Pitch (AlloCiné) : Depuis 2015, Shiori Itō défie les archaïsmes de la société japonaise suite à son agression sexuelle par un homme puissant, proche du premier ministre. Seule contre tous et confrontée aux failles du système médiatico-judiciaire, la journaliste mène sa propre enquête, prête à tout pour briser le silence et faire éclater la vérité.
Le film débute par un avertissement, en particulier pour les personnes sensibles aux contenus liés aux VSS, et la prévenance de Shiori Ito s'avère utile pour digérer certains passages pour qui est sensible à ces thématiques.
L'histoire réelle ainsi narrée est intelligemment diluée, dans le sens où le découpage est très bien pensé. On rentre assez tôt dans le vif du sujet avec le témoignage du chauffeur ayant assisté à une partie de l'agression, mais celle-ci demeure floue tout du long, pour aboutir à la révélation crue des faits évoqués vers la toute fin. On l'a droguée puis traînée de force dans un hôtel pour la violer et la laisser ni morte, ni vraiment vivante : survivante. Et ça, Ito le démontre en long et en large car elle se place régulièrement sous l'oeil de la caméra afin de faire éclater ses joies, ses vagues à l'âme, ses espoirs, ses craintes... Cet aspect documentaire est assez exhaustif et la plupart du temps, toucher ainsi à l'intime est désarmant. Enfin, le procès, qu'elle gagne. Le moment où perso, j'ai explosé en larmes comme elle, quand le portier de l'hôtel accepte que l'on exploite son témoignage au tribunal, et ce de manière nominative.
S'ensuivent les déclarations du coupable Noriyuki Yamaguchi (un confrère) en conférence de presse (avant le verdict du jugement et/ou de l'appel je pense puisqu'il se déclare carrément co-victime, des barres). Car il a bien été reconnu coupable. Cette condamnation formelle permet justement au film d'exister, en tout cas sous cette forme. Enfin, on apprend le sort du premier ministre Shinzō Abe, assassiné en juillet 2022, ami proche de Noriyuki Yamaguchi. Cette amitié soulève une question cruciale qui anime Shiori Ito : Yamaguchi a t'il été protégé en ayant une influence dans les plus hautes sphères de l'État ? La société nippone pratique-t'elle un bro-code se sorte à garantir une forme d'impunité aux agresseurs bien entourés ?
La réponse est sans appel : oui. Pire encore : les mœurs japonaises font même peser sur les femmes se déclarant victimes le poids de la responsabilité des agressions. Par exemple, la séquence où elle explique qu'on lui a reproché d'avoir un bouton de son chemiser ouvert est édifiante, on comprends ici que le Japon, bien loin du reste du monde, n'est pas prêt pour la vague MeToo qui déferle dans le monde. Il courbe l'échine mais ne ploie pas : au pays du soleil levant, on cultive la discrétion, alors une bonne victime est soit morte, soit muette.
Le calvaire enduré par Shiori Ito est en tout cas extrêmement bien documenté, on sent la méthodologie de la journaliste à l'œuvre. Une alternance de réels filmés depuis son téléphone ou celui de ses proches; de prises de vue en conférence de presse ou au tribunal; d'interviews de divers intervenants, etc. Le message qu'elle a reçu avant de se battre et pendant son combat pour la Vérité, afin d'obtenir un jugement en bonne et dûe forme, est d'une violence inouïe, et sa réponse par le truchement de l'audiovisuel est aussi douce que féroce mais surtout implacable car elle s'appuie sur la vérité judiciaire.
Ainsi, en décidant de mettre à profit les talents acquis par son métier et d'en faire un exutoire, elle défie les codes établis et la position qu'on lui a attribuée dès la naissance. Celle d'une femme asservie aux besoins des hommes. Et ça, ça bouscule tout un monde et ouvre enfin aux victimes de VSS la voie de l'Espoir dans un pays insulaire assez peu enclin à faire bouger les lignes et s'inspirer de l'extérieur.
Un bon 4.5/6 (voire 5, j'hésite encore donc je vais au plus tempéré)