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 Sujet du message: Le Fleuve (Jean Renoir, 1951)
MessagePosté: 19 Mai 2020, 11:44 
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Sur les rives du Gange, peu de temps après la seconde guerre mondiale, vit une famille de colons britanniques, apparemment à l'abri des événements politiques de l'époque. Le père dirige un usine de toile de jute, où travaillent des ouvriers indiens dans des conditions particulièrement difficiles. La famille est composée de cinq filles et du petit Bogey. L'aînée, Harriett, a 14 ans, et un tempérament à la Jo March, un côté à la fois garçon manqué et intello. Elle forme la voix du film. Harriett fréquente Valerie, un fille de colon, plus riche et plus jolie, et qui le fait sentir (fine psychologiquement mais sans tact); ainsi que Mélanie, la fille métisse d'un veuf américain devenu un peu ermite. Arrive le Capitaine John, un cousin de Mélanie, un jeune rescapé de guerre. Celui-ci a perdu une jambe au combat et vit mal son handicap. Il traîne un mal de vivre et une réserve permanente avec lui. Il échappe ainsi aux attitudes condescendantes et naïves qui peuvent s'attacher à un jeune voyageur en contexte colonial. Les trois jeunes filles vont s'engager dans une rivalité amoureuse.

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Le début laisse craindre un film doté d'un aspect "exploration du monde", mais prend vite au tripes, racontant une histoire d'initiation, à la fois sexuelle et culturelle dont l'âpreté tranche avec la forme apparemment indolente de la mise en scène. En revanche la dimension politique est présente-absente. L'indépendance est incarnée par le personnage de Mélanie, mais le mot n'est jamais prononcé. Après tout l'histoire peut aussi bien se dérouler dans les années 1920.

Les caméras de l'époque étaient encore lourdes, et c'est formellement assez statique (même si le fleuve est bien présent). Cependant on remarque un montage particulièrement soigné, déclinant deux régimes d'images, l'un basé sur des fondus (lorsqu'il s'agit de dépeindre le tourment sentimental des personnages, mais aussi les cérémonies de la fête des lumières indiennes), l'autre basé sur des raccords plus adrupts (que l'on retrouve dans les plans montrant l'ordre économique de l'exploitation à l'usine, mais aussi le fonctionnement trop bien rodé de la cellule familiale dans les scènes d'exposition). C'est une manière d'opposer dans des temps (et une forme de vulnérabilité spécifique) affect et idées, séparation au moyen de laquelle un regard extérieur s'efforce de cerner la philosophie indienne et la notion de recommencement permanent. De la même manière, le personnage de Mélanie, métisse travaillée par un déchirement identitaire, est parfois caractérisé par un brutal mouvement de zoom avant, tandis que les filles anglaises sont filmées, dans les scènes clés, avec un mouvement opposé qui les dilué dans le paysage (ce mouvement indique qu'elles aspirent à s'oublier et se détacher en même temps de leur sexualité et de leur culture, que c'est le moteur commun de leur rivalité, mais qui est impossible à Mélanie). Le film est très riche, et moralement dur (alors qu'il cible en partie le jeune public)
le personnage du seul fils de la famille, obsédé par les cobras, qui en mourra
. C'est un film assez inclassable, production anglaise d'un réalisateur français (il fait un peu penser a Farhenheit 451, d'ailleurs le personnage d'Harriet rappelle celui de Jules Christie, quand le personnage du Capitaine John, à la fois falot et insoumis, a un côté Montag). Martin Scorsese en parle bien en parlant de film expérimental et grand-public en même temps.

L'auteure du roman original, Rumer Godden, est aussi à l'origine du Narcisse Noir, et on trouve en effet une proximité esthétique et morale avec les films de Powell et Pressburger (dont une scène de danse marquante, où l'imagination d'Harriet transforme Mélanie en déesse Shiva, extrêmement érotisée). Mais surtout, même à 70 ans de distance, il est difficile de ne pas se projeter dans les personnages. Finalement sans y toucher il articule la question de l'acceptation sexuelle avec le rejet du racisme (et l'idée qu'il n'y a pas de liberté qui en soit d'abord expérimentée au préalable comme une blessure.
Paradoxe du stoïcisme, où l' on peut décider de l'oubli ou du souvenir des choses et des personnes, mais non de leur valeur qui est alors identifiée directement à l'intensité d'un affect). Grand film qui continue à travailler après sa vision.

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 21 Mai 2020, 09:48, édité 7 fois.

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MessagePosté: 19 Mai 2020, 15:05 
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Antichrist
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Inscription: 04 Juil 2005, 21:36
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super marqué par ce film vu au collège, je crois.


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MessagePosté: 19 Mai 2020, 15:10 
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Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
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C'est vrai que l'histoire de l'enfant, de la flûte et du cobra est un le film dans le film, plus déstabilisant que l'intrigue explicite (cela tient aussi à la place de l'enfant indien, qui devient quasiment un esprit religieux et une incarnation du destin). Un truc à la Nuit du Chasseur (autre film enfance et de rivière travaillé par la mort). La manière dont Renoir la filme (la caméra adopte de plus en plus le regard du serpent) est aussi très forte.

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Erving Goffman


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