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MessagePosté: 04 Sep 2020, 20:28 
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Lohmann a écrit:
J'ai crains pendant de longues minutes que la douloureuse projection des Amours d'Astrée et Céladon allait se répéter. Parce que comme le dit Tom, visuellement c'est atroce. Non seulement les scènes en extérieurs (qui m'ont donné une drôle d'impression de déjà-vu, un truc moche que j'aurais vu dans mon enfance mais que je suis incapable de déterminer), mais les scènes d'intérieures tout autant, avec ses lumières blafardes. Mais bizarrement on s'habitue assez rapidement au dispositif et on l'oublie (le mieux qu'y puisse lui arriver). Probablement aidé par la prestation des deux acteurs principaux, pareillement bons. Par contre, j'ai été étonné tout du long par le discours du film, ce royalisme d'outre-tombe qui ne voit dans la révolution française qu'une farandole de gueux uniformément détestables, à de très rares exceptions (ces exceptions étant systématiquement incarnées par des personnages conservant une certaine révérence à l'endroit de Grace Elliot). Rohmer aurait fait un film sur les gilets jaunes qu'ils se serait cantonné à filmer le couple Macron, se lamentant de la bêtise et de la violence de son bas peuple, sans jamais montrer le revers de la médaille. Étonnant. Et pas très intéressant.



Vu le film petit que j'avais bien aimé (les décors peints par exemple) alors que je suis très réservé sur Rohmer pour les raisons que tu évoques et qui, pour moi, n'ont rien de surprenant. C'est LE réalisateur du confinement bourgeois où l'étranger, dans son sens le plus large, constitue une menace. C'est les populations immigrées évoquées sans l'air de rien dans L'ami de mon amie, le petit jeune fantasmatique aux airs vaguement voyous des Nuits de la pleine lune, le love interest, cantonnée à un rôle de "tentatrice" vulgos joué par Zouzou dans L'Amour l'après-midi ou même Trintignant qui va chercher sa meuf à l'église. Ils ont tous la fonction de "prop", d'accessoire sans qu'on leur accorde plus d'épaisseur que le simple rôle de point de fixation des états d'âmes bourgeois des personnages et n'existent qu'à l'état de danger.
A nuancer évidemment, mais cet aspect de repli sur soi hygiéniste me dérange chez lui. C'est peut-être pourquoi je préfère ses films "historiques" où il est plus facilement acceptable.


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MessagePosté: 05 Sep 2020, 08:59 
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bmntmp a écrit:
Vu le film petit que j'avais bien aimé (les décors peints par exemple) alors que je suis très réservé sur Rohmer pour les raisons que tu évoques et qui, pour moi, n'ont rien de surprenant. C'est LE réalisateur du confinement bourgeois où l'étranger, dans son sens le plus large, constitue une menace.

Ça fait trop longtemps que j'ai vu l'essentiel de ses films, je ne m'étais pas fait cette réflexion à l'époque mais ça serait intéressant de les revoir maintenant en ayant ça en tête. Il y a effectivement cet aspect dans Conte d'automne que j'ai vu plus récemment, mais Rohmer me semble justement y critiquer (ou pour le moins le questionner) ce repli sur soit. Magali, la vigneronne, correspond à ce que tu décris. Mais Isabelle (Marie Rivière) tente elle justement de sortir de cet entre soi, même si ça n'est que par jeu et inconsciemment au début.


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MessagePosté: 05 Sep 2020, 09:20 
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Sinon politiquement l'idée de bmntmp selon laquelle Rohmer est par essence le réalisateur de la bourgeoisie (donc de droite) est complètement en contradiction avec le point de vue de Lohmann sur l'Anglaise et le Duc où le film est conservateur parce que la bourgeoisie n'est pas représentée (sinon peut-être dans le tribunal révolutionnaire de la fin, scène intéressante d'ailleurs). Je dis cela je dis rien...

Je ne sais pas si Rohmer est pro-bourgeois ou anti-bourgeois. Je crois qu'il oppose les situations collective et les justifications individuelle. Cela correspond ou moins à la division entre scènes en incrustation et scènes d'intérieur dans l'Anglaise, et que cette opposition tourné peut-être autour de l'identité bourgeoise, voire la notion de classe, ce qui est déjà plus complexe.

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MessagePosté: 05 Sep 2020, 09:38 
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La bourgeoisie n'est pas invisibilisée dans L'Anglaise, elle est bien présente, même ailleurs que dans la scène du tribunal (la scène de la découverte de la lettre lors de l'ultime perquisition par exemple). Par contre elle n'a pas du tout le même statut fin XVIII et dans la seconde moitié du XX, que Rohmer prenne le point de vue d'une aristocrate au temps de la révolution ne le dédouane pas d'une proximité avec la bourgeoisie dans le monde moderne.


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MessagePosté: 05 Sep 2020, 09:51 
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Grace Elliott est elle-même d'origine bourgeoise (le personnage historique est fille d'avocat). Elle n'est pas issue de la noblesse. Dans le film on peut supposer que c'est la vraie raison pour laquelle elle échappe à la peine de mort (en particulier du fait de l'intervention de Robespierre, avocat et lui aussi fils d'avocat). D'un certain côté il y a une équivalence entre le personnage de Grace et le tribunal (avec l'idée que le fait de juger procède directement du regard plutôt que de la recherche de ce qui est caché, il y a bien autre chose qu'une valorisation de l'intériorité. Il y a une continuité entre la forme de la fable et du conte et le point vue d'un tribunal).L'identité de classe n'est pas énoncée mais perçue. C'est elle qui est jugée (car elle est visible) plutôt que les intentions et gestes.

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MessagePosté: 05 Sep 2020, 10:04 
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Elle a tout de même eut pour amants le Prince de Galles et le Duc d’Orleans, sa proximité avec l’aristocratie est indéniable.


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MessagePosté: 05 Sep 2020, 10:41 
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Oui, mais les courtisanes n'étaient justement pas nobles (ni forcément pauvres). Il fallait éviter la mésalliance et la paternité du côté des hommes. Ce n'est pas parce qu'on couche avec un noble que l'on devient noble (il fallait plutôt être un bon officier ayant bien coordonné l'anéantissement d'une ville allemande ou de Franche-Comté pendant la guerre de 30 ans, ou à l'heure actuelle obtenu le prix Nobel de Physique ou une Médaille Fields ou un dividende de 5% dans le conseil d'administration de la banque sans se faire rattraper par un chantage sexuel).

Sinon ce film m'avait moyennent plu, mais il prend un autre sens quand on le rapporte à Triple Agent, que j'ai trouvé magnifique, et qui transpose la même structure et des rapports entre personnages très proches dans les années 30 (il n'est alors pas sans lien avec Notorious).

Je ne suis pas sûr que Rohmer soit, par excellence, le cinéaste se consacrant à la mise en scène de l'intériorité (il l'est moins qu'Eustache par exemple). J'ai parfois l'impression qu'il est au contraire le cinéaste d'un monde sans intention.
Dans Agent Triple, le personnage de Serge Renko explique longuement pourquoi il est un communiste caché (le stalinisme permet la survie du nationalisme russe face à l'Allemagne hitlérienne, mais aussi une partie des communistes eux-mêmes). Il a historiquement plutôt raison, mais sa justification ne le mène nulle part, et l'amène à disparaître dans un abîme dont il ne devine naïvement rien. Il est aveugle sur la violence du régime stalinien, il en comprend la justification, mais non la nature. Tandis que sa femme, qui est au centre des enjeux moraux du film, et subit un destin tout aussi tragique, mais visible, est dans une situation inverse, n'émet aucune justification, aucun intention, tout en étant capable de juger son mari, mais trop timidement)
Elle perçoit la nature des personnes, mais le lien avec la justification de leur position politique lui échappe. Dans l'univers de Rohmer, la morale est déjà à part soi un phénomène, une partie du visible, elle n'a pas besoin de justification. Elle est à l'origine d'une forme de déterminisme plutôt exterieur aux personnes, et tend à coïncider avec les péripéties du récit. Elle n'est pour autant pas une force ou une puissance, irrésistible, elle est exposée à l'usure et à l'oubli : beaucoup de film de Rohmer se terminent sur des situations complètement développées qui n'appellent pas de continuation, et la morale s'intègre dans cette fermeture.

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