Forum de FilmDeCulte

Le forum cinéma le plus méchant du net...
Nous sommes le 27 Avr 2024, 04:09

Heures au format UTC + 1 heure




Poster un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 18 messages ]  Aller à la page 1, 2  Suivante
Auteur Message
MessagePosté: 13 Mar 2019, 12:24 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
Messages: 5913
Entre 2014 et 2018, treize saynètes explorent le conflit dit de "basse intensité" (de l'ordre de 10 000 morts, principalement durant les 2 premières années du conflit) entre l'armée ukrainienne et des milices séparatistes pro-russes, dans l'est de l'Ukraine. Entre check-points tenus par des gros bras et caves d'immeubles bombardées, le mariage tape-à-l'oeil d'une députée nationaliste et le difficile reportage d'un journaliste allemand sur le front, le trafic de reliques orthodoxes et de vieux camions lance-roquettes, sept des treize histoires sont basées sur des vidéos Youtube authentiques.

Image

Image



Film assez déroutant et inclassable formellement, qui relève en même temps de deux esthétiques a-priori opposées : les mises en scène foisonnante et baroque à la Kusturica et de la sécheresse documentaire. L'esthétique de Loznitsa (intialement un ingénieur et chercheur en faculté), à la fois froide, ironique et recherchant l'intégrité morale absolue (comme attribut d'une forme de témoin-spectateur idéal) évoque celles d'Amos Gitaï et Theo Angelopoulos :contemplatives et architecturales, recourant à des plans-séquences et travelling extrêmement composés, mais à cause de cela peut-être plus pertinentes et efficaces dans le témoignage du présent politique et la représentation de l'urgence morale que dans le récit, qui la transforme en système et en procédé.


Je crois que le film négocie assez bien l'équilibre entre une mise en accusation (par l'image et les dialogues) d'une certaine dérive de la mentalité slave (un fort chauvinisme, revendication d'une image stérotypée de l'homme comme viril et guerrier, associée à une révérence irréfléchie et passive vis-à-vis de l'autorité, une tendance à convertir la mémoire historique en idéologie, qui finit par vider de sa substance le mot "fasciste", qui devient à la fois une insulte dénuée de contenu et une justification morale forte) avec (hors-champ) la critique de l'attitude de l'Occident, qui tout à la fois oublie ce conflit et contribue à le radicaliser, en prenant lui-même partie dans l'opposition Russie-OTAN; et également en se gargarisant d'images d'informations, dont le conflit est une sorte lieu de production, à la recherche d'un public ou d'un témoin extérieur , introuvable, mais dont l'existence semble en fait le sens le plus profond de guerre.

La guerre est montrée comme un spectacle et un script écrit d'avance, comme une fiction, mais désinvestie et fatiguante. , sans que cela n'en atténue la violence. L'image prenant le relais de l'intérêt national, du discours idéologoique ou de préjugé ethnique, les empêchant de s'éteindre. A vrai dire le sentiment qui domine en voyant le film est j'ai déjà vu ces images de guerres dans le neige, de sniper alcoolisés et fatigués, d'arme russes usagées et de pick-up bricolés, de vieilles Ford et Volkswagen, il y a 30 ans, au moment de la Yougouslavie, créant un vertige et un paradoxe absurde : la fierté nationaliste et la conscience jalouse d'une spécificité culturelle en péril est maximale chez tous les acteurs du conflit, et pourtant la scène est déjà vue, et la répétition d'une autre guerre, typique d'une époque et non d'une nationalité.

Le point de vue de Loznitsa est clairement plutôt pro-ukrainien, mais il fait bien sentir le caractère absurdement fratricide de la guerre. On a reproché au film de ne pas contextualiser le conflit (et je l'ai vu avec des sous-titre uniquement néerlandais, ce qui rendait la compréhension de certaines scènes difficiles notamment,
le début et la fin avec les acteurs qui jouent les faux témoins des bombardements pour la télévision
), voire même de ne pas mentionner Poutine, mais cette faiblesse fait la force du film : Loznitsa s'attache à décrire une mentalité et la société qu'elle caractérise, qui est paradoxalement partagées les bélligérant, plutôt que de faire la chronique d'intérêts et de décisions politiques précises.
Ce qui l'intéresse est la traduction du pouvoir dans la vie quotidienne, qu'il finit par absorber. C'est à la fois une guerre entre états et une guerre civile : tout homme valide est un combattant potentiel, mais aussi à la fois un bourreau et une victime.

Les mafieux ressemblent aux gradés, les grands-mères et jeunes filles indifférentes qui traversent une rue bombardées peuvent se muer en harpie lynchant un prisonnier de guerre : cette société ne semble exister que pour se détruire, la façade matérielle de la normalité est préservée (la ville est encore debout) mais il n'y a plus d'activité économique réelle, les personnes extérieures à la guerre (comme les médecins) se transforment en public cynique ,voire en acteurs de trafic. Les rôles sociaux sont à la fois caricaturalement fixes et totalement mutables. Les vêtements habituels deviennent des costumes de théâtre, du texte auquel personne ne croit, mais dont tout le monde s'efforce de contrôler le port chez soi et le voision : blouse de médecins, jupr de grand-mère, treuillis de miliciens, cravate de député, guépière de prostituée. Par contraste une soldate qui avise un bus à un checkpoint demande aux hommes réfractaires au combat de se séhabiller, avant que l'humiliation ne s'arrête, l'intérêt des soldats étant brusquement déplacé par l'arrivée d'un journaliste allemand qui constitue à la fois un otage potentiel et un témoin à séduire, plus intéressant symboliquement que le groupe d'hommes : il est à la fois complètement passif, terrorisé, et celui qui fixe le rythme de la scène .Il est le seul à interroger dans ce monde où personne ne pose de question : ce qui est déjà une forme de pouvoir.

Une scène à la fois irréelle et conventionnelle, dans la cave d'un immeuble où se sont réfugiés des vieilles personnes et enfants, surpeuplée tout en permettant aux habitants de se cacher, faisant ainsi beaucoup penser aux wagons du Transperceneige, vient s'opposer à ce cynisme et à cette mutabilité permanente des rôles sociaux. C'est la seule scène où les personnages (parmis lesquels on ne trouve aucun adulte dans la force de l'âge: être adulte devient dans la guerre l'équivalent d'une posture idéologique) prennent à partie le pouvoir, la seule aussi où ils se définissent comme victimes, comme si les deux formes de courage étaient liées. C'est paradoxalement la plus extérieure au film, la plus conventionnelle et celle qui est la plus rassurante, et qui reste le plus en mémoire.

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 13 Mar 2019, 16:44, édité 10 fois.

Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 13 Mar 2019, 12:38 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 23 Juil 2011, 12:46
Messages: 14128
Si Loznitsa t'intéresse, je peux t'offrir le lien Mubi de son Victory Day.


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 13 Mar 2019, 12:39 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
Messages: 5913
C'est qui Mubi ?

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 13 Mar 2019, 13:28 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 23 Juil 2011, 12:46
Messages: 14128
https://mubi.com/showing


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 13 Mar 2019, 14:58 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
Messages: 5913
With three stellar films made in 2018, Sergei Loznitsa’s most surprising is this enthralling view of a celebration of the Soviet victory in World War 2. Your eyes dart across the wide, colorful images as they capture the tremendous variety and depth of meanings it still has for today’s Russians.



A côté de cela les articles du National Geographic c'est de pamphlets situationnistes.

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 13 Mar 2019, 18:43 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
Messages: 5913
Merci pour la proposition ceci-dit, mais voir un film sur ce type de plateforme ce n'est pas trop mon truc. Je crois aussi que c'est lié au fait sue je suis déjà beaucoup sur un écran d'ordinateur, la force d'un documentaire est liée au fait de permettre au spectateur d'en sortir.

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 13 Mar 2019, 18:58 
Hors ligne
Expert

Inscription: 30 Sep 2016, 19:39
Messages: 5311
Pour le stéréotype de l'homme chauvin, viril et guerrier, un des écrivains russes les plus connus en ce moment, Zahar Prilepine est allé jouer à la guerre au Donbass, ce dont il a évidemment tiré un livre paru l'an dernier.
Il y a plein de vidéos de lui sur youtube sur la présentation de son livre à Paris d'ailleurs

https://www.youtube.com/watch?v=rJgl-YOUMWg


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 14 Mar 2019, 12:23 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 22 Mar 2006, 12:23
Messages: 7398
Vieux-Gontrand a écrit:
Entre 2014 et 2018, treize saynètes explorent le conflit dit de "basse intensité" (de l'ordre de 10 000 morts, principalement durant les 2 premières années du conflit) entre l'armée ukrainienne et des milices séparatistes pro-russes, dans l'est de l'Ukraine. Entre check-points tenus par des gros bras et caves d'immeubles bombardées, le mariage tape-à-l'oeil d'une députée nationaliste et le difficile reportage d'un journaliste allemand sur le front, le trafic de reliques orthodoxes et de vieux camions lance-roquettes, sept des treize histoires sont basées sur des vidéos Youtube authentiques.

Image

Image


(...)



Tu m’intrigues.

_________________
There is no such thing in life as normal


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 14 Mar 2019, 14:02 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
Messages: 5913
Tu veux parler du fait de remonter aux vidéos originelles ? Cela m'intrigue aussi, j'aimerais lire des interviews de Loznitsa où il explique ce procédé, apparemment on en trouve plus dans la presse allemande que française. J'imagine que les situations réelles devaient surtout concerner (à l'exception de la fin et du début qui relèvent de la fable tragique et de la mise en abyme du tournage du film dans la guerre) les scènes de checkpoints, celles qui mettent en scène des journalistes en train de filmer ou alors des témoins avec des caméras de téléphone (comme le lynchage du traître en rue et le mariage). Les autres scènes constituent d'ailleurs une veine plus "comique" , très dialoguée et centrée sur la représentation individuelle du pouvoir politique plutôt que du groupe.

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 14 Mar 2019, 16:27 
Hors ligne
Expert

Inscription: 30 Sep 2016, 19:39
Messages: 5311
Je pense que ce qui l'intéresse sont les beaux mecs torse nus.
Sinon je remarque qu'il va puiser son inspiration sur youtube comme Ruben Ostlund qui reproduit certaines scènes à l'identique.


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 14 Mar 2019, 16:42 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
Messages: 5913
J'avoue que je suis assez surpris de l'image ; quand j'ai vu la scène j'avais l'impression que ce bus ne contenait que des petits vieux cacochymes et chuintants ainsi qu'un ado autiste, mais là quand tout le monde est mis dehors et doit se déshabiller on dirait un clip de Boy George période Jesus loves you. C'est peut-être de l'humour. Cette dimension est présente dans le film (des soldats beaux et musclés, en général honnêtes compte tenu du système mais tellement cons qu'ils se font pigeonner et deviennent complices et exécutants de l'horreur), mais peu interrogée par Loznitsa (et du coup elle échappe à son ironie et devient une explication et une sorte d'invariant anthropologique).

J'ai l'impression que le personnage qui ouvre et ferme le film est aussi un travesti
qui joue dans le camion de maquillage pour la télé les grands-mères patriotes idéales
, mais je n'en suis pas sûr.

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 14 Mar 2019, 17:03 
Hors ligne
Expert

Inscription: 30 Sep 2016, 19:39
Messages: 5311
On a l'air loin de l'Alexandra de Sokourov.


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 14 Mar 2019, 17:10 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
Messages: 5913
Les deux films se ressemblent un peu formellement. Mais il y a chez Sokourov une mystique nationaliste (en même temps qu'un recul sur la situation politique actuelle), et romantique que l'on retrouve moins chez Loznitsa (qui n'est pas russe).
Disons que Sokourov est inspiré par Dostoievski et conserve un aspect visionnaire, et Loznitsa c'est plutôt un ton plus naturaliste et "sociologique" à la Tolstoï, quand il décrit la mentalité d'Anatole Kouraguine (Guerre et Paix c'est aussi une constructions en saynètes, presque du montage parallèle, reliées par un discret fil conducteur) .

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 14 Mar 2019, 18:25 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 22 Mar 2006, 12:23
Messages: 7398
Vieux-Gontrand a écrit:
Tu veux parler du fait de remonter aux vidéos originelles ? Cela m'intrigue aussi, j'aimerais lire des interviews de Loznitsa où il explique ce procédé, apparemment on en trouve plus dans la presse allemande que française. J'imagine que les situations réelles devaient surtout concerner (à l'exception de la fin et du début qui relèvent de la fable tragique et de la mise en abyme du tournage du film dans la guerre) les scènes de checkpoints, celles qui mettent en scène des journalistes en train de filmer ou alors des témoins avec des caméras de téléphone (comme le lynchage du traître en rue et le mariage). Les autres scènes constituent d'ailleurs une veine plus "comique" , très dialoguée et centrée sur la représentation individuelle du pouvoir politique plutôt que du groupe.


Je veux dire que tu m’as donné envie de voir le film.

_________________
There is no such thing in life as normal


Haut
 Profil  
 
MessagePosté: 14 Mar 2019, 18:28 
Hors ligne
Expert
Avatar de l’utilisateur

Inscription: 23 Juil 2011, 12:46
Messages: 14128
Loznitsa est un cinéaste intéressant. Je suis moins attiré par son travail de documentariste (le genre me parle moins) mais j'aime beaucoup son travail fictionnel.


Haut
 Profil  
 
Afficher les messages postés depuis:  Trier par  
Poster un nouveau sujet Répondre au sujet  [ 18 messages ]  Aller à la page 1, 2  Suivante

Heures au format UTC + 1 heure


Articles en relation
 Sujets   Auteur   Réponses   Vus   Dernier message 
Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. My joy (Sergeï Loznitsa - 2010)

DPSR

4

1573

13 Nov 2012, 21:23

Abyssin Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Dans la brume (Sergeï Loznitsa - 2012)

DPSR

3

1347

30 Avr 2018, 17:08

Slacker Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. L'Usine (Serguei Loznitsa - 2004)

Karloff

2

600

23 Fév 2021, 18:00

Karloff Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Une femme douce (Sergey Loznitsa - 2017)

Lohmann

8

1348

01 Mai 2021, 02:00

Abyssin Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Tulpan (Sergeï Dvortsevoy - 2009)

Blissfully

6

1384

08 Mar 2009, 20:41

Jericho Cane Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Le Septième fils (Sergei Bodrov, 2014)

Film Freak

7

1678

09 Avr 2015, 17:17

Genikós Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Que Viva Mexico! (Sergei Eisenstein - 1931)

Blissfully

2

1615

23 Avr 2008, 12:18

Mickey Willis Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. The Meg (Jon Turteltaub - 2018)

Qui-Gon Jinn

7

1362

02 Aoû 2023, 10:03

Abyssin Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. BlacKkKlansman (Spike Lee - 2018)

[ Aller à la pageAller à la page: 1, 2 ]

Qui-Gon Jinn

16

2723

31 Jan 2024, 13:23

Mickey Willis Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. 9 doigts (J.F. Ossang, 2018 )

Gontrand

0

1776

01 Avr 2018, 23:58

Gontrand Voir le dernier message

 


Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 18 invités


Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets
Vous ne pouvez pas éditer vos messages
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages

Rechercher:
Aller à:  
Powered by phpBB® Forum Software © phpBB Group
Traduction par: phpBB-fr.com
phpBB SEO
Hébergement mutualisé : Avenue Du Web