Gontrand a écrit:
(...)
La lutte des classes est placée par Rosa Luxemburg en deça du figurable, malgré sa réalité, et on sent chez elle une forte inquiétude, cet immontrable hypothèque peut-être la lutte politique (c'est d'ailleurs peut-être cette inquiétude qui ne lui est pas pardonnée et explique qu'elle est regardée avec condescendance par les trotskistes). Donc on ne peut opposer à l'impudence supposée de la représentation du doute bourgeois une représentation équivalente de l'aliénation ouvrière qui comblerait le vide (c'est le problème de "la Classe ouvrière s'en va au Paradis" de Petri : si on fait un cinéma de critique qu'il y a t'il à montrer du monde ouvrier en dehors de la chaîne, qui ne soit une forme de crise ou d'exclusion encore pire...). D'ailleurs elle déplace la notion hégelienne d'aliénation culminant (comme fin) dans la reconnaissance réciproque du maître et de l'esclave : la reconnaissance est ici ce qui manque comme moyen, et qualifie non pas les sujets impliqués dans la lutte des classes, mais de façon "unidirectionnelle" le travail lui-même et sa réalité matérielle.
La façon de poser le problème est intéressante, mais il est étrange de s'en borner à Rosa Luxemburg, qui n'a pu être témoin des pratiques cinématographiques, justement. Toutes les tentatives de captation de l'aliénation ouvrière, de l'ouvrier au travail, et plus largement du peuple, par le cinéma, sont postérieures à sa mort. Enfin... à la naissance du cinéma chez les frères Lumière, il y a l'Arrivée d'un train en gare de la Ciotat, succès de foire, mais l'antérieur Sortie de l'usine Lumière à Lyon. Tu colores Luxemburg de Kojève, pourquoi pas, je n'ai pas le temps d'aller lire ce texte dans le détail. Bon de la scène de l'écrémeuse automatique dans la Ligne Générale d'Eisenstein en passant par la première séquence du British Sounds du groupe Dziga-Vertov, jusqu'à Harun Farocki, il y a eu de nombreuses tentatives.
Mais justement je vois aussi bien dans les films de Minnelli que dans les Donen-Kelly, des réussites dans une forme de captation sans doute pas de la classe ouvrière, mais d'une certaine forme de prolétariat dans son mouvement même, captation aliénée - non aliénée à la fois, les réalisateurs impliqués au même titre que les acteurs, tous sortes d'artistes du music-hall, clowns, saltimbanques, des amuseurs qui pourtant sont dans une lutte des classes dans les films même, leurs corps impliqués très matériellement, un cocktail fascinant, mais je suis piètre théoricien, et piètre historien de la période sur le plan socio-économique à Hollywood. Le figural est en effet souvent trompeur, mais à ce compte-là difficile de penser avec Erwin Panofsky l'iconologue, pour lequel la figure est un élément majeur de l'analyse de l'image.