Hong-Kong, 1980. Trois étudiants se réunissent dans le luxueux appartement des parents de l'un d'entre eux pour fabriquer des bombes artisanales, par jeu. L'une d'elles explose dans un cinéma et ils doivent fuire. Leur coté “pieds nickelés” font qu'ils passent à travers les soupçons de la police. Ils sont surpris par Pearl, une jeune fille suicidaire, orpheline, qui vit chez son frère, flic enquêtant justement sur les attentats. Elle électrise le groupe qui devient une sorte de bande urbaine, même si les trois mecs ne sont pas à l'aise dans ce rôle, ils ne pensaient pas régner sur un territoire mais plutôt emmerder doucement leur famille. Dans leur fuite (vers les hauteurs de la ville, restées plus sauvages) ils croisent accidentellement la route de trafiquants d'armes de gros calibres opérant entre l'Occident, Honk-Kong, et le Japon, à qui ils dérobent -presque sans le vouloir- une sacoche remplie d'obligations bancaires en yen. Ne parvenant pas à encaisser l'argent dans une banque, ils commencent à entreprendre des combines, comme prendre en otage des agents de change, qui foirent. Ce faisant ils attirent l'attention de triades qui, en plus des trafiquant, vont se lancer à leur chasse…
Je ne connaissais rien au cinéma de Hong Kong (lu juste le reportage de Daney) et j'ai pris une vraie claque avec ce film, qui par son sujet contemporain semble une exception dans la carrière de Hark. Le sous-texte politique du film (la transition aveugle de l'agitation gauchiste vers le terrorisme individualiste, sans qu'on repère de chaînon intermédiaire+ l'intégration du trafic d'armes international dans l'économie “réelle”, dont la financiarisation facilite d'autant plus le blanchiment+ les rapports heurtés entre occidentaux et chinois à Honk Kong, qui amènent à une opposition entre fonctions de pouvoir et de police) a heurté la censure et Hark en a fait une deuxième version où il refait entièrement le début...en reprenant l'argument (c'est malin) de “Mort d'un Cycliste” de Bardem à la place des attentats, soint en atténuant le contenu politiquement explicite du film tout en le renforçant comme sous-texte. Le film est génial, comparable à Melville et à Leone, à la Troisième Generation de Fassinder, mais avec une énergie Nouvelle Vague, (mais plus une sorte de désespoir eustachien tirant sur le punk à la Liberatore que Godard) et a beaucoup influencé le cinéma français des années 80, Carax et Beneix (et le néo-polar, comme the Hit de Frears) voire M.S. 45 de Ferrara (l'actrice ressemble beaucoup à Zoé Lund d'ailleurs). Le montage rapide et le génie dans le cadrage transcendent le manque de moyens (le BO repompe des bouts de disco-electro de Jean-Michel Jarre, de Goblin, mais malgré cet aspect patchwork est diégétique, structure de façon remarquable le rythme de certaines scènes. Le film mèle de stars, comme Lo Lieh qui joue le flic (et donne une interview émouvante dans les bonus du DVD HK, prise peu avant sa mort en 2002), et des acteurs adolescents amateurs dont le jeu est plus approximatif, mais qui introduisent une forme d'humour régressif qui permet d'aérer le lyrisme suicidaire de Hark (le film est aussi très drôle). Chaque séquence est porteuse d'ambiguïté, commençant dans la farce pour finalement se retourner en quelque chose de poignant, sous l'effet d'une violence inattendue à la fois codée et littérale (
je crois bien que le réalisateur a réellement tués les chats et souris que martyrise son héroïne...avant de finir connaître le même sort, l'homme lui infligeant la violence qu'elle infligeait à l'animal
), paradoxalement ce sadisme est une forme de distanciation et de scepticisme, il est ce dont les personnages vont devoir se débarrasser pour réellement mourir (et prendre conscience d'eux-mêmes). C'est aussi un film codé mais sans métaphore, à la différence de Melville, les personnages centraux ne parviennent pas à devenir des archétypes , leur incompétence à la fois politique et technique (
scène très forte du cimetière où ils n'arrivent pas à se suicider mais finissent l'un par se mutiler, les deux autres à appeler les trafiquants qui approtent de vraies armes pour les anéantir… le film fait bizarrement penser à M de Lang[/hide), leur incompétence politique ([hide]ils s'aperçoivent à la fin, traqués, qu'ils ont plus vraisemblablement tués d'autres jueens que des adultes, qu'ils voiyaient en ennemis
) leur barrant le passage à la stylisation; ils n'ont aucune présence et signification pour les autres (qui pourtant commentent l'effet de leur actes...mais de manière régressive:
hilarant scène au comissarait pendant l'attaque je chiais, j'ai rien vu, pour les voir il eît fallut se redresser, pisser
), dans la ville, malgré les attentats, ils n'agissent en fait que pour se cacher.
Le film est visionnaire, il fait penser à Action Directe, au 13 novembre, mais sans racolage , il est à la fois fasciné et effrayé par sa propre violence. Les jeunes sont à la fois coupables (la violence est uen manière de ne pas penser ce qu'ils revendiquent, et est une forrme de circuit fermé, foncièrement conservateur) et victimes (leur amateurisme les expose à la violence de tueurs professionnels). Le film a sans doute aussi des points communs avec Glamorama de Bonello, mais semble plus subtil :
le frère flic, au début pris dans une logique répresive, de violence-symptôme encore moins structurée que celle de sa soeur (qui n'est d'ailleurs par une terroriste mais les domine par sa pulsion suicidaire et en fait produit une rupture avec le terrorisme, le film déconstruit le cliché de suivisme associé à Nathalie Ménigon ou Rey, la séduction que Pearl déploie est une violence inconsciemment extérieure au terrorisme, radicalement autre, qui l'annule), est finalement montré comme un orphelin en deuil et un prolétaire à la Fassbinder -Hark aussi vraisemblablement été influencé par Lino Brocka-, et est rattrapé par le tragique du film qui broye ses personnages, il revit comme un chemin de croix, lié au travail, la mise à mort ce que sa soeur a vécu comme l'effet d'une sorte de pari nihiliste de régression vers l'idée, presqu'un jeu à la André Gide
. Le regard est finalement proche de celui de Nada de Manchette. D'ailleurs dans les Yeux de la Momie (qui datent de la période du film) Manchette parle d'un film de yakuza
où le héros, tueur implacable, est blessé plusieurs fois par ses ennemis, mais ne semble pas souffrir de ses blessures et décide de se tuer lui-même “parce que cela ne peut plus durer”
, ici lors de l'épilogue génial sur la colline-cimetière, c'est l'inverse,
les personnages centraux, perdus, massacrés (mais dans cette mort rendu à leur condition sociale réelle, qu'ils n'ont pas pu quitter, les tombes du cimetière sont leur première prise de conscience qu'ils sont aussi du peuple) se relèvent à tour de rôle uns à uns pour tuer leur tueurs avant de se ré-effondrer, sauf un, l'échalat suicidaire, qui passait son temps à culpabilsier les autres (“je vous avait dit que c'étaient des conneries ces attentats, et le suicide c'était votre idée”) rigole hystériquement d'être à la fois le plus trompé, le plus manipulé et pourtant le seul survivant.
. Le film inverse même Marx (des scènes d'attentats qui étaient intialement des gags, où la parole de la police était elle-même incrédule, reviennent dans le souvenir comme des tragédies à la pensée que l'invisibilité des morts et l'ironie exprimée par la police elle-même sur le moment ne signifient pas l'absence de crimes
l'ironie de Marx sur l'histoire qui ne produit qu'une fois postule l'égale visibilité des actes et des effets et y voit une forme de devoir moral, qui contraint l'ordre et police à ne pas rire
Qu'est-ce que c'est généreux! 1H35 foutraque et d'une densité exceptionnelle. L'intrigue, une obscure histoire d'ordres bancaires japonais volés, n'est qu'un prétexte pour suivre 4 pieds nickelés étudiants dans un déferlement de violence. C'est stylé, bourré d'idées et constamment jouissif. Il y a une péripétie à la seconde, c'est super nerveux. Beaucoup aimé le personnage de la jeune anarchiste.
Gontrand a écrit:
[i] et j'ai pris une vraie claque avec ce film, qui par son sujet contemporain semble une exception dans la carrière de Hark. Le sous-texte politique du film (la transition aveugle de l'agitation gauchiste vers le terrorisme individualiste, sans qu'on repère de chaînon intermédiaire+ l'intégration du trafic d'armes international dans l'économie “réelle”, dont la financiarisation facilite d'autant plus le blanchiment+ les rapports heurtés entre occidentaux et chinois à Honk Kong, qui amènent à une opposition entre fonctions de pouvoir et de police) a heurté la censure et Hark en a fait une deuxième version où il refait entièrement le début
Ce qui est fort, c'est que le film réussit sur 2 tableaux. Etre un film d'action HK qui ne renie pas son caractère d'exploitation, est rigolo et jouissif au possible et sur le fond, comme tu le développes, le film fait passer pas mal de messages.
Revu 20 ans après l'avoir découvert, pour la sortie chez SF. Hyper déçu, j'ai trouvé ça moche et débile. Quelques trucs à sauver, mais entre la cruauté animale insupportable, le jeu raté de la plupart des acteurs et la mise en scène bordélique, j'ai trouvé ça assez désagréable.
Revu 20 ans après l'avoir découvert, pour la sortie chez SF. Hyper déçu, j'ai trouvé ça moche et débile. Quelques trucs à sauver, mais entre la cruauté animale insupportable, le jeu raté de la plupart des acteurs et la mise en scène bordélique, j'ai trouvé ça assez désagréable.
"Moche et débile", je pense que c'est un peu le propos : le film est conçu comme un gros glaviot et n'offre pas une chance de rédemption à tous les personnages. La cruauté animale va de pair avec le reste de sa description de Hong Kong au début des années 1980 (pas étonnant que le film arrive en queue de comète du punk) : tout est résumé à des prédateurs et des proies. ça m'étonne que tu n'accroches pas alors que tu avais aimé Long Arm of the Law, qui est très proche jusque dans le comparatif hommes/animaux.
La mise en scène, par contre, je la trouve assez chouette : le rythme est même moins frénétique que dans d'autres Hark et n'oublie pas de varier ( la scène où le gamin attend qu'on encaisse son chèque ou quand le flic règle la secrétaire prise en otage dans le garage). L'utilisation de la topographie de HK est vraiment cool.
Je trouve Long Arm Of The Law beaucoup moins bordélique, la mise en scène et le scénario sont finalement assez classiques. C'est bourrin, ça bouge beaucoup mais c'est toujours très tendu, on est vraiment accrochés aux personnages. Quand je dis moche pour le Hark, c'est vraiment qu'il y a des raccords, des façons de filmer qui ne fonctionnent pas du tout je trouve. C'est peut-être le propos antipathique et c'est sans doute un pur produit de son époque (punk ou juste con, ce que l'on veut), mais je trouve ça vraiment pas agréable à suivre aujourd'hui. En termes d'expérimentations, je préfère largement Zu, qui est tout aussi difficile à regarder aujourd'hui, mais dans une veine beaucoup plus fascinante et avec des idées formelles plus intéressantes.
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