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Aldealseanor, quelque part en Castille. Mercedes Álvarez revient dans ce village qu'elle a quitté à l'âge de trois ans pour y filmer pendant quatre saisons ses quatorze habitants, leur mémoire et leur présent.
QUE L’AUTHENTIQUE ME CROQUE
La question que soulève, volontairement ou non, un film tel que
Le Ciel tourne, dans le sillage de l’immense deuxième volet des
Profils Paysans de Raymond Depardon, est celle, périodique, de l’authenticité documentaire. Interrogation increvable, depuis le conteur Flaherty et ses drames ethnographiques jusqu’aux brûlots orientés d’un Michael Moore, en passant par le montage à intervalles de Vertov, elle est tout simplement, véritable marronnier critique, celle du cinéma: à quoi sert-il? Pour quoi est-il fait? A quoi est-il bon? Doit-il raconter des histoires? Et, partant, à quoi sert le montage? Trop large pour trouver pleinement réponse ici (pour quelque éclairage supplémentaire, voyez notre dossier documentaire), ces questions sous-tendant le documentaire comme forme pure du cinématographe — position évidemment discutable — nourrissent le premier film de Mercedes Álvarez. Non que
Le Ciel tourne, captation testamentaire des vestiges d’une ruralité profonde et agonisante, se présente d’emblée comme une mise en analyse du genre documentaire. C’est dans son rapport à la modernité, forcément faussé par la désuétude de son objet, qu’il l'interroge toutefois.
2 CAMERAS, 14 HABITANTS, X POSSIBILITES
Soient deux caméras, quatorze habitants, cent heures de rushes — une multiplicité de possibilités. Dans cette nébuleuse, Álvarez, comme récemment Depardon ou Samani (
La Peau trouée), se doit de fixer son point de vue. Pour le photographe Depardon, la valeur de document prévaut: son
Quotidien ne dément jamais son titre. Chez Samani, l’option vertovienne du mouvement du monde donné à lire dans les gestes des hommes est naturellement adoptée. Álvarez, atavisme artistique d’une bonne élève de Victor Erice oblige, opte pour une troisième voie: celle périlleuse de la poétique, donc de l’impureté. Misant sur la force d’évocation et de représentation cinématographique comme inébranlable croyance du spectateur, Álvarez joue à réinventer le réel. Quitte à tricher, substituer la bande-son d’une image à celle d’une autre, provoquant les événements, tricotant d’autres par le montage; ceci sans jamais ressentir le besoin de mettre le spectateur dans la connivence. Et ça marche: tels les nuages pachydermiques glissant comme des pétales sur l’eau des cieux espagnols, l’hypothèse poétique se laisse porter par le vent d’un réel trafiqué. Oui mais manipuler, n’est-ce pas mentir? Dans un monde où les cerises poussant dans les cimetières ont un goût de mort, où hommes et bêtes dorment d’un même œil, où les aveugles contemplent et peignent des paysages à la vorace splendeur… on se prend à en douter. "
Un bon documentaire tire sa force de son échec à épuiser la réalité qu’il explore. En fin de compte, les documentaires célèbrent le caractère inépuisable de leur propre sujet et se construisent comme des machines à produire des allusions. En cela, ils sont inséparables de la poésie." On doit ces phrases à Jean-Pierre Gorin. Qu’il ait ici le dernier mot n’est pas rien.
5/6