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 Sujet du message: Danton (Andrzej Wajda, 1983)
MessagePosté: 19 Oct 2016, 22:32 
Début 1794, à la Convention Nationale, Danton et Desmoulin commencent à critiquer la terreur. Leur ancien ami Robespierre craint la fin de la Révolution et les fait arrêter, après avoir tenté "informellement" à la fois de les avertir et les amadouer. Robespierre est peu populaire auprès de la plupart des membres de la Convention, qui sont indignés par le procédé, même au sein du Comité de Salut Public, qui finalement s'aligne au nom du lien entre raison d'état et valeurs révolutionnaires. La Convention se transforme en tribunal politique. Desmoulin est effondré et sombre peu à peu, Danton a encore l'énergie de combattre et espère pouvoir s'appuyer sur son éloquence pour donner à sa défense un sens politique et influencer le cours des évènements.

Image

J'ai vu les deux derniers tiers de "Danton" sur Arte, diffusé en hommage à Wajda, malheureusement en ayant raté le début, je comprends que l'on soit rebuté par le discours qu'avait Wadja ces dernières années (le documentaire qui suivait montrait un homme imbu et peu sympathique, super-nationaliste, à la limite de dire que c'est lui tout qui avait mis fin au stalinisme en Pologne, développant peu la personnalité de ses proches de l'époque, et notamment Komeda, Cybulski, à la vie duquel il a a quand-même consacré un film entier, et insistant sur son aînesse, comme s'il s'agissait de concurrents rétrospectifs), mais c'est quand-même un film passionnant (pas si éloigné de la Marseillaise de Renoir, qui d'ailleurs soutenait aussi une stratégie de recentrage politique, mais du côté "stalinien" justement). La scène où Robespierre se hausse comme une petite fille sur la pointe des pieds pour haranguer la Convention et la fin sont :shock:.

Intéressante B.O. à la Ligeti de Jean Prodromidès. Le film cite et prolonge 2001 de Kubrick (tout comme "Sang et Diamant" citait "the Asphalt Jungle" en déplaçant le film noir dans un contexte politique) par cette musique comme par de nombreuses autres idées: la guillotine-monolithe; la chambre-lit blanche dans laquelle est enfermé Robespierre à la fin et où il se voit quasiment lui-même; l'explication "anthroplogique" de la violence -et même de la surveillance policière-, aussi radicale qu'ineffable, qui est avant tout une vision plutôt qu'une idée et le point d'arrêt du discours de Danton. L'osmose franco-polonaise dans la production et les acteurs rappelle le lyrisme épique italo-américain d'"Il Etait une Fois dans l'Ouest", une hyper-organisation dont le fond élégiaque du film est finalement une sorte de produit fini; résultant d'un processus formalisable comme peut l'être un standard de qualité industriel, une forme de logistique méticuleuse et folle, à la fois utopique (le film devient aussi l'histoire de la communauté réelle qu'il a instauré lors de son tournage) et extrêmement désabusée.


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MessagePosté: 30 Déc 2020, 13:23 
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Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
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J'ai pu voir enfin le film en entier. Les bonus du DVD Gaumont sont très intéressants, car ils permettent de se rendre compte d'une opposition, peu facile à déceler durant la vision, et dont on peut se demander si elle fut sourde ou au contraire explicite entre Wajda, qui entreprend de faire le procès non seulement du communisme soviétique (avec le film comme reproduction de 1794, mais aussi métaphore de l'opposition Walesa-Jaruzelski), mais aussi et finalement de la démocratie et Jean-Claude Carrière, qui a une vision de son scénario plus historicisante et psychologisante, mais beaucoup plus favorable à Robespierre.

Le film frappe par le fait que la critique de la Terreur qu'il entreprend reste complètement interne au pouvoir, finalement la faute du Comité de Salut Public est d'avoir désiré sans réussir un rapport à la fois direct et institutionnel au peuple. Sa violence est un double-bind, elle est à mesure de la force avec laquelle avait préalablement investi une altérite qui n'existe pas : pour Wajda le seul autre du pouvoir semble être le Christ. L'ambition sociale de Robespierre est un amour qui s'est trompé d'objet.
Pour Wajda, Danton est valorisé politiquement comme étant homme providentiel mais "en même temps" auto-limité, comme il a sans doute voulu voir Walesa via l'Homme de Fer. La verve et l'énergie de Danton aboutissent paradoxalement à un stoïcisme suicidaire jouant la même fonction que la foi catholique et le complexe paternel de l'Homme de Fer : une raison constammant agissante, consciente mais indirecte, qui est à la source d'une vertu politique dont la mesure où son objet apparent se trouve ailleurs et est inaccessible. Le chef a besoin des autres car il ne peut s'égaler lui-même . Pour Wajda il peut y avoir du pouvoir sans politique : le pouvoir est lui-même une trascendance et un mystère comparable à celui du catholicisme. A la limite le chef n'a pas besoin des autres, la morale est un mouvement de recul par rapport à ce qui avait été auparavant investi politiquement, mais dont l'intention a échoué.
C'est la force qui rend le film encore très intéressant, mais aussi sa faiblesse : il est théatral, non pas par son dispositif, mais parce qu'il réduit, comme le théâtre de Racine, l'historicité au développement complet d'une opposition de caractères. Le film a un côté grosse production malade, à la recherche de son unité entre deux discours concurrents, qui se neutralisent. Jean-Claude Carrière est à cet égard intéressant quand il évoque la bonne foi morale des révolutionnaires et du comité, mais aussi la découverte de leur propre impuissance : Robespierre comme Danton ont en commun un question pourquoi ne somme-nous pas suivis ? Que nous manque-t-il ?. Le populisme est ici paradoxalement une forme de scepticisme où le peuple est vu à la fois comme un recours et une passivité, une matière à travailler. cette ambivalance identifie le peuple et l'humanité, comme "anthropologie" : dans ce paradoxe les révolutionnaires sont seuls, il leur faudrait créer ce qu'ils pensent simplement légiférer et valoriser.

Wajda est suffisamment intelligent pour diminuer Robespierre moralement, mais le valoriser pour son travail : c'est une critique de l'idéal communiste, mais pas de sa technocratie. Le Comité de Salut Public est montré comme une institution légitime, collégiale, où tous possèdent une égale influence. C'est accentué dans le film par un habile paradoxe : ses membres en sont des acteurs polonais (qui historiquement veulent soutenir l'autre logique, celle de Danton-Walesa), quand les Dantonites sont joués par des acteurs français, Depardieu bien-sûr , Chérault . Pszoniak est d'ailleurs très bon en Robespierre et m'a fait plus forte impression que Depardieu, qui semble parfois transposer le personnage de ses autres films, un rebelle qui ne sait pas prendre le pouvoir qui lui est offert malgré lui - c'est peut être la défintion d'un comédien pour Wajda. Il dévalorise le désir qu'il exhauce. La gène et le sentiment de gâchis ne sont ressentis que par qui les projettent (une conséquence du catholicisme du film). On n'est pas déçu de l'autre ou à la place de l'autre, mais on l'est de l'humain. Il y a une part de déception sentimentale que l'on suppose déjà vieille dans la réprésentation d'une radicalité qui est hésitante et monstrueusement scrupuleuse organisée mais inefficace, sa violence s'identifie avec la peur qu'elle a d'elle-même. C'est que contrairement à la religion la politique a trop d'intériorité pour être juste. Pour Wajda, cette intériorité introduit une coupure entre le problème de l'institution et celui de la décision. Pour la résoudre il faudrait la grâce, que les personnages tiennent encore plus du Christ, qu'ils croient en eux-mêmes comme on croit en eux. Le moment où Robespierre décide de tuer Danton et Desmoulin, après avoir finalement tenté de se les rallier puis de les protéger, n'est pas filmé, il s'impose mais est hors-champ. C'est Saint Just qui énonce cette nécessité à la place de Robespierre : l'altérité et la représentation politique s'excluent mutuellement pour Wajda. La première est un idéal, la seconde simulacre.
Si le le film reste encore actuel c'est moins par sa mise en scène de l'échec d'une utopie communiste ou d'une critique de la gauche que par la représentation d'une situation où logiques morale et politiques se neutralisent constamment, jusqu'à en rendre le peuple infigurable. (il est confondu ici avec le public du film, il n'est pas une cause, mais une instance qui n'arrive pas à formuler la justification puis le jugement que le pouvoir attend de lui.
Mais cette faillite n'est représentée que de façon indirecte, par la mort de Danton et la folie de Robespierre : la synthèse politique est énoncée à la place de la faute morale et l'impuissance (c'est peut-être la sens de la scène finale avec l'enfant qui chante la déclaration des droits de l'homme comme un catéchisme, tentant vainement et pardoxalement de séduire celui qui l'a formulé la première fois). L'affect et la politique sont pareillement impuissants,s'épuisent en même temps face au réel . Dans ce film tourné en France transparaît paradoxalement la raison du nationalisme solitaire de Wajda, le refus de considérer le fait que les valeurs sont aussi passives que les êtres : il faudrait pouvoir agir en dépit de cette déception - et inconsciemment il reproche à l'initiative politique de ne pas être à la hauteur de la création artistique. Il y a chez Wajda un raisonnement
finalement encore plus nietzschéen que catholique, qui s'accentue avec la vieillesse : la morale et la politique comme explication-imitation de ce qui devrait être juste incarné, le social comme forme dégradé de ce qui aurait dû être une existence autosuffisante : des ontologies ratées et transformées en espace que tous investissent de la même manière.

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Sur un secrétaire, j'avise deux statuettes de chevaux : minuscules petites têtes sur des corps puissants et ballonés de percherons. Sont-ils africains ? Étrusques ?
- Ce sont des fromages. On me les envoie de Calabre.


Jean-Paul Sartre


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MessagePosté: 13 Jan 2021, 22:18 
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Inscription: 30 Sep 2016, 19:39
Messages: 5913
La productivité de Jean-Claude Carrière n'a pas d'équivalent quand même, je me faisais réflexion en voyant qu'il avait fait office de script doctor sur le premier film d'Alain Corneau dont je parlais hier et en parcourant de nouveau sa page Wikipédia.


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