès de ses anciens amis, afin de les espionner et de faire un reportage à charge contre Tomczyk. Visiblement vulnérable au chantage pour des problèmes d'ordre privé, Winkel s'acquitte de sa mission et, pour complaire au pouvoir, doit renouer avec son propre passé. Il doit d'abord trouver l'hôtel. Durs moments en perspective car Solidarnosc a banni l'alcool de toute la ville, pour montrer sa force et sa discipline, créant un signe de ralliement que chacun puisse mettre en oeuvre.


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Les films qui se greffent sur un évènement réel, dont ils sont contemporain, sans en connaître l'issue, sont toujours fascinants et monstrueux, aux limites du vocabulaire et des conventions cinématographiques.
Ici il ne s'agît pas, comme dans "l'Espoir" de Malraux, de venger une défaite en transférant la logistique et les raisons du combat dans le tournage du film lui-même, presque plus épique que ce qu'il raconte.

Wajda est à la fois plus hagiographique, mais paradoxalement assez optimiste et presque léger car il sait qu'il est du côté du vainqueur inévitable.
Le film, de façon habile, en faisant de Walesa une trace dans un quasi-documentaire politique mais un (discret mais assez bon) acteur une fiction familiale et oedipienne, contribue d'ailleurs à protéger celui-ci, à renforcer sa stature tout en anticipant (habilement) sur l'emprisonnement ultérieur de Walesa (en montrant la prison comme un lieu de réflexion et d'introspection, plus proche de la retraite religieuse que du goulag, même si le film, dans son pan le plus poignant parle des tortures passées,un souvenir au sein de la fiction, à la fois conjuré et rappelé), ainsi que les accusations de collaborations avec le police (le pouvoir emprisonnait tout le monde à tour de rôle autant pour créer des collaborateurs futurs que pour cacher et faire taire).
Le film pointe aussi, involontairement, les raisons de l'échec politique ultériur de Walesa, président de la Pologne, dix ans après.
L'isolement de la Pologne fait que les ouvriers mobilisent dans le même temps la référence à un christianisme national (spiritualisé, ancré dans le sol plus que dans les âmes, connu de tous mais intransmissible hors l'état et la nation), et au libéralisme politique et économique (qu'ils ne connaissaient en fait pas plus que le pouvoir de Gierek lui-même et qui deveint une figure codée du salut religieux), cet espoir étant alors une forme de renoncement et de limite à leur propre combat : sorti des revendications économiques directes, ainsi que de la critique du focntionnement du chantier, et malgré le courage moral et le sens politique des ouvriers, le message politique de Solidarnosc apparaît étonnament flou, réclamant le reconnaissance par le pouvoir (d'ailleurs fatigué de lui-même) plutôt que le pouvoir lui-même. Dans la partie la plus documentaire du film, une femme dit "nous en sommes plus au XVIIème siècle, nous sommes maintenant informés, ce que le pouvoir ne comprend pas", elle n'a pas tort, mais doit se comparer au passé pour raconter son aliénation, toute l'inélucatibiltié du mouvement et de son repli tient dans cette comparaison, qui est avant tout, même chez ceux qui la développent une image.
Le film montre finalement bien que ce n'est pas tant parce que les ouvriers n'avaient pas peur qu'il n'y pas eu de répression immédiate, mais parce que cette répression n'aurait servi à rien dans la logique interne du pouvoir, l'URSS, elle-même en crise et dans le flou, n'étant pas un enjeu politique.

De manière aussi forte et cette fois-ci volontaire, le film creuse dans l'époque, et se décadre des évènements 1980 qu'il raconte (et dont il est sûr du triomphe, et qu'il a l'honnêteté de desinvestir), pour raconter, comme une mauvaise conscience refoulée, et un comme un secret travaillant le présent, sans doute occultée par une partie des syndicalistes eux-mêmes, ou en tout cas less habitants de la ville , ce qui s'est passé 10 ans plus tôt, par des images d'époque très dures . Le film est ainsi moins ample, plus linéaire et intimiste, que "Danton" : tous les personnages sont conscients d'un horizon politique personnel et accessible, et exposent finalement, en se laissant travailler par la caméra, un secret personnel en croyant livrer des raisons politiques collectives. Ils préfèrent le confier à l'époque voire au syndicat qu'au pouvoir. Il est aussi articulé dans des mises en abymes complexes, avec du flashback dans du flashback
Il y a ainsi un tunnel, ou pendant 40 minutes (sur 2h30), la femme de Maciej, en prison, raconte calmement le film en train de se faire (sur sa rencontre amoureuse et son couple) ainsi que son propre film politique, qu'elle n'a pas pu faire.

Le film n'est pas non plus sans humour, avec le personnage central semi-tragique de Winkel, qui rappelle la figure typique dans le roman slave de l'alcoolique grotesque, du bouffon et tragique mais lucide (comme Ferdyshchenko dans l'Idiot), tout en transférant de manière réussie cette image d'Epinal vers la satire politique du présent.
Le régime est en effet grotesque, tutorant et brieffant en permanence Winkel, jusque dans les chiottes de son hôtel, lui donnant (comme des traces et des témoignages) les preuves accablantes qu'il doit ensuite re-fabriquer. Ce groteque deviendra finalement tragique, Winkel ne comprennant pas assez vite que le chantage du film est en fait exercé avant tout à son encontre (pour le faire craquer punir de son passé politique) plutôt que sur Tomczyk. Il grillera brutalement l'ami avec qui il avait renoué et qui l'a introduit dans le syndicat, en croyant l'aider. ce dernier fera le même parcours politique que lui, en retard et maintenant en sens inverse.

Enfin, le film est asez déroutant mais prenant dans la mise en scène du christianisme, qui est filmé à la fois comme la clé de la grève, et celle du personnage (le fils étant frustré de ne pas pouvoir rejouer la crucifixion du père : c'est Jerzy Radziwiłowicz qui joue d'ailleurs les deux, évoquant une sorte de trinité où le père et le fils seraient maintenus, mais l'Esprit Saint substitué par le principe immétariel et sacré du syndicat). Le christianisme est ici la pleine correspondance entre le sens et le visible, le terme ultime d'un grand transfert psychologique national, un épiphanie chosifiée, objet perpétuellement interprêtable, sans avoir lui-même de point de vue, quand le pouvoir stalinien, au contraire, change perpétuellement les rôles, oppose sens et justification (et donc se suicide, involontairement mais consciemment) se fait le confesseur et psychanalyste de ceux qu'il espionne.

A signaler aussi, la belle B.O. Andrzej Korzyński, qui décline iun même thème d'abord sur le mode la synthpop (pas loin de Jacno) ou du funk , puis (à la fin du film) sur un ample vocabulaire orchestral romantique, à la Schubert.


Dernière édition par Gontrand le 26 Avr 2018, 15:47, édité 3 fois.

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MessagePosté: 25 Avr 2018, 18:17 
Ce qui est autant intriguant que vertigineux dans ce film, c'est que tout le monde y est voué à se raconter à un autre, et cela de façon contrainte, sauf précisément le père mort, héroïque. Celui-ci est taciturne, intimidant taiseux, juste mais violent. Il empêche son fils de manifester lors de la première grève et l'enferme: en somme il le retient près de lui pour lui interdire de devenir son double (et le décalage de classe entre le père ouvrier et le fils étudiant transforme cette intention de protection en culpabilité et en planification d'un refoulement, équivalente aux calculs du régime). La parole et le récit de soi y circulent infiniment, comme une maladie contagieuse, limitée d'un côté par la bureaucratie et de l'autre par l' image œdipienne de la sainteté et du sacrifice paternels. Wajda filme deux croyances : d'abord le communisme, vu comme une constante anthropologique anhistorique, où ce qui est récit d'une part et valeurs de l'autre dans l'idéologie du régime le sont aussi selon le même partage pour le peuple. Ensuite une sorte de christianisme mythique et patriarcal, perpétuellement agonisant et justifié, où ce qui est une valeur pour les uns (le père sanctifié, le collectif syndical) devient un récit pour les autres (les fils et les sujets). Ce décalage réintroduit l'histoire et lui confère une sorte de flèche qui lui évite de se répéter, l'ouvre sur l'événement (dans le stalinisme au contraire rien ne se passe,la terreur reste en deça de l'événement : elle est evidemment là pour empêcher l'événement). Le film noue alors autour d'une commune dimension de manque inexpliqué l'histoire familiale et l'histoire collective, pour aussitôt excéder ce point de convergence, le "dépasser" par le film lui-mêm. La mémoire (comme idéologie collective) est l'autre nom de ce noeud aussitôt défait après sa conception, de l'identification voulue de la différence au manque.


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