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MessagePosté: 03 Déc 2023, 12:30 
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Dans une petite ville (à la localisation floue, mais certains toponymes et le paysage à la fois sec et montagneux évoquent les régions de Fresno et du Yosemite), le jeune Bart, un orphelin éduqué par sa jolie grande, soeur, Ruby, brise la vitrine d'une armurerie pour y dérober un revolver. Le geste est maladroit, possède la structure d'un acte manqué, et il est vite appréhendé.
C'est que psyché de l'adolescent est torturée : omnibulé par les armes à feu, avec sans doute une composante sexuelle voire onaniste, il est aussi terrorisé par la violence et l'idée de mort (qui renvoie au monde des adultes : il s'agit pour lui de défier la loi pour rester un enfant).

Le juge parait sensible à cet aspect, mais l'envoie malgré tout dans une maison de redressement ("reform school"), qu'il enchaîne ensuite avec la seconde guerre mondiale. Démobilisé, il revient dans sa ville.
Ses deux amis d'enfance, qui avaient été impliqués dans le procès comme témoin, et ont essayé de limiter la sévérité de la sentence, sont à présent devenus l'un policier et 'autre journaliste. Ils fêtent son retour en l'emmenant dans une étrange fête foraine, qui tient à la fois du manège de chevaux de bois et du bordel vaguement oriental.
Il y a un show d'arme à feu, tenu par un couple d'Anglais ou d'Irlandais louches (un alcoolo avec une vamp), qui culmine avec un défi à la Guillaume Tell sur un volontaire issu du public puis la femme (Annie). Bart passe l'épreuve.
Ayant fait la guerre, mais peu expérimenté sentimentalement, Bart est resté gauche et refoulé, quand Annie est plus cynique, à la fois manipulatrice et d'une franchise désarmante. Les deux s'attirent, et Annie propose à Bart, qui n'a pas de travail, d'intégrer la troupe, au nez et à la barbe de son mec. Ils n'y restent pas longtemps et débutent, principalement sous l'impulsion d'Annie, une vie à la Bonnie & Clyde...



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Film noir archétypal et raffiné, déjà un peu dans la déconstruction du genre (scénarisé sous prête-nom par Dalton Trumbo, alors blacklisté) dont je ne savais rien, sauf qu'il figure malicieusement sous forme d'affiche de l'UGC de la Toison d'Or dans Golden Eighties de Chantal Akerman, qui n'a pas grand-chose à voir (quoique le personnage de Peggy Cummins rappelle avec sa blondeur et son allant, sa vulgarité apparente mais sa sensibilité et son orgueil réels, celui de Fanny Cottençon).
Et c'est très bon, du même niveau que la Nuit du Chasseur dont il forme, la même année, une sorte mirroir renversé et adulte, plus explictement sexuel (donc aussi plus critique et finalement puritain).
Le film est apparemment mythique dans les écoles de cinéma américaines pour une longue scène de casse en voiture, en caméra subjective (même si les voiture n'ont pas de subjectivité) effectivement marquante (pas si loin de Ten de Kiarostami ou des films de Panahi, Satyajit Ray a du le voir vu la manière dont il filme des chambres à coucher de 6 m2 en y casant une grue) mais ne se réduit pas à cela. La fin, poisseuse, marécageuse, et vraiment bien, forte simple dans l'idée, complexe dans la dynamique et émouvante, et le film fourmille d'idées de mise en scène, de choix de cadre, de montage et de mouvement de caméra dans lesquels Cronenberg ou le Lynch de la période de Blue Velvet ont beaucoup puisé.

Thématiquement et politiquement c'est aussi riche et subtil : l'entourage de Bart (le juge qui remplace le père, sa soeur la mère) se montre plutôt "éclairé", "réformiste", et essaye d'atténuer le cours fatal de sa destinée, de le réintégrer dans le monde social et affectif commun, mais sans y parvenir. Leur attitude reste malgré tout saturée de violence et formaliste, représente un pouvoir qui exclut dès l'enfance. Leur compassion morale voire leur amour , du fait qu'ils incarnent la loi et parlent pour elle, et faute de vrai pardon, se dégradent en simple connaissance psychologique de l'autre, capacité de penser pour lui. Ils deviennent des techniques sociale, qui faute de pardon réel perdent l'autre, leur objet - tout en le sachant. Dans son impuissance, la bonté de dégrade en pur savoir qui ne vise que la norme, tout en en souffrant, beauté du film.

De leur côté, Bart et Annie, quand-même passablement tarés, si pas sadiques du moins gravement immatures, et vivent après leur transgression radicale (le meurtre par Annie des personnes qui entravent leur casse, petite cheffe un peu chiante et flics plutôt débonnaires) dans un monde qui a perdu tout mystère : ils perdent leur énergie érotique avec leur dignité morale, et ne trouvent en échange que le nom stérile des choses, qu'ils sont trop tard capable d'énoncer, et alors seulement pour eux-mêmes, avant de mourir. Au début le film contient des éléments de critique sociale, mais la fin prend une dimension biblique avec Adam et Eve qui cherchent despérément à revenir dans le jardin d'Eden pour se cacher. C'est idéologiquement un peu boiteux mais donne un très bon film, qui dépasse les clichés du genre sans la facilité de l'ironie.
Je pontifie un peu mais c'est très recommandable.
Et la fin magnifique
Cela devrait parler à ceux qui aiment donc la Nuit du Chasseur mais aussi l'atmosphère à la fois onirique, et humaniste (mais l'humanisme du minoritaire qui ne se sait pas encore tel) des bons films de Borzage comme Moonshine. Et plastiquement c'est inclassable, pleins d'idées, un expressionnisime décadent qui commence à verser dans le maniérisme, notamment avec les poursuites en bagnoles qui défilent, chaque fois filmées de manière différente.

Et ça va vite. A 0 minutes le gamin a 10 ans, a 22 minutes il en a 27 et son collègue le clown lui envoie à la tronche some people are born smart with women, some born dumb : and you are born dumb et il lui répond some people are born clowns et 5 minutes plus tard ils ont dejà commis une dizaine de braquages dans plusieurs états.

Acteurs assez peu connus mais très bons, Peggy Cummins, vraie irlandaise dont c'est le seul film américain, Annabel Shaw,superbe, qui joue la soeur, et l'étrange John Dall, que l'on voit dans la Corde, avec lequel le film est lié thématiquement (psychanalyse, le crime comme tentative d'être un surhomme visible pour la bourgeoisie mais qui rate car il n'est visible que de la loi). Morris Carnovsky aussi très bon dans la scène du juge (lui-même blacklisté peu après). Pas vu d'autres films de Lewis, peu connu.

Héhé bien vu le lien avec MS 45

https://www.parkcircus.com/film/108195- ... -Female%29

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 04 Déc 2023, 18:12, édité 3 fois.

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MessagePosté: 04 Déc 2023, 12:39 
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Vieux-Gontrand a écrit:

Et ça va vite. A 0 minutes le gamin a 10 ans, a 22 minutes il en a 27 et son collègue le clown lui envoie à la tronche some people are born smart with women, some born dumb : and you are born dumb et il lui répond some people are born clowns et 5 minutes plus tard ils ont dejà commis une dizaine de braquages dans plusieurs états.


C'est même acté par la suite, quand Bart dit à Laurie que tout va trop vite et que cette série des braquages est arrivée sans même qu'il ait le temps d'y réfléchir.

J'adore. Typiquement, le film qui te fait dire "j'ai rien besoin de voir d'autres, en fait" tellement chaque plan ou chaque enchaînement semblent parfaits. Rien que leur rencontre au cirque charrie énormément d'aspects : c'est à la fois un jeu de séduction, une métaphore sexuelle, une cérémonie de mariage (la bague) et un rituel païen (les couronnes qu'ils portent), le tout en même temps. C'est hyper énergique avec les cadrages de Lewis : la vitre d'une portière, le volant d'une bagnole, les fenêtres d'un hôtel, le (comment vas-) tuyau de poêle (visiblement, Lewis était surnommé "Wagon Wheel Joe" parce qu'il s'en servait dans tous ses westerns pour dynamiser ses plans). La quintessence de la série B.

Et puis, tout le sous-texte suintant qui s'en dégage : l'agressivité sexuelle du couple qui passe par les braquages, l'idée que la vie de famille standardisée est une prison (avec la sœur de Bart et sa marmaille qui donnent pas franchement envie de rentrer dans le rang.)

Il y a aussi la manière dont Lewis utilise la différence de taille entre Bart et Laurie : même s'il est nettement plus grand qu'elle, il manipule l'image pour qu'elle le domine dans certaines scènes ou pour qu'ils finissent à égalité dans la traque finale.

Je trouve en plus qu'ils sont tous les deux excellents, pas du tout figés dans leur époque.

Vieux-Gontrand a écrit:
Pas vu d'autres films de Lewis, peu connu.



J'ai jamais retrouvé la même énergie dans les autres que j'ai vus mais Association Criminelle est pas mal et un peu sadique, et dans Terror in a Texas Town tu as le seul duel du Far-West avec un harpon.

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MessagePosté: 04 Déc 2023, 12:55 
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Pour la couronne je n'y ai pas vu un rituel païen (même s'il y a de cela, tout particulièrement dans la toute première occurence avec une femme-demosntratrice silencieuse et souriante, potentiellement immolée tous les soirs) mais ce qui m'a frappé c'est la ressemblance et la subversion de la posture avec celle de la statue la Liberté, sans le flambeau, remplacé par une arme donnée au spectateur, avec une forme extrême de masochisme. Cela fait penser à la statue du Christ vivante dans le dernier Bellochio (et avant cela celle de la vierge dans au Nom du Père. L'Enlèvement a d'ailleurs un certain lien avec le regard sur l'enfance de ce film), avec un rapport religieux à la violence, non dans le respect et l'impératif, mais la honte de jouir sans pouvoir se cacher. Pour le coup le film montre le revolver-phallus comme l'objet d'une religion, aussi névrosante que les autres.

La force du scénario est de lier de manière crédible et précise la fascination pour les armes à feu (et même la guerre avec les questions bienveillantes mais balourdes des deux potes) à une forme de passivité sexuelle et psychologique, avec un personnage qui se connait assez pour l'assumer jusqu'au bout. On revoit un peu cela chez Scanners de Cronenberg : l'homme qui devient une arme utile et molle, sans désir propre mais (ou donc) contraint à devenir à la fois moral et asocial.

Bons textes français sur DVD Klassik et Shangols
https://www.dvdclassik.com/critique/le- ... rmes-lewis
http://shangols.canalblog.com/archives/ ... 35164.html

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MessagePosté: 10 Jan 2024, 21:22 
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L'enchainement des mouvements de caméra lors de la scène rdu repas à 1.12.40 :shock:

Le fait que le policier qui abandonne le revolver sorte, en allant vers le specateur, de la zone où la camera fait le point, qui reste alors vacante, 20 secondes avant.
:shock: :shock:
Et l'aspiration du visage de John Dall par le bord de l'écran à 1.14.45 et le zoom de la scène suivante
:shock: :shock: :shock:
:shock:

https://archive.org/details/gun.-crazy.-1950

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