Bêtcépouhr Lahvi a écrit:
Quand à Belmondo suscitant plus de sympathie, c’est une évidence. Sur leurs carrières respectives, je dirais 50/50. Delon est peut-être allé sur une poignée de films un peu plus haut mais sur la durée et en moyenne, Belmondo, c’est quand même plus respectable (même ses fliqueries)
Pas d'accord.
J'avais cette opinion-là jusqu'à l'année dernière et le visionnage de quelques uns de ses polars des années 80 qui m'ont fait changer d'avis, comme la revoyure des polars de Bébél m'avait aussi fait changer d'avis (mais dans l'autre sens, à la baisse).
Au final, non seulement ces films se tiennent bien mieux que ceux de Belmondo, mais ce sont aussi, pour la plupart, des films corrects. Ils patissent surtout de leurs très mauvais titres (la présence du mot "flic" dans trois d'entre eux), du sketch que les Inconnus ont fait à leur sujet, du personnage public que Delon était devenu, et des extraits popularisés par Nanarland de certaines scènes "Parole de Flic". Parlons-en, d'ailleurs, de ce dernier, le premier que j'ai vu, un vendredi soir de désoeuvrement. On rigole beaucoup, c'est sûr. Delon qui combat puis lêche l'oreille de son "ami noir". Delon qui fait sauter une discothèque en posant une grenade sur une platine vinyle et en se bouchant les oreilles comme s'il venait de lancer un pétard de fête foraine. Delon qui colle une tranche de jambon sur la tronche de Jean-François Stévenin. Etc. Mais à l'inverse des gogoleries similaires qu'on trouve chez Bébel, elles sont ici montées et mises en scène, ça suffit à rendre les films supportables. On ne s'ennuie pas et on s'amuse - ce qui ne concerne pas 10% des polars français.
Il est clair que Delon, à travers ses fréquentations, le patronage de Melville ou Visconti, et son désir très fort de s'élever socialement, s'est toujours fait une idée très noble du cinéma. C'est d'ailleurs à mon avis ce qui l'a conduit à renoncer au cinéma ensuite, convaincu que celui-ci s'était dégradé. Je ne suis pas sûr qu'il en comprenait grand chose, mais contrairement à Belmondo, le bourgeois fils d'artiste et prompt au sarcasme, qui dès l'échec de Stavisky en 1974 ne vit le cinéma que comme un moyen d'accomplir ses cascades et de balancer ses bons mots, il avait une vraie envie de bien faire.
Cette différence est manifeste dans Pour la peau d'un flic, que Delon a réalisé, dont on pourrait dire que c'est du travail de professionnel. C'est bien cadré, bien monté, bien photographié, assez sec. Et parfois même personnel. Le film est par exemple traversé par une chanson de blues qui revient par intervalle, comme une ritournelle. Elle finit par taper sur le système, et en même temps on discerne un choix artistique assumé derrière. J'imagine sans peine Delon, derrière la table de montage, en bon élève appliqué, tenant à faire honneur à l'héritage de Melville, qu'il cite d'ailleurs.
Ce désir de faire du bon cinéma transparait aussi ses sources. Alors que le cinéma policier français d'alors se reposait encore et toujours sur le très fatigué Michel Audiard, Delon est allé chercher les écrivains du néo-polar comme Jean-Patrick Manchette. Hélas, il en a complètement dénaturé le travail, grattant le vernis gauchiste, le personnage du petit cadre médiocre du Petit bleu de la cote ouest (un chef d'oeuvre) devenant, dans Trois hommes à abattre, Alain Delon dans toute sa splendeur, costume Armani même à La Baule et joueur de poker professionnel. Mais on retrouve quand même, à travers quelques scènes, quelques dialogues, l'exigence de Manchette, et surtout ce désir d'être connecté à l'époque. Il n'y a aucune nostalgie chez Delon, aucun regard en arrière, son cinéma est contemporain. Pour les films qu'il n'a pas réalisés, il a fait appel à des réalisateurs plus jeunes que lui, quand Belmondo lui rappelait toujours les mêmes vieux débris (genre Verneuil, que SuperCineBattle ne manque pas une occasion de citer comme l'exemple du réalisateur français qui faisait du cinéma comme en Amérique, alors qu'il avait au bas mot 15 ans de retard sur ce qui s'y faisait). Même Jacques Deray apparait bien plus en forme dans "Trois hommes à abattre" que les Belmondo "Le marginal" ou "Le solitaire".
Autre point appréciable, et franchement surprenant : il lui arrive de s'effacer à l'écran. "Pour la peau d'un flic" repose ainsi sur un trio Delon-Parillaud-Auclair qui fonctionne vraiment bien. Parillaud et Auclair ne sont pas du tout des faire-valoir, Delon forme ainsi un couple de screwball comedy assez platonique avec la première, et avec Auclair un duo de buddy movie. Le film est assez drôle, volontairement drôle, parfois à l'encontre du personnage de Delon, qui se fait gentiment moquer, comme dans une screwball comedy encore une fois. Le fait que ce soit le premier film qu'il ait réalisé me pousse à dire qu'il l'a approché avec une certaine modestie, tenant à ne pas imposer DELON partout (même si le générique introduit, de mémoire : Alain Delon. Dans un film produit par Alain Delon. Ecrit par Alain Delon. Réalisé par Alain Delon).
Dans Ne reveillez pas un flic qui dort, film nanardesque mais drôle et efficace, il partage l'affiche avec Michel Serrault (aparté : j'ai vu revu plusieurs de ses films récemment, de La cage aux folles à Nelly et Monsieur Arnaud, et je me demande : ne serait-ce pas l'un des deux ou trois plus grands acteurs français ever ? Quelle palette de jeu...) qui incarne un commissaire fasciste qui annonce vouloir, je cite de mémoire, "tuer tous les gauchistes et les journaleux, COMME EN ARGENTINE !!!!" (tirade déclamée alors que son gorille joué par Bernard Farcy arrose au lance-flamme l'un de ses anciens complices).
Dans Le Choc, le plus mauvais de ses films, le seul dont j'ai eu du mal à aller jusqu'au bout, il y a toute une partie centrale inutile mais qui fait la part belle à Léotard et Deneuve dont on se demande ce qu'elle est allée foutre ici. Elle incarne une agricultrice, donnant à manger à des poules dans un élevage intensif pendant que son mari joué par Léotard, complètement bourré, disserte sur du free jazz, lui envoit des pelletées de grain dans la tronche. Mais on est content de la voir ici, chez Delon, avec un personnage pas sexualisé. Au final, je parlais de Parillaud plus haut, ses films ne souffrent pas trop du ton machiste qui rend certains films de Belmondo pénibles par endroits, les personnages féminins sont même plutôt travaillés comparés à ce qui se faisait alors, en tout cas dans Pour la peau d'un flic et Trois hommes à abattre.
Bref, pour moi ce cinéma est une évolution plus commerciale de son cinéma des années 70, plutôt qu'une nouvelle période comme on le dit parfois. Il a clairement eu le désir de suivre Belmondo et de retrouver le grand public, mais je ne vois pas, en tout cas au début des années 80 (là où il signe ses deux meilleurs films), une volonté de changer brutalement de direction. Le cinéma de genre était déjà présent dans la décennie précédente, avec "Flic Story" (très bien), "Le Gitan" (médiocre), "Traitement de choc" (singulier et courageux), "Le gang" (pas vu), et "Mort d'un pourri" (surestimé, les dialogues d'Audiard plombent le film). Et dans les années 80 et le début des années 90, il ne renie pas non plus complètement le cinéma d'auteur, allant même chez Blier et Godard (où il est apparemment vraiment bien).
En tout cas, plus je creuse sa carrière et plus je tombe sur des films uniques en leur genre et assez audacieux, comme s'il n'avait jamais cherché à faire l'unanimité. Ca rend les comparaisons que j'ai pu lire avec Pierre Niney, lui qui au contraire cherche toujours à la faire, assez débiles. Je peine à trouver un équivalent, en fait.