Pour continuer mon auto-discussion sur les question de vide...
Je trouve effectivement beaucoup de films classiques qui ne remplissent pas du tout leur 4/3, qui laissent beaucoup d'espace. Le rendu semble néanmoins différent. Question d'esthétique, sans doute (on ne filme pas en 1940 comme en 2000, que l'on cadre 1.37 ou pas...). Mais comme il serait difficile de le définir, ce changement esthétique, on peut simplement commencer par en observer les symptômes.
Young Mister Lincoln (1939)Le premier, c'est que dans les extraits classiques que je compulse rapidement là, le vide est souvent structuré. C'est à dire qu'il est part entière d'une composition ferme, parfois aidée par la lumière, qui architecture l'espace, et fait par-là même participer celui-ci à la vie du plan. Ici, il y a certes un vide d'informations vitales en haut et en bas de l'écran, mais le talus en bas, ainsi que les troncs au milieu, sont investis d'une fonction : ils dessinent les contours de l'arène au milieu de laquelle le meurtre est commis (et sur le bord de laquelle la mère se tient) ; quand au haut cadre, et sa lumière dans les feuilles, il ré-équilibre la force de la composition. En gros, tout le plan participe, tout le plan est tendu, il n'y a pas de respiration comme on pouvait l'entendre chez Kubrick open matte, au sens d'un espace rendu disponible.
Après évidemment ça n'a rien d'une règle, et ça devient complètement faux quand on en arrive dans le début des années 30 (je ne parle pas que de la conversion un peu foireuse au parlant), où la lumière n'architecture pas à ce point. On tombe parfois sur des plans larges très vide et très peu tenus, mais qui pour une raison bizarre évoquent plus la captation de théâtre. J'arrive pas encore à saisir pourquoi.
Le deuxième symptôme d'une différence avec le 4/3 actuel, qu'on retrouve pour le coup dès les années 30 à son plus fort, ne tient pas au cadre lui-même, mais à ce qu'il y a dedans :
Tous en scène (1953)Le vide, dans le 1.37 actuel, est remarqué parce qu'il est la seule donnée abstraite du plan. Au milieu de l'écran s'ébat une action au rendu réaliste, et le cadre la perd comme un poisson agité au milieu d'un grand aquarium vide. Or, même si ce film (
Tous en scène) est un extrême, on voit bien qu'ici, comme dans quasi tout film hollywoodien de studio à l'époque, tout joue de cette abstraction : le sol propre et brillant comme une scène de théâtre, le rocher en carton pâte, la ville derrière en maquette, la nuit bleue et le parc sur-éclairé, l'impeccable propreté des vêtements, l'absence de détails... Bref, tout y est "représentation" et non réalisme, et le vide là-dedans est on ne peut plus logique : on a déblayé ce qui n'est pas nécessaire (ce qui ne fait pas sens, ce qui ne sert pas, ce qui pourrait parasiter la narration), et le vide est simplement une conséquence de ça. Il est cohérent avec la façon dont le plan s'adresse à nous.
Alors que si on prend un plan vide actuel, de même échelle que celui de
Tous en scène :
Post Tenebras Lux (2013)Fourmillement de détail et d'aléatoire, pans entiers du cadre délaissés par la composition (et encore, ici, l'effet bouteille sur les côtés et les déformation du très grand angle sculptent un poil l'image) : libéré de toute prise en charge, le vide fait soudain évènement.
Bon, c'est prendre des exemples très particuliers pour un corpus de film quasi-infini, et ça ne peut donc prétendre être une "règle", mais je propose cette piste, j'ai l'impression qu'une des différence ancien 1.37 / nouveau 1.37 vient de là.